C’est une conséquence incongrue du shutdown aux États-Unis : pendant que les fonctionnaires fédéraux étaient cantonnés chez eux, faute de budget pour les payer, le site de pornographie PornHub a connu une augmentation de 6% de son trafic en provenance de la capitale américaine. Nous passons tant de temps à nous interroger sur les impacts sociétaux, environnementaux, politiques, économiques et juridiques du numérique que nous en avions presque oublié le plus élémentaire : son impact sur le sexe. Et pourtant, les enjeux sont tout aussi complexes, tout en étant peut-être plus croustillants ?
Nouvelles pratiques, vieilles problématiques
Au-delà de l’explosion de la pornographie en ligne, qui représenterait de 5 à 15% de l’entièreté d’Internet, le numérique s’est infiltré dans nos vies romantiques comme dans tous les autres pans, amenant avec lui de nouvelles façons de se rencontrer et d’échanger, mais pas que. Maintenant que tous nos objets deviennent “intelligents” ou “connectés”, nos jouets pour le lit le sont aussi : le marché des vibromasseurs ne cesse d’intégrer des fonctionnalités numériques, permettant notamment d’interagir à distance, qu’il s’agisse d’un smartphone à quelques mètres ou d’une personne à plusieurs milliers de kilomètres de là.
Bien évidemment, ces jouets sont tout aussi sécurisés que le reste de l’internet des objets, à savoir pas du tout, et il n’aura pas fallu attendre longtemps avant que des pirates commencent à pirater des jouets érotiques, ce qui pourrait être poursuivi sur le fondement de l’intrusion dans un système informatique comme sur celui de l’atteinte sexuelle ou du viol. Si en plus le jouet stocke des données en local, ce sont donc des données relatives à vos habitudes sexuelles qui peuvent ainsi aisément être subtilisées. Le risque social est, certes, nouveau dans sa forme, mais pas juridiquement, de telles données étant en effet protégées de longue date par le droit en tant que données sensibles, que ce soit par la LIL et maintenant par le RGPD. Tous les enjeux de l’Internet des objets se répercutent ainsi dans ce nouveau marché du sexe connecté : sécurisation des objets eux-mêmes, des protocoles de communication avec d’autres appareils, des transferts des données à d’autres destinataires et du stockage de ces données sont ainsi les principaux maillons de la chaîne de sécurisation de nos vies connectées, qu’il s’agisse d’un frigo ou d’un fleshlight.
Pratiques futures
Il est cependant rare que la technologie se limite à des changements de surface de nos pratiques : rencontres en ligne plutôt que dans un bar, jouet à télécommande plutôt qu’à bouton, il n’y a somme toute rien de très étonnant. C’est sans compter de nouvelles formes de désir et de sexualité qui peuvent également commencer à émerger, notamment par le biais de la réalité virtuelle et du développement de la robotique et de l’intelligence artificielle. L’humain dessine ses fantasmes depuis toujours, et ceux-ci ont également toujours contenu une part d’imaginaire (les fresques de Pompéi sont assez explicites) ; la technologie permet désormais de visualiser ces songes, voire de leur donner corps. Il n’est ainsi pas saugrenu de concevoir d’ici à quelques années la création de vidéos pornographiques en réalité virtuelle parfaitement personnalisées selon vos désirs, ou des automates sexuels tout aussi individualisés.
Ces développements sont évidemment susceptibles de soulever un grand nombre de questions. On voit dès aujourd’hui les risques posés par les deepfakes et l’on imagine aisément les dérives similaires qui pourraient survenir avec de telles évolutions. D’une manière générale, les mutations ainsi décrites sont susceptibles de permettre la reproduction de comportements condamnables et/ou sexistes, et se posera ainsi rapidement la question des atteintes à la dignité de l’humain lorsque cette atteinte est commise virtuellement ou sur des robots (à noter que l’on n’envisage même pas ici de robot parfaitement pensant, et bien uniquement des versions améliorées de Siri intégrées à des versions améliorées des actuelles androïdes). Il ne faudra pas longtemps avant que la notion d’amour envers un robot, une intelligence artificielle ou une création virtuelle n’émerge – c’est même déjà le cas avec ce que l’on appelle la digisexualité. Au-delà de ces nombreuses problématiques, une question demeure : comment évolueront nos fantasmes, si nous devenons désormais capables de leur donner vie instantanément ?
Ce qu'on lit cette semaine
#digisexualité
#IA
#Robots
#jet’IAme
C’est l’une des conséquences presque logique de l’imbrication toujours croissante de la technologie dans notre quotidien et du développement de la technique. En Novembre de l’année dernière, M. Kondo (pas Marie, rien à voir fils unique), s’est marié symboliquement au Japon avec un hologramme. Derrière cet évènement, qui est loin d’être le premier, se cache l’émergence d’une nouvelle forme d’orientation sexuelle : la digisexualité. Que ce soit en Chine, au Japon ou en France, de plus en plus d’individus se tournent en effet vers les machines, pour leur capacité à simuler certains aspects des relations humaines, qu’elles soient intellectuelles ou physiques, ou justement pour les différences qu’elles offrent. Et avec des robots sexuels à visage interchangeable à 12.000 dollars pièce, le marché est déjà là pour en témoigner. Mais à côté de la digisexualité, en tant qu’orientation sexuelle légitime, se pose la question de certaines pratiques qui l’accompagnent. Car ce robot sexuel à visage interchangeable peut-être façonné pour ressembler à une personne existante ou encore être le support de l’expression de la violence faite aux femmes, voire même, à plus long terme, donner lieu de s’interroger sur la possibilité d’un consentement propre à la machine. Vous l’aurez compris, le sujet est très complexe.
#facebook
#plateformes
#Régulation
#delatechnosouslemanteau
Une association a eu accès à 4 ans de minutes d’entretiens entre les instances de l’UE et l’éditeur du plus grand réseau social du monde. L’historique des échanges traduisent la construction d’un dialogue de malentendants entre Facebook et les institutions unionistes. Texte après texte, la firme américaine a tenté de faire entendre ses arguments, presque libertariens, pour s’opposer à la régulation accrue auxquelles les plateformes deviennent soumises. Texte après texte, les représentants de l’UE ont maintenu qu’une loi valait mieux que des Terms of Services, et que les consommateurs n’étaient pas si libres que Facebook avait l’air de penser. Realpolitik oblige, cela ne veut pas pourtant dire que Facebook n’est pas capable de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, quitte à tenir des doubles discours comme en condamnant publiquement l’article 13 du projet de directive droit d’auteur, tout en discutant dans les bureaux de Bruxelles des technologies qui pourraient effectivement être utilisées pour filtrer le contenu à l’upload juste pour éviter une réforme de la responsabilité des intermédiaires techniques. S’il apparait que Cambridge Analytica puisse avoir infléchi la position de Facebook, l’on regrettera que cela soit intervenu qu’après que tout le monde, parlementaires américains compris, lui soit tombé dessus. Certains y verront peut-être le signe que la régulation ne peut justement que venir d’en haut.
#droitd'auteur
#article11
#éditeursdepresse
#plusvitequelamusique
Quand il s’agit de faire plier les Goliaths américains, il semblerait que la France ne veuille pas attendre que les choses bougent à l’échelle unioniste pour avancer. C’est ainsi que la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse, qui court-circuiterait à bien des égards l’article 11 du projet de directive droit d’auteur, a été votée par le Sénat à l’unanimité. Visant initialement à créer un droit opposable aux fournisseurs de service de référencement, la version transmise par le Sénat à l’Assemblée Nationale couvre désormais toute reproduction ou communication de publications de presse par un service de communication au public en ligne. Sorte de lot de consolation pour les fournisseurs de services en ligne, la durée du droit voisin proposé est passée de 50 à 5 ans. L’on relèvera avec intérêt l’exemple de ce qui s’est passé en Allemagne après qu’y ait été introduites des règles similaires : les éditeurs de presse, ayant constaté une chute record de la fréquentation de leurs sites après que Google ait supprimé l’affichage d’extraits de publication des résultats des requêtes sur son moteur de recherche, ont accordé des licences gratuites à la firme américaine. On vous laisse vous faire votre avis.
#cybersécurité
#anssi
#UE
#géopolitique
#lecontinentinconnu
Nous l’affirmions à plusieurs reprises l’année dernière : entre prise de conscience des enjeux et propulsion de solutions audacieuses, 2019 sera sans conteste l’année de la cybersécurité. En témoignent ces prises de parole officielles au Forum International de la Cybersécurité tenu à Lille il y a quelques jours : le souci d’une politique cohérente et pro-active au niveau européen s’affirme de plus en plus, avec notamment la question du renforcement des pouvoirs de l’ENISA (agence européenne de la cybersécurité) et une possible action législative contre la désinformation (la loi fake news ferait-elle des émules ?). Le sujet de la preuve numérique revient également, en parallèle de celui de la lutte contre les contenus terroristes et les contenus haineux : l’opportunité d’un Cloud Act à l’européenne semble envisagée – et ce tandis que l’ANSSI dénonce les risques posés par ce texte américain, et indique son refus de qualifier des solutions qui se prêteraient à son jeu. Tout ceci pour rappeler, à qui l’aurait oublié, que la cybersécurité, entre attaques d’Etat et intérêts bien compris, reste aussi et surtout une affaire de géopolitique, dans laquelle l’Europe aura tout à gagner à s’aligner pour peser. Il en va, après tout, de la protection si ce n’est de la vie de ses citoyens.
#privacy
#informatique&libertés
#GAFAM
#librearbitre
#lesnouveauxpanurges
Et si par-delà les années, la loi “Informatique & Libertés” avait vu juste – plus juste, en fait, que la plus récente loi relative à la protection des données personnelles, ou même que le RGPD ? C’est que ce à quoi nous assistons aujourd’hui, à bien y regarder, va bien au-delà de la simple question des données, de leur traitement licite ou non : ce qui est en jeu, plus substantiellement, ce sont nos libertés au sens large, et en premier lieu notre libre arbitre. Cette interview crépusculaire a le mérite de le rappeler, en pointant du doigt l’émergence désormais bien acquise d’une nouvelle forme de capitalisme fondée sur la surveillance, la prédiction et in fine le changement du comportement des utilisateurs (surveillance capitalism), culminant en ce triste constat que, ainsi contrôlés et influencés, nous ne nous appartenons plus véritablement nous-mêmes. Comment ne pas y voir une forme tragique de lucidité, à l’heure des craintes relatives à la désinformation, de la dénonciation du pouvoir des GAFAM et des risques de l’hyper-connectivité ? Il y a là tout un paradigme, un esprit du temps, face auquel, si l’on veut y répondre, la protection des données à caractère personnel par voie réglementaire n’est qu’un élément parmi d’autres, et peut-être même pas le plus important : c’est à une reprise en mains individuelle et collective que les intéressés nous appellent. Le droit doit ici comme ailleurs admettre les limites de son pouvoir.
#IA
#automatisation
#travail
#discrimination
#theexpendables
Le robot qui remplace l’humain sur son lieu de travail est un fantasme hérité des premières révolutions industrielles – fantasme positif pour certains, qui y voient l’opportunité d’une retraite anticipée ; fantasme horrifiant pour d’autres, qui y lisent le risque d’un déclassement et d’une perte de sens personnelle. A l’aune de cette étude sur les effets de l’automatisation par l’IA sur le marché du travail, on ne peut que tirer les conclusions (i) que ce fantasme, quoi qu’on en dise, est en passe de se réaliser, et (ii) que ses conséquences dépendront essentiellement de politiques publiques au sens large, la technologie reflétant ici encore pour beaucoup, en les catalysant, nos choix sociétaux et leur impact. Ainsi l’automatisation serait-elle plus susceptible d’affecter les hommes, les minorités et les jeunes travailleurs – fidèle en ceci à la distribution du travail telle qu’elle existe aujourd’hui, du moins aux Etats-Unis : les tâches les moins qualifiées seraient naturellement les plus substituables, et avec elles les catégories de travailleurs déjà stigmatisées par le contexte économique. D’où des risques de discrimination économique renforcés et de plus en plus inextricables pour ceux qui les subissent ; d’où, aussi, un besoin impérieux de préparer cet avenir dès aujourd’hui, en concentrant les efforts sur le reclassement préventif de ces catégories de population, sauf à vouloir laisser toute une frange de la population “sur le carreau”.