Vous souvenez-vous de l’année de votre baccalauréat ? Nous faisons en effet le pari que cette newsletter est lue par des personnes sinon adultes (c’est dans la tête), du moins majeures, et pour qui les années lycées sont un souvenir plus ou moins éloigné (no offense intended). Quoi qu’il en soit, vous vous rappellerez sans doute l’angoisse plus ou moins grande causé par la suite, à savoir l’entrée dans l’enseignement supérieur, et en tout premier lieu la question cruciale de l’affectation. Droit ou médecine, prépa ou fac – on peut bien dire qu’il se joue là des questions décisives pour le reste d’une vie, ou du moins pour les quelques années qui suivent. Aussi peut-on légitimement se demander qui en décide, et surtout comment (a fortiori en cette période où le bac est sacrément touché par la crise).
C’est ce qu’a fait, très concrètement, l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF), dans le cadre d’un recours devant le Conseil constitutionnel visant les dispositions législatives organisant le nouveau système d’affectation Parcoursup (lequel a succédé en 2018 à feu Admission Post-Bac). Les sages de la rue de Montpensier (on ne se lassera jamais de ces périphrases à la française) ont rendu leur copie en toute fin de semaine dernière, en la forme d’une décision n°2020-834 QPC, laquelle, tout en mitigeant son effet au cas d’espèce, frappe un grand coup avec la consécration d’un “droit constitutionnel à l’accès aux documents administratifs“.
La décision en deux mots (ou presque)
A l’origine de toute cette affaire, une subtilité de rédaction dans les dispositions du Code de l’éducation instituant le système d’affectation Parcoursup : l’article L. 612-3 dudit code évacue en effet subtilement la question de la transparence des modalités de l’algorithme d’affectation, en disposant que la double obligation d’information et de publication à cet égard (prévue par le Code des relations entre le public et l’administration) est réputée assurée par l’indication donnée aux candidats qu’ils peuvent, s’ils en font la demande, se voir communiquer les critères et modalités d’examen de leurs candidatures.
Pour rappel, cette problématique de transparence découle de la structure même du système Parcoursup, fondée sur un double niveau d’algorithmes : l’algorithme central, d’une part (rendu public, quant à lui, en 2018), et les algorithmes “locaux”, c’est-à-dire les algorithmes propres à chaque établissement d’enseignement supérieur, via lequel les commissions d’examen des candidatures au sein de l’établissement concernée décident, concrètement, de l’affectation. Ce sont ces algorithmes locaux qui ont concentré le gros des critiques et inquiétudes depuis l’entrée en application du système, et ce n’est pas, de fait, la première fois que l’UNEF et la juridiction administrative se retrouvaient pour discuter du sujet – ainsi déjà d’un arrêt du Conseil d’Etat du 12 juin 2019 écartant le droit, pour le syndicat étudiant, d’accéder au dossier individuel d’un étudiant. La saga Parcoursup fait écho à celle de son prédécesseur, le système APB, dont le code source avait fini par être publié sous les pressions d’une association de lycéens sous ce même fondement du droit d’accès aux documents administratifs, et qui avait fini par être déclaré illicite par la CNIL en vertu du droit à ne pas faire l’objet d’une décision ayant un impact significatif – la loi informatique et libertés a depuis renversé l’état du droit positif en intégrant en droit français, par dérogation au RGPD, la possibilité pour une décision administrative individuelle d’être fondée uniquement sur des algorithmes (article 47).
Cette fois-ci, la cour suprême de l’ordre administratif a donc transmis au Conseil constitutionnel, en somme, la question suivante : les dispositions précitées, qui ont pour effet de limiter l’accès aux modalités algorithmiques d’examen des candidatures au niveau local (de l’établissement) aux seuls candidats, et postérieurement à la décision prise, sous couvert de protéger le secret des délibérations, ne sont-elles pas contraires à l’article 15 de la Déclaration de 1789 (“La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration“) et à son article 16 (droit à un recours juridictionnel effectif) ?
Si le second fondement est quelque peu balayé, le premier donne l’occasion, pour le Conseil constitutionnel, on l’a dit plus haut, d’intégrer le droit d’accès aux documents administratifs lui-même au bloc de constitutionnalité, dès le point 8 de sa décision, en une formulation exempte d’ambiguïté. Ce n’est pas pour autant un droit absolu (no big surprise), et le Conseil s’empresse de le ménager avec l’autre impératif (en vérité bien compréhensible) qu’est celui de protéger la délibération des commissions d’examen contre toute pression du candidat ou des tiers, en assurant, précisément, le secret de ces délibérations.
Il en résulte, très concrètement (on vous renvoie sans vergogne à la décision pour le détail du raisonnement), que si la limitation temporelle de l’accès aux modalités algorithmiques de l’examen se justifie par un tel souci de protection des délibérations, la limitation en termes de personnes susceptibles d’accéder à l’information apparaît, elle, disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ; en d’autres termes : les établissements ont bien l’obligation de publier leurs algorithmes locaux, mais uniquement après la fin de la phase d’examen des candidatures (et, ajoutera-t-on, dans une version expurgée des détails individuels susceptibles de se rattacher aux candidats en particulier).
Sous les formules, l’impact
Petite victoire, en définitive : il suffirait que l’algorithme local évolue d’une année sur l’autre (et c’est, vraisemblablement, l’objectif même du système) pour que les éléments publiés l’année précédente soient systématiquement frappés d’obsolescence. Dans ces conditions, la publication des modalités des algorithmes locaux revêt un intérêt intellectuel et “documentaire” plutôt qu’immédiatement pratique – d’autant plus que les candidats, premiers concernés, disposaient déjà d’un droit d’accès aux modalités d’examen de leur candidature propre, dont le Conseil constitutionnel rappelle qu’il inclut, par principe, les modalités algorithmiques lorsqu’un algorithme est effectivement mis en oeuvre.
L’enjeu de la décision tient donc peut-être davantage à la formule de principe qui fait de l’accès aux documents administratifs un droit constitutionnel. On ne peut d’abord que se féliciter d’une telle consécration, tant la transparence administrative paraît en berne depuis quelques années, à la suite des espoirs soulevés par la loi pour une République Numérique – le hashtag #wtfcada, inauguré par Nextinpact, nous rappelle ainsi régulièrement comment l’autorité chargée de mettre en oeuvre cette transparence administrative, la CADA, semble en ce moment dériver loin de son rôle.
Reste quand même à saisir la portée d’une telle consécration. Assurément, et la décision d’espèce elle-même est déjà là pour nous le rappeler, on ne saurait exagérer la valeur d’un droit constitutionnel, quitte à jouer les rabats-joie : c’est qu’il est “loisible au législateur d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi“.
Autrement dit, si la valeur positive d’un tel droit constitutionnel est qu’il pourra servir de fondement, le cas échéant, à l’annulation de dispositions législatives qui empêcheraient ou limiteraient l’accès aux documents administratifs, encore faudra-t-il tenir compte des justifications d’autres natures, susceptibles de justifier cette limite ou cet empêchement – comme en l’occurrence le secret des délibérations. En un mot : ici comme ailleurs, la constitutionnalisation du droit fait rentrer ce dernier dans l’ordre des logiques de proportionnalité, qui, sans interdire au législateur de toucher aux libertés publiques, lui imposent du moins de n’y toucher qu’avec des doigts de fée.
La portée du principe doit par ailleurs encore être réduite en ce qu’elle ne vise, littéralement, et de manière assez curieuse, que l’accès aux documents administratifs, dont on sait qu’il se distingue, en la matière, de la publication – de la même manière, en fait, que le pull s’oppose au push en termes d’expérience utilisateur : serait ainsi garanti, seulement, le droit individuel d’aller chercher soi-même activement la copie d’un document administratif, et non pas l’obligation pour l’administration d’agir de manière proactive en faveur de la transparence de ses activités. A ce compte, il y aurait ainsi un clou en plus dans le cercueil des belles intentions de la loi République Numérique.
La restriction apparaît d’autant plus étonnante que la décision du Conseil constitutionnel aboutit bel et bien, en l’espèce, à une obligation de publication – simple légèreté de plume, alors ? On ne doute pas qu’un prochain contentieux – il n’en manque pas – se chargera d’apporter la réponse.