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Celle qui est citoyenne de chez elle – Maj du 24/03/20

L'actu en bref

Cette semaine commence notre deuxième semaine de confinement, dont les modalités viennent d’être resserrées par le gouvernement : jogging dans un rayon d’un kilomètre du domicile, pour une durée d’une heure, une fois par jour, et interdiction de principe des marchés ouverts sont les dernières mesures annoncées – l’attestation de sortie dérogatoire devrait donc désormais être horodatée. Ces annonces font suite à une saisine du Conseil d’État par des associations de médecins qui demandaient à ce que soit ordonné un confinement total – le CE a rejeté la demande tout en invitant le gouvernement à préciser certaines mesures, dont acte. Le confinement dure depuis une semaine et c’est donc assez pour que commencent à se poser les questions compliquées : après “ai-je assez de PQ”, vous vous demandez désormais sûrement si vous pouvez résilier un contrat pour force majeure (ça dépend, moyen quand même, la situation est, on l’espère en tout cas, temporaire donc suspendre peut-être mais résilier bof – TechIn France appelle d’ailleurs à ne pas abuser de la situation, certaines entreprises souffrant déjà de voir leurs contrats s’évaporer, parfois de manière clairement opportuniste) ou si Internet va tenir le coup face à la hausse de trafic – on nous assure que oui, tout en parlant de tension, et donc des efforts sont mis en œuvre : Amazon rend des produits indisponibles (tout en étant très vertement critiqué pour ne pas assez protéger ses salariés), tandis que Netflix, YouTube, Prime Video réduisent leurs débits et que le lancement de Disney+ est retardé. Autre question qui se dessine à l’horizon : celle de l’utilisation des données de télécommunications pour mesurer l’effectivité du confinement, alors que l’EDPB et la CNIL multiplient les rappels sur l’application du RGPD, même en temps de crise. On note aussi les propositions de France Digitale pour aider les startups, le possible tempérament à la chronologie des médias pour que des films sortent directement en VOD, l’organisation des offices de propriété intellectuelle, le record du monde du plus long vol battu par AirTahitiNui, l’interview du premier président de la cour d’appel de Paris pour faire un état des lieux, et l’ouverture de jeux de données sur l’épidémie en open data. Pour en finir avec ce sujet, rappelons nous les précautions sanitaires, et notamment comment bien se laver les mains.

Sur une autre note, la Cour de cassation a récemment rendu un arrêt sur le dénudement de poitrine (féminine) sur lequel le site Droit et Technologie vient de publier un commentaire auquel nous souscrivons entièrement ; et la chute spectaculaire du cours du Bitcoin interroge sur sa véritable utilité comme une réserve de valeur. Et oui, en fait, la pandémie contamine toute l’actu ! On en profite pour un point vocabulaire pédant pour animer vos visio-apéros : l’épidémie est le fait du coronavirus (une famille de virus entourés d’une couronne d’où le nom) SARS-CoV-2, qui provoque la maladie COVID-19 anciennement connue sous le nom de 2019-nCoV. Voilou. Sinon, pour égayer votre confinement, vous pouvez lire ces 13 bonnes nouvelles, vous bercez à cette douce musique de bruits d’open space pour télétravailler comme si vous y étiez, mater des concerts de Jean-Louis Aubert ou Neil Young en Facebook Live, écouter des podcasts tech, visiter des musées en réalité virtuelle, assister à des opéras sur votre télé, le tout en dégustant des Quarantinis

Faites la Maj, restez chez vous, et à la semaine prochaine !

Après une première semaine passée à voir le printemps s’installer depuis nos fenêtres ou, pour ceux qui sont subitement devenus l’élite sociale de Paris, depuis nos balcons et autres jardinets, on peut dire que nous sommes des habitués du confinement et de la vie en temps d’urgence sanitaire – c’est donc le moment de prendre de la hauteur et de penser libertés.

Le rôle de l’État en temps de guerre

Nous sommes en guerre” nous a récemment répété le Président de la République, en guerre contre un ennemi diffus, impossible à voir à l’œil nu, et dont les attaques ne se font sentir qu’une fois qu’il a déjà pénétré en vous. Le choix du vocabulaire guerrier n’est pas anodin : la conduite des opérations militaires relève des pouvoirs exclusivement régaliens. La volonté du discours présidentiel est claire : en cette période trouble, l’État assurera sa mission de défense des citoyens contre la menace fantôme. Si l’on comprend aisément le message sous-jacent à ce vocabulaire militaire, on ne peut s’empêcher de se demander s’il était tout à fait nécessaire : il est également du rôle de l’État de garantir la sécurité et l’ordre publics, en ce compris la santé publique.

Les périodes de crise comme celle que nous vivons nous forcent à un retour à l’essentiel : nous sommes rétrogradés dans notre pyramide maslowienne des besoins en ce que nos besoins de base de santé et sécurité sont menacés. Nous attendons alors légitimement du pouvoir qu’il en revienne à ses missions fondatrices et assure l’ordre et la santé publique, si nécessaire par le biais du monopole de la violence légitime que nous lui avons confié et qui peut s’avérer essentiel (par exemple pour assurer le respect du confinement). Une guerre pour la santé publique : l’État se veut notre phare dans ce brouillard viral.

Le retour aux bases (interlude musical) s’accompagne généralement d’une privation de libertés. Elle se comprend parfaitement : en temps de guerre, il est inconcevable de permettre une libre circulation des personnes – l’exercice de cette liberté heurte fondamentalement la mission primaire de l’État. La protection de la santé des uns (les plus fragiles) suppose dans les conditions actuelles la limitation de la liberté des autres (les bien-portants), au gré d’un calcul d’équilibriste pas toujours bien compris, hélas. Ainsi, les mesures relèvent de la responsabilité de l’État : si les mesures adéquates ne sont pas prises, il pourra être légitime de rechercher sa responsabilité (si l’on survit à la guerre, cela s’entend).

La proportionnalité comme boussole

À l’inverse, la prise de mesures trop contraignantes, disproportionnées à la situation, est elle aussi un motif d’engagement de la responsabilité de l’État. L’idée n’est pas saugrenue : les temps de guerre, même contre un ennemi invisible comme celle qui est présentement menée, sont souvent l’occasion d’adopter des mesures visant à rétablir l’ordre dont la portée et la mise en œuvre dépassent ce simple cadre et s’installent de manière pérenne dans le retour à la normale. Le Patriot Act américain, qui a fondé la montée en puissance de la NSA avec les dérives qu’on lui connait, ou plus proche de nous, la loi sur le renseignement de 2015.

Des potentialités de dérives se distinguent déjà à l’horizon de cette première semaine de confinement : on parle de recourir à l’analyse des données de télécommunication pour s’assurer de l’effectivité des mesures adoptées, de restreindre encore plus les libertés d’aller et venir, ou encore de porter atteinte à la neutralité du net pour privilégier certains flux de données sur d’autres.

Toutes ces mesures peuvent parfaitement être utiles à la résolution de la crise ; elles peuvent tout autant porter de graves atteintes à nos droits et libertés, comme le note déjà le NY Times sur la vie privée. Il s’agit donc de trouver les mesures adéquates, proportionnées à la situation : comme l’explique avec clarté le professeur Didier Truchet, la limitation dans le temps des mesures est essentielle à caractériser leur proportionnalité. Le gouvernement semble avoir pris la mesure de la situation : malgré l’emploi du vocabulaire guerrier, Emmanuel Macron a tenu, dans ses interventions, à rappeler que les mesures étaient adoptées après consultation de spécialistes et seraient nécessairement limitées à la stricte durée nécessaire. Le Conseil d’État vient par ailleurs de rejeter un recours visant à imposer un confinement total, considérant que cette mesure risquerait de causer de graves ruptures de ravitaillement, ce qui serait une atteinte au droit à la vie que le confinement vise justement à protéger, tout en enjoignant le gouvernement à préciser certaines mesures en place.

La situation des dirigeants à l’heure actuelle n’est donc pas aisée : la gestion d’une telle crise les place entre le marteau et l’enclume, un besoin impérieux de résorber la crise légitimant le recours à des mesures temporaires et proportionnées de restriction des libertés, qui peuvent produire un retour de flamme à tout moment. Cette difficile pondération pose, plus généralement, une question de fond : un système démocratique peut-il efficacement faire face à une crise sanitaire ou seul le recours à des mesures telles que celles prises par l’État chinois (scellés sur les portes d’habitation, drones qui patrouillent dans les rues pour identifier les contrevenants au confinement par reconnaissance faciale…) sont à même de la résoudre ?

La réponse est encore à écrire et, à notre sens, sera déterminée par la capacité de chacun à s’autodiscipliner en s’imposant à soi-même la rigueur à laquelle l’État pourrait nous contraindre. D’une certaine manière, respecter les mesures de confinement, c’est certes œuvrer à la santé de tous, mais également mener un combat pour le modèle démocratique. En ces temps de retours aux bases donc, être citoyen, c’est rester chez soi, tolérer de manière vigilante et observer strictement les restrictions à nos libertés, en gardant l’œil ouvert pour nous assurer que ces restrictions sont bien proportionnées et ainsi participer au débat public, à distance bien sûr !

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, en gardant le flow !