Pendant que la presse s’obstine à ne parler que de la bulle spéculative autour des cryptomonnaies (probablement parce que c’est le sujet le plus simple à traiter), d’autres travaillent à faire en sorte que ces innovations et les nouvelles pratiques qui les accompagnent bénéficient d’un cadre juridique favorable tout en étant protecteur. C’est notamment le cas de l’Autorité des Marchés Financiers et des 82 répondants à sa consultation publique sur les ICO.
I-quoi ?
L’AMF fait en effet partie des régulateurs hyperactifs (d’une manière positive) sur le sujet des cryptomonnaies et de leurs usages, et ce n’était donc pas une surprise de voir l’Autorité lancer une consultation publique sur cette nouvelle forme de levée de fonds que constitue l’Initial Coin Offering, ou ICO. Le principe de l’ICO est de combiner le principe du crowdfunding à la création d’un service utilisant une blockchain (une forme de registre décentralisé) : le porteur du projet émet des des jetons (tokens) avant la sortie du service et les vend afin d’atteindre un objectif d’investissement. Le porteur du projet lève ainsi des fonds tandis que les acheteurs bénéficient d’une primauté d’accès au service et des avantages que les tokens en question offrent. Ces avantages varient en fonction des services, mais ils servent généralement soit à interagir avec le service et la blockchain nouvellement créée, soit à avoir des droits politiques ou financiers relatifs à l’entreprise en gestation.
Pour faire court : tout cela est très innovant, très difficile à expliquer en peu de mots, et surtout, très peu encadré. Pourtant, la pratique des ICO se développe partout très rapidement, et les montants levés explosent au fur et à mesure. Un exemple récent : Telegram, l’application de messagerie sécurisée, prépare une ICO qui devrait dépasser les 2 milliards de dollars.
La régulation, un inhibiteur ou un catalyseur
L’attitude des régulateurs face à ces nouveautés est extrêmement intéressante. Certains pays sortent directement la bride et raccompagnent l’étalon vers l’écurie : c’était le cas de la Chine et de la Corée du Sud pendant que la bulle spéculative était au plus haut, il y a quelques mois – la rumeur court que l’interdiction d’effectuer des ICO actuellement en vigueur dans ces deux pays devrait être prochainement assouplie. Mais d’autres pays, comme les États-Unis ou la France, adoptent une attitude d’intérêt circonspect propice à une innovation contrôlée. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, l’AMF a émis des consultations publiques pour tester la température de l’eau et obtenir les avis des acteurs concernés. Le dernier résultat en date, la consultation ICO, devrait ainsi permettre la rédaction de règles validées par les praticiens du secteur et conformes aux attentes des marchés, tout en garantissant le respect des normes essentielles que l’AMF compte faire respecter (lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme, protection des investisseurs, lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, etc).
C’est alors que le droit apparait comme le catalyseur de l’innovation plutôt que comme son inhibiteur : les règles de droit peuvent servir à interdire comme à autoriser. En délimitant un cadre d’action là où n’existait auparavant qu’un vide juridique, on créé de la sécurité juridique qui permet le développement de la technologie. On en revient au rôle même du droit : toutes ces règles contraignantes, toutes ces interdictions n’ont pour seul but que d’assurer la liberté et la vie en société. Il en va de même pour le développement technologique et l’innovation : la régulation n’est pas forcément synonyme d’interdiction, au contraire !
L’actu en bref
Cette semaine, on a beaucoup parlé blockchain et ICO : le Venezuela a annoncé sa propre ICO, l’AMF a également publié une qualification juridique des produits financiers dérivés sur cryptomonnaies, l’AMF Suisse, la FINMA, a aussi donné son avis sur le sujet, des hackers ont infiltré Tesla pour miner des cryptomonnaies, le CSPLA a rendu un rapport sur l’impact de la blockchain sur la propriété littéraire et artistique et l’Assemblée Nationale a lancé une mission d’information sur la blockchain. Également hyperactive, la CNIL a publié une petite FAQ sur le devenir des labels post GDPR et mis à jour ses guides PIA. En ce qui concerne les news sur l’IA, notons un rapport cosigné par de nombreuses organisations dont l’EFF et OpenAI sur les potentiels usages pernicieux de l’IA, la création par Google d’une IA permettant de déceler les maladies cardiovasculaires en un coup d’oeil et le départ d’Elon Musk d’OpenAI pour éviter les conflits d’intérêts. Enfin, notons que Qualcomm a refusé de se faire racheter pour 148 milliards et que Jeff Bezos construit une horloge géante dans une montagne qui devrait fonctionner pendant 10 000 ans.
À ne pas rater cette semaine
Sinon, on parle aussi pas mal des GAFAM : on vous propose un très long et bon article du NYT sur le droit de la concurrence et Google, un article sur la tentative d’Apple d’acheter autant de cobalt que possible en prévision de sa prochaine pénurie (on ne parle pas assez souvent de l’impact écologique de la tech) et un point sur les dernières propositions en matière de réforme des géants du net. Dans la lignée du rapport d’OpenAI sur les risques de l’IA, on vous suggère également la lecture d’une opinion sur les liens entre démocratisation de l’IA et impact sur la société, ainsi qu’un avis de la CNIL norvégienne sur les liens entre IA et vie privée. On conclut la sélection de la semaine par une séquence droit d’auteur, avec le souhait des majors d’augmenter le périmètre de la copie privée au stream ripping et un bel arrêt d’Assemblée Plénière qui considère que la signature d’une feuille de présence équivaut contrat de cession de droits d’artiste-interprète. On se quitte avec une petite Shower Thought d’Adrien qui vous invite à vous demander si le GDPR interdit ou non les prises de décision automatisées.
Faites la Maj, et à la semaine prochaine !
Ce qu'on lit cette semaine
#blockchain
#bitcoin
#Régulation
#lafindelarécré
L’Autorité des Marchés Financiers poursuit son travail de réflexion autour de l’encadrement des opérations financières réalisées par l’intermédiaire de blockchains, en publiant le bilan de sa consultation publique, qui aura réuni les participations de 82 acteurs du monde bancaire et financier, universitaires, spécialistes, cabinets d’avocats et simples particuliers. La solution privilégiée serait celle d’une législation nouvelle et ad hoc pour les fameux ICO, prévoyant notamment des obligations d’information spécifique à la charge de l’émetteur des tokens, un séquestre des fonds levés et des dispositifs de prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. Une approche qui semble donc prendre le pas sur celle, un temps envisagée, de l’extension de la réglementation actuelle des titres financiers à ces objets d’un genre nouveau, au prix d’un délicat exercice de qualification. A l’heure où les cryptomonnaies même les plus ouvertement burlesques suscitent des niveaux de souscription faramineux, la régulation se fait attendre…
#donnéespersos
#IA
#rgpd
#yaquoidanscetteboite?
C’est un rapport d’une trentaine de pages sur les interactions entre le RGPD et l’intelligence artificielle que nous livre gracieusement l’autorité de contrôle de la protection des données norvégienne, la Datatilsynet. A grand effort de pédagogie, la CNIL scandinave nous explique les différents types d’algorithmes que recouvre usuellement ce que l’on entend par IA avant de s’attaquer à une application, principe par principe, des grandes obligations du futur règlement pour enfin envisager, fait rare, les mesures techniques concrètes qu’il est possible de mettre en oeuvre pour limiter la quantité de données nourrie dans les algorithmes et les impacts que leur traitement pourrait avoir sur la vie privée. En bref, un must read, ne serait-ce que pour ceux qui souhaiteraient comprendre comment fonctionne l’IA.
#PI
#droitsvoisins
#audiovisuel
#si,non,si,d'accord
Une bonne plénière des familles comme cela faisait longtemps. La Cour de cassation se ravise en effet après rébellion de la Cour d’appel de renvoi sur arrêt de la 1ère civile. La question était de savoir si la signature d’une feuille de présence sur le coin d’une table par des musiciens-interprètes avant un enregistrement pour la bande sonore d’une oeuvre audiovisuelle valait contrat avec le producteur au titre de l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle. Nous savons que la réponse est désormais positive. La Cour de cassation a en effet déduit des circonstances de ce que la feuille de présence indiquait clairement l’oeuvre pour laquelle la bande sonore était enregistrée et de la connaissance des musiciens tant de la personnalité du producteur (les services de production dramatique de l’ORTF, ça date) que de la diffusion future de l’oeuvre audiovisuelle future à la télévision à la fois que l’on était bien en présence d’un contrat mais surtout que la finalité de l’enregistrement était d’incorporer la bande sonore dans une oeuvre audiovisuelle finale de sorte qu’elle ne pouvait ainsi en être séparée et justifier la nécessité d’une autorisation additionnelle. Peut-être faut-il y voir une Cour de cassation qui in fine admet que mémé avait été un peu trop poussée dans les orties.
#IA
#cybercriminalité
#fakenews
#larmageddonapproche
L’accessibilité des nouvelles technologies entraîne bien souvent l’émergence de risques nouveaux, à la fois dans leur nature et dans leur volume. Pour les crypto-monnaies, l’on craint ainsi l’intraçabilité des fonds servant au blanchiment d’argent et au financement des activités illicites, pour la génétique, l’on craint l’eugénisme, le clonage ou l’émergence de pathogènes synthétisés, et pour l’IA, l’on craint la disparition de la frontière entre le vrai et le faux et l’exploitation intelligente des failles de sécurité, qu’elles soient informatiques ou humaines. Beaucoup argumentent que la réponse à l’utilisation d’algorithmes malfaisants ne pourra vraisemblablement que passer par l’utilisation d’algorithmes bienfaisants. Doit-on voir dans cette réflexion le présage de l’émergence d’une guerre silencieuse et permanente des machines apprenantes ?
#copieprivée
#Streaming
#youtube
#lamédailleetsonrevers
Une analyse de haute volée sur la dimension éminemment politique (pour qui en douterait encore) du droit d’auteur, et surtout de ses exceptions : alors que les barèmes de calcul de la fameuse rémunération équitable pour copie privée sont en passe d’être révisés, le représentant des “majors” propose d’inclure dans l’assiette de cette rémunération le “stream ripping”, méthode consistant à télécharger un fichier depuis une source en streaming. L’auteur rappelle à juste titre que pour que l’analyse vaille, encore faut-il que la source de la copie soit elle-même licite, introduisant par là une subtile distinction entre les différents sites de streaming, selon qu’ils réalisent ou non eux-mêmes une copie permanente de l’oeuvre protégée. Où l’on constate, surtout, qu’au terme d’un raisonnement un brin paradoxal, certaines majors sembleraient prêtes à renoncer à l’argument de la contrefaçon, pour retrouver leurs petits sur le terrain de son exception – les voies du droit d’auteur sont décidément, parfois, impénétrables.
#concurrence
#techindustry
#google
#toobigtofail?
Un voyage dans l’intimité d’un couple d’entrepreneurs qui a dédié une décennie entière de sa vie à lutter avec acharnement contre Google, alors que le moteur de comparaison de prix qu’ils avaient développé s’était retrouvé du jour au lendemain dans les abysses des pages 2 et suivantes du moteur de recherche du géant de la Silicon Valley. Un voyage également dans l’intimité du droit de la concurrence, son histoire, ses acteurs et sa politique, alors que beaucoup doutent, dont Google elle-même, de son utilité dans l’univers du numérique où toute position dominante ne l’est qu’en apparence. Contre la thèse selon laquelle n’importe quelle start-up montée dans un garage par des refusés des grandes places de l’éducation supérieure pourrait détrôner le mastodonte, cet article illustre comment Google pourrait bien ressembler au monopole pétrolier d’antan de Standard Oil qui avait justifié à lui seul la création des règles en matière d’antitrust. Aujourd’hui comme hier, le droit de la concurrence pourrait bien trouver matière à s’illustrer comme le grand garant du progrès. A lire absolument.
#fiscalité
#GAFAM
#uneassiettebienremplie
Et si cette fois c’était la bonne ? Un rapport du Parlement remet sur la table la question de l’assiette – celle de l’impôt des sociétés multinationales dans l’Union, dont les affaires récentes Luxleaks et Panama Papers ont prouvé qu’il souffrait largement des divergences entre États membres. La proposition de l’euro-député Alain Lamassoure, consistant à intégrer dans la détermination de l’établissement au sens fiscal le critère de “présence numérique”, à travers le volume de données à caractère personnel traité par chaque filiale, pourrait trouver à s’intégrer dans un projet de directive concomitant de la Commission, relatif notamment à l’harmonisation des règles de détermination de l’assiette et de consolidation des comptes au niveau d’un groupe de sociétés. Ce projet global, s’il aboutissait, signerait sans doute la fin des stratégies d’optimisation dite “agressive” des GAFAM dans l’Union. Rien de moins sûr cependant : comme le souligne l’article, de telles ambitions agitent la Commission et le Parlement depuis 1975, et se sont toujours cassé le nez depuis à la porte du Conseil. Un dossier à suivre avec intérêt néanmoins – tout sera question, ici comme ailleurs, de rapport de force politique.
#hardware
#batteries
#lenerfdelaguerre
Après les cryptomonnaies, c’est autour d’une forme de minage beaucoup plus concrète que l’économie de la tech s’enflamme : celle du cobalt, une matière première indispensable pour la construction des batteries au lithium. On apprend ici qu’Apple envisagerait de shunter ses propres sous-traitants pour acheter la matière première directement auprès des sociétés minières. La raison ? L’essor des véhicules connectés, avec leurs batteries volumineuses, laisse envisager des besoins exponentiels du côté de l’industrie automobile, qui cherche également à sécuriser ses filières d’approvisionnement sur le long terme, entraînant ainsi une vaste course au cobalt. Laissez donc tomber vos Ethers et Ripple : l’investissement de demain est un petit métal qui se mine sur le continent africain.