Cet article a été publié pour la première fois le 17 juillet 2018 sur le site LesEchos.fr.
Le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (dite « loi PACTE ») présenté le 18 juin dernier par le gouvernement, et actuellement en cours d’examen par une commission spéciale à l’Assemblée Nationale, multiplie les propositions de mesures dans des domaines extrêmement variés, dans le but affiché de favoriser l’innovation par les entreprises françaises. Parmi celles-ci, deux articles 40 et 42 dédiés aux brevets et aux certificats d’utilité, censés renforcer l’attractivité de ces instruments juridiques pour les acteurs concernés, et y faciliter leur accès.
La volonté de l’exécutif se justifie indéniablement au regard des chiffres : la France témoigne en effet d’un certain retard par rapport notamment à ses deux voisins que sont l’Allemagne et le Royaume-Uni en nombre de titres de propriété industrielle déposés chaque année (source : Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, 2016, p. 46).
L’enjeu en la matière n’est cependant pas uniquement quantitatif : une stratégie efficace en faveur de la protection de l’innovation doit aussi garantir la qualité des titres déposés, en s’assurant que les inventions concernées répondent bien aux critères de protection. Il en va non seulement de la sécurité juridique des titres effectivement délivrés pour leurs titulaires, mais aussi de la liberté d’entreprendre des autres acteurs et inventeurs ; un contrôle effectif de la réalité et de la solidité juridique des inventions soutient ainsi doublement l’innovation, en évitant de laisser se créer des monopoles non justifiés par un véritable apport technique.
A travers les mesures proposées dans la loi PACTE, le gouvernement s’efforce manifestement de tenir compte de ces deux dimensions, quantitative et qualitative : il s’agirait en particulier à la fois de modifier les procédures de demandes de brevets et de certificats d’utilité, pour les rendre plus accessibles, tout en inaugurant une nouvelle voie d’action administrative afin de contester la validité d’un brevet après sa délivrance. Tour d’horizon.
La « demande provisoire » de brevet : une vraie fausse révolution
Présentée dans l’exposé des motifs du projet de loi comme une nouveauté en France, inspirée du système américain de la « provisional patent application », la demande provisoire de brevet consisterait à autoriser le dépôt d’une demande sur la base d’informations minimales relatives à l’invention. L’objectif est ici de permettre aux PME et startups de différer ou d’étaler les coûts considérables liés à l’élaboration d’un dossier de demande complet, laquelle requiert quasi-systématiquement, en pratique, l’assistance d’un conseil en propriété industrielle (CPI).
Une telle possibilité existe cependant déjà, en réalité, au vu de l’article L. 612-2 du Code de la propriété intellectuelle : celui-ci prévoit en effet (depuis l’adoption en 2008 d’une ordonnance d’adaptation au Traité sur le droit des brevets de 2000) que la demande est valablement déposée dès lors qu’elle précise l’identité du déposant et une « description », même succincte, de l’invention. Le déposant peut ainsi apporter dans un second temps seulement les autres éléments nécessaires, à savoir principalement les revendications définissant le périmètre de l’invention à protéger.
Dans ces conditions, ainsi que le souligne le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi, ce dernier ne visera vraisemblablement qu’à affiner les règles de procédure du dépôt et de l’examen pour cette demande provisoire. L’exposé des motifs évoque à cet égard, outre l’intérêt financier de l’étalement des coûts liés au dépôt, le bénéfice d’une absence de « divulgation aux tiers », ce qui peut laisser entendre que le délai de dix-huit mois avant publication de la demande ne courrait qu’à compter du terme de la durée « provisoire » d’un an. Les déposants de demandes provisoires bénéficieraient ainsi d’un temps étendu avant que leur invention soit dévoilée aux yeux de tous. On devine les craintes qu’une confidentialité ainsi prolongée pourrait faire naître quant à la « prise au piège » des concurrents par des actions en contrefaçon « surprise » du déposant ; l’article L. 615-4 du Code de la propriété intellectuelle prévient heureusement déjà cette hypothèse, en précisant que l’action en contrefaçon n’est possible qu’à l’égard des faits postérieurs à la publication de la demande de brevet ou à la notification d’une copie certifiée de la demande au contrefacteur allégué.
Sur ce point, la loi PACTE doit donc être perçue comme un rappel d’une possibilité déjà ouverte aux PME et startups, plutôt que comme une vraie révolution. Attention toutefois à l’effet d’annonce : une demande mal formulée ou déposée trop tôt, au stade par exemple de la proof of concept, peut s’avérer inutile si l’invention finalement réalisée en diffère de façon trop significative. Les détails de la demande ultérieurement complétée doivent en effet se retrouver tout entiers dans l’idée générale de la première description minimale, pour pouvoir être « assimilés » à la première demande. Le risque d’une demande trop vague ou trop précoce est alors de ne pas assurer la protection véritablement utile pour le déposant, qui devra déposer une nouvelle demande pour l’invention finalisée, en perdant le bénéfice de la première date de dépôt.
L’opposition administrative devant l’INPI : le chaînon manquant du droit des brevets ?
Quantité contre qualité, donc, ici encore. Le projet de loi vient garantir la seconde en prévoyant d’autoriser le gouvernement à opérer par voie d’ordonnance pour créer un droit d’opposition aux brevets délivrés devant l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI).
Cette procédure administrative d’opposition rejoint les mécanismes existant déjà, en matière de brevets, devant l’Office Européen des Brevets (OEB), ainsi qu’en droit français en matière de marques. Elle diffèrerait cependant du second en ce que l’opposition à un droit de marque a lieu au stade de la demande, c’est-à-dire antérieurement à la délivrance du titre, tandis que l’opposition prévue par le projet de loi viserait les brevets effectivement délivrés par l’INPI.
Il existe certes déjà, en l’état actuel du droit positif, une possibilité pour les tiers de formuler des « observations » sur la brevetabilité de l’invention (article L. 612-13 du Code de la propriété intellectuelle) au stade de l’examen ; ces observations n’ont pas cependant pour objectif d’obtenir, ainsi que le permet l’opposition, la « révocation ou la modification du brevet », mais seulement d’inviter le déposant à ajuster le contenu de sa demande préalablement à l’établissement du rapport de recherche définitif par l’INPI. De fait, en effet, l’INPI ne procède pas, à cette heure, à un quelconque contrôle effectif de la brevetabilité dans le cadre de l’examen des demandes (les rapports de recherche temporaire et définitif n’ayant qu’une fonction documentaire, sans incidence directe sur la délivrance du titre), et ces problématiques sont par suite renvoyées au juge judiciaire, à travers l’action en nullité du brevet délivré (intentée bien souvent comme une défense en réponse à une action en contrefaçon).
Un tel contrôle administratif, même s’il n’intervient qu’après délivrance du brevet, viserait donc à la fois à « désengorger les tribunaux » (selon l’expression consacrée), et à permettre un filtrage plus rapide et efficace des titres ne répondant pas en réalité aux conditions de brevetabilité. La satisfaction de cette seconde ambition dépendra cependant largement des moyens alloués à l’INPI pour renforcer sa compétence d’analyse technique des inventions, à l’heure où l’Institut se heurte déjà à la charge de ses nombreuses missions, récemment alourdie encore (par la loi Macron de 2015) de celle de gérer la mise à disposition du public des informations du Registre National du Commerce et des Sociétés.
Le certificat d’utilité : nouvelle jeunesse pour cinquième roue de carrosse ?
Le projet de loi se penche enfin sur le certificat d’utilité, dans l’espoir affirmé de le rendre plus séduisant pour les entreprises. Ce droit de propriété intellectuelle, bien que plus facile d’accès (en l’absence de rapport de recherche, l’examen s’effectue de manière plus rapide), évolue en effet depuis toujours dans l’ombre du brevet, faute d’être parvenu à prouver son intérêt aux yeux des déposants concernés (source : Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle).
La faute en revient probablement pour une part à sa durée limitée : alors qu’il s’applique aux mêmes objets que le brevet (une invention), le certificat d’utilité n’octroie à ce jour qu’une protection limitée à six ans, et n’apparaît donc un outil pertinent, en pratique, que pour des inventions à court cycle de rentabilité. L’article 40 propose, à cet égard, d’étendre cette durée de protection à dix ans.
Dans le but également d’opposer moins radicalement brevet et certificat d’utilité, le texte prévoit également la possibilité de « convertir » une demande de certificat d’utilité en demande de brevet, si cet instrument apparaît finalement plus pertinent au déposant. La procédure à suivre (dont notamment le délai) pour une telle « conversion » n’est pas détaillée dans la loi : elle resterait à préciser par voie réglementaire. On rappellera du reste que la conversion inverse (« rétrograder » d’une demande de brevet vers une demande de certificat d’utilité) est déjà possible.
Reste à voir enfin si ces deux mesures, affectant respectivement la durée et la conversion du certificat d’utilité, suffiront à faire augmenter la demande des entreprises pour ce titre : n’existant que dans un nombre limité de pays et en l’absence de procédures internationales aussi commodes que pour le brevet (demande de brevet européen, demande internationale selon le système PCT, bientôt brevet unitaire de l’Union Européenne), le certificat d’utilité n’apparaît pas forcément l’instrument le plus efficient pour une stratégie de protection internationale.
De façon générale, les apports de la loi PACTE en matière de propriété industrielle, s’ils répondent à des préoccupations légitimes et véritables, doivent encore être précisés et confirmés, non seulement au gré du processus législatif qui débute seulement, mais encore par d’autres textes (réglementaires entre autres) que cette loi ne fait qu’annoncer. S’agissant en particulier de sa création principale que serait l’opposition administrative aux brevets délivrés devant l’INPI, l’article 42 de la loi se borne en effet à renvoyer à une ordonnance à prendre par l’exécutif. Affaire à suivre, donc, et de près, pour savoir de quoi et comment la protection de l’innovation française de demain sera faite.