Alors que le droit s’intéresse de plus en plus au monde de la tech, surtout en Europe sous l’action des juges comme des législateurs et des régulateurs, on en oublierait presque que, réciproquement, la tech s’intéresse au droit. On peut en effet considérer le monde du droit comme un marché pas plus différent qu’un autre, prêt à être conquis puisque jusqu’à présent, seul un petit nombre d’acteurs s’y aventurait. Le développement des regtechs (innovations pour mettre en oeuvre les réglementations, principalement financières – un forum leur est consacré le 9 octobre à Paris), de la privacy tech (vive le GDPR) et plus généralement des legaltechs montre ainsi un marché en plein essor, mais dont les problématiques sont les mêmes que dans le monde de la tech traditionnelle.
Le droit face à la tech du droit
De la même manière que pour la tech plus traditionnelle, des appels à une régulation de la legaltech se font entendre de plus en plus régulièrement – l’un des acteurs les plus actifs à cet égard étant d’ailleurs le CNB. La position se comprend, puisque derrière l’ombre des legaltechs se dresse le spectre de la déréglementation du marché des prestations juridiques : là où le marché du droit comprend de nombreuses possibilités d’initiatives et, sauf exceptions, est ouvert à la concurrence, le marché de la prestation juridique, lui, est strictement réglementé.
Au-delà du souhait de garantir les valeurs de la profession d’avocat, les appels à la régulation des legaltechs répondent à d’autres inquiétudes : éviter une “justice prédictive” qui conduirait à anéantir l’individualité du jugement, éviter le profilage et la notation des juges, qui aboutirait au forum shopping et une potentielle baisse de qualité de la justice, éviter des déboires juridiques à des particuliers qui bénéficieraient de prestations juridiques de piètre qualité. Les appels se font d’autant plus pressants que de premiers scandales éclatent au sein de la legaltech, avec les premières réponses de la part de l’écosystème comme des premiers concernés.
La régulation d’un ensemble hétérogène
Il est intéressant de noter que le terme de legaltech renvoie à diverses réalités et activités qui diffèrent en fait grandement les unes des autres : sous ce même chapeau, on évoque ainsi aussi bien des acteurs comme Predictice, qui tentent de permettre de prédire les résultats d’une action en justice en fonction des statistiques issues de la jurisprudence, des initiatives comme Legalstart ou Captain Contrat, qui promettent de faciliter la création de documentation juridique, ou encore des systèmes résolution des litiges comme eJust.
La régulation de la legaltech semble ainsi être un concept aussi flou que celui de régulation de l’intelligence artificielle : comment concevoir et mettre en œuvre des règles communes à des acteurs si variés ? Une certification et la présence d’un avocat sont-elles vraiment nécessaires pour la création d’une plateforme de mise en relation ou pour un moteur de recherche juridique ? Comme pour la régulation de l’intelligence artificielle, seuls des impératifs de loyauté et de transparence semblent pouvoir s’appliquer à l’ensemble des acteurs sans distinction – et ces règles figurent déjà, en partie, dans la loi. La réglementation sectorielle, elle, devra nécessairement découler des pratiques et d’un dialogue entre l’ensemble des parties prenantes.
Ce qu'on lit cette semaine
#donnéespersos
#consommation
#dgccrf
#bisinidem
#ledoubleeffetkisscool
Dans le contexte d’une volonté politique de plus en plus nette d’encadrer l’activité des grandes plateformes agrégatrices de données, ces dernières voient l’Union Européenne dégainer de nouveaux outils, moins attendus clairement que le GDPR : ainsi en particulier du droit de la consommation, comme le fait savoir la Commission dans cette injonction faite à Facebook et Twitter de clarifier leurs politiques de confidentialité. Point d’article 12, 13 ou 14 du GDPR ; non : simplement cette bonne vieille exigence de clarté et d’intelligibilité du cadre contractuel proposé aux consommateurs. De ce point de vue, il est vrai que les deux réglementations ont en partage un principe de transparence et une volonté forte de protéger des parties faibles ; on ne saurait dès lors vraiment s’étonner de voir ces deux bras armés de l’Union converger pour servir les mêmes objectifs. L’une des deux sociétés au moins en a déjà fait les frais : Twitter, par un récent jugement du Tribunal de grande instance de Paris, se voyait ainsi ordonner de supprimer plusieurs centaines de clauses illicites et/ou abusives, sur les fondements mêlés du Code de la consommation et de la Loi Informatique & Libertés (applicable en la cause, pré-GDPR). Combinée à l’action de groupe du nouveau règlement, les actions collectives des associations de consommateurs doivent donc plus que jamais inviter les grands acteurs à s’orienter vers des documentations contractuelles ergonomiques, visuelles, en un mot “user-centric”. Si le coeur y est, une chose est donc sûre : le legal design a de beaux jours devant lui.
#concurrence
#bigdata
#concentration
#marketplace
#laissezlesdataveniràmoi
D’aucuns diraient qu’elle fait flèche de tout bois ; quoi qu’il en soit, il est clair que l’Union Européenne s’intéresse à tous les moyens dont elle peut disposer pour recadrer ce qu’elle perçoit comme les dérives des grands acteurs économiques vis-à-vis de ces situations. GDPR, droit de la consommation, et (une fois n’est pas coutume) droit de la concurrence : après Microsoft, Apple et tout récemment Google, la Commission Européenne, menée à cet égard par la désormais bien connue commissaire Margrethe Vestager, s’attaque désormais à Amazon, sous l’angle (original et riche de développements attendus avec impatience par de nombreux partisans d’une régulation en ce sens) de la concentration des données à caractère personnel. Théorie des facilités essentielles, définition du marché pertinent par référence à la nature et à l’appropriation de données clients… Les théorisations en ce sens ne manquent pas, pour dire que le droit de la concurrence a de belles cartes à jouer comme relai du GDPR pour casser la domination des géants (voire, disons-le tout franchement, a même de plus belles cartes à jouer encore que le GDPR lui-même). Reste à voir ce qu’il en ressortira ; ici comme ailleurs, il est probable que la phase d’investigation sera longue et sinueuse. Les conclusions, gageons-en, n’en seront que plus intéressantes à analyser.
#internet
#hébergeur
#Régulation
#ungrandpouvoir...
On ne vous sortira pas à nouveau la phrase de l’Oncle Ben (celui de Peter Parker, pas celui grâce à qui les plats préparés sont toujours un succès) ; il n’empêche que le législateur français comme européen semble s’en inspirer de plus en plus fortement, lorsqu’il s’agit de responsabiliser les grands acteurs qui font tourner l’Internet moderne, collaboratif. Un pas de plus est franchi avec ce rapport remis au gouvernement sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet, porteur de nombreuses préconisations en faveur d’un renforcement des obligations des plateformes (ici appelées “accélérateurs de contenus”) dans le cadre de cette lutte. Un délai de 24h leur serait notamment imposé pour le retrait des contenus signalés par les autorités ou une décision de justice, ou encore qui seraient “manifestement illicites”. Cela vous rappelle quelque chose ? Après la proposition de la Commission Européenne prévoyant un retrait en une heure pour les contenus terroristes, et l’article 13 de la directive Copyright prévoyant une obligation de filtrage, le régime général de l’hébergeur, fixé il y a vingt ans bientôt par la directive eCommerce, semble s’effacer de plus en plus, pour ces “hébergeurs-mais-plus-vraiment”, derrière une série de réglementations sectorielles. Plus que jamais, l’orientation semble donc celle d’une qualification et d’un régime nouveaux, pour ces acteurs décidément aussi difficiles à cerner qu’ils sont lourds d’importance et d’enjeux pour l’économie actuelle d’Internet.
#e-santé
#assurances
#objetsconnectés
#fouettéparunalgo?
L’assureur américain John Hancock Financial a généralisé à tous ses contrats d’assurance-vie la pratique consistant à accorder aux assurés une diminution de leur prime d’assurance s’ils atteignent certains objectifs d’activité physique, laquelle doit être mesurée par un bracelet ou une montre connectés. Le parti pris est nécessairement polarisant. Certains y verront la mise en place d’un système plus « juste » et « méritocratique » permettant à chacun des assurés de payer une prime d’assurance personnalisée plutôt qu’une prime calculée par amalgame en fonction de l’appartenance des assurés à des profils types. D’autres y verront une incitation économique à communiquer ses données de santé et à se plier aux exigences d’un algorithme. Alors, vous êtes côté pile ou côté face ?
Et parce qu’on ne va pas se gêner pour le dire, Mathias nous parlait déjà de cette problématique en 2016 dans son tout premier article, dans le Monde.
#biohacking
#immortalité
#Transhumanisme
#tumefilesunprozac?
Il prend régulièrement des micro doses de LSD pour augmenter sa productivité, ingère 60 pilules par jour, dont des antidépresseurs alors qu’il n’est pas dépressif, ne mange plus d’aliments manufacturés, porte des aides auditives sans être pas malentendant, s’est implanté un capteur sous la peau pour mesurer son taux de glucose sur son téléphone et n’aime pas que le gouvernement lui interdise de faire des choses ? Détrompez-vous, ce n’est pas Jean Michel Silicon Valley, mais Serge Faguet, un entrepreneur russo-américain qui synthétise tout un pan de la culture tech en Californie. Outre l’exotisme du portrait, l’on relèvera cette vision du futur selon laquelle nous entrerons dans une course à la mise à jour biologique qui favorisera les plus riches, lesquels, heureusement, ne trouveront aucun intérêt à dominer le reste de l’humanité. Ambiance.
#techindustry
#mesuresgouvernementales
#plusdebrasenfer
Tout le monde s’est déjà au moins une fois réveillé un matin avec la ferme envie de se rendre dans une ville industrielle en bordure de Paris et de dévoiler un plan d’action gouvernemental. Là où beaucoup y renoncent, Edouard Philippe le fait. A l’occasion d’un déplacement à Vélizy-Villacoublay, le premier ministre a dévoilé une série de mesures pour accompagner la transformation digitale du secteur secondaire. Il est donc question de mettre en place un soutien à l’investissement des PME dans la robotisation par suramortissement, une réduction de l’imposition des revenus tirés des licences de logiciel ou de la fiscalité énergétique des datacenters, une nouvelle offre de prêt avec un budget d’1 milliard d’euros et un accompagnement particulier des zones rurales et périurbaines. L’on espèrera que cela permette à l’industrie française de rattraper le retard dont elle souffre, l’Italie mais surtout l’Allemagne étant bien plus avancés dans la robotisation industrielle, tout en regrettant que la question de son impact social ne soit pas évoquée.