Vous êtes au bureau, en train de plancher sur votre dernier projet, quand vous vous posez une question essentielle pour l’avancée du dossier. Vous réfléchissez une minute et posez la question à Google, sans lever le petit doigt – la question est transmise par une interface cerveau-machine sans fil. Quelques millièmes de seconde plus tard, quasi instantanément, vous avez la réponse, au sens littéral du terme : il ne s’agit pas d’une liste de résultats sur un écran mais bien d’une information en vous : vous connaissez la réponse.
La multitude transhumaniste
Il y a peu de personnes aussi hyperactives qu’Elon Musk, qui en plus d’être le fondateur de PayPal et le CEO de Tesla et SpaceX, est aussi le CEO et fondateur de sociétés moins connues comme the Boring Company, pour creuser des tunnels, fluidifier les transports et mettre des lance-flammes entre les mains de 20000 personnes, et Neuralink, dont le principe est de rendre possible notre petite scénette d’introduction en nous permettant de nous implanter une petite puce rendant possible les interfaces humain-machine mais aussi la communication à distance d’humain à humain. L’entreprise, créée en 2016, vient juste de dévoiler un premier papier scientifique, montrant des progrès phénoménaux dans le développement de machines permettant d’implanter des puces dans le cerveau humain et dans la miniaturisation et les capacités desdites puces. Selon beaucoup de spécialistes en intelligence artificielle, il s’agirait notamment du seul moyen de parvenir à une forme d’intelligence artificielle générale, non limitée à une seule fonctionnalité comme aujourd’hui. Dit autrement, la perspective de parvenir à développer une conscience artificielle est peu probable, tandis qu’il est parfaitement possible de concevoir que l’on réussisse, de notre vivant, à connecter un cerveau humain à la puissance de calcul d’un ordinateur, et donc obtenir, de facto, une conscience semi-artificielle. Que l’on le veuille ou non, la recherche avance, et il est donc urgent de se saisir des nombreuses questions que suscite le projet des interfaces homme-machine.
Ces questions ne diffèrent pas grandement de celles posées par le mouvement transhumaniste de manière plus générale. Il est compliqué de parler du transhumanisme, car il s’agit en fait plus d’une idée générale qui guide une multitude de déclinaisons différentes, parfois opposées : celle qu’il est souhaitable de modifier le corps et/ou l’esprit par la technologie. Une fois cet axiome posé, il est effectivement possible de multiplier les courants de pensée et de recherche, dont les principaux consistent à chercher à lutter contre le vieillissement et à parvenir aux interfaces homme-machine. C’est là que l’on perçoit ainsi la complexité du courant transhumaniste : on peut souhaiter vivre longtemps, voire éternellement, tout en étant opposé au concept de cyborg. Il n’en reste pas moins que l’ensemble des sensibilités transhumanistes sont bien liées par cette envie de prendre le contrôle de l’évolution grâce aux évolutions technologiques. Si votre première question est “pourquoi ?“, elle est légitime et il ne nous appartient pas forcément d’y apporter la réponse, a fortiori compte tenu de la diversité qui existe au sein des communautés transhumanistes. Il est néanmoins certain que cette réponse repose en partie sur la reconnaissance du fait que la science permet aujourd’hui de prendre le contrôle d’un phénomène jusque là uniquement laissé au hasard, notre évolution, et que la rationalité, la prévisibilité et la science sont des valeurs plus fortes et souhaitables que le hasard, ce dont nous vous laisserons juges.
Le retour du consentement
Une autre question intéressante dès à présent est celle de la licéité des projets transhumanistes. L’interface homme-machine de Neuralink devrait, dans un premier temps, servir à guérir des troubles du cerveau comme les troubles de la mobilité pour certains amputés ou des troubles sensoriels comme la cécité ou la surdité. Rapidement, le but ne devrait cependant plus être la simple guérison, mais bien l’augmentation, la faculté d’adopter Neuralink non pas pour répondre à une déficience quelconque mais pour être plus. En droit français, le principe d’inviolabilité du corps humain garanti par les articles 16 et suivants du Code civil a notamment pour corollaire le fait qu’il “ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui“. L’implantation d’une puce dans le cerveau constitue probablement une atteinte à l’intégrité d’un corps humain, mais s’agit-il d’une atteinte à l’intégrité du corps humain ? Le texte peut en effet renvoyer aussi bien à une conception individuelle de la notion de corps – y-a-t’il atteinte à un instant précis contre cette personne précise – qu’à une vision plus large de l’humanité et de sa dignité, le problème étant alors de déterminer s’il y a atteinte à la dignité humaine. La réponse sera-t-elle différente lorsque, dans quelques années peut-être, ces interfaces seront devenues la norme ? Aux États-Unis, la Cour Suprême a par exemple étendu la protection de la vie privée et du domicile aux informations contenues dans un téléphone, rendant nécessaire l’obtention d’un mandat pour en fouiller le contenu, ce parce que nos smartphones sont devenus des extensions de nous-mêmes.
La question de la définition de la nécessité médicale et de l’intérêt thérapeutique d’autrui est tout aussi clef et tout aussi compliquée : il est probablement assez consensuel de considérer que rendre la vue à une personne souffrant de déficiences visuelles est une nécessité médicale. La réponse change-t-elle si la personne est née non-voyante et a toujours été non-voyante ? Si le mécanisme de guérison employé permet non seulement de recouvrer la vue mais d’acquérir des capacités visuelles surhumaines ? De la même façon que la notion de normalité est relative et évolutive, celle de la nécessité médicale repose grandement sur nos capacités à un instant donné : c’est notamment le cas de la chirurgie esthétique réparatrice, qui n’existait pas il y a peu et qui aujourd’hui est prise en charge par l’assurance maladie. In fine, la grande relativité des réponses à ces questions fait que l’on a tendance à s’en remettre à la liberté individuelle, au fameux consentement. Son sens est essentiel dans le contexte de l’évolution du transhumanisme : il ne s’agit en effet pas tant de s’assurer que la personne qui suit une modification transhumaniste y consent que de garantir le droit de ceux qui ne le souhaitent pas à pas consentir. Si l’on imagine un monde où la majorité des personnes peuvent accéder instantanément, par la pensée, à l’ensemble de la connaissance humaine, il reste nécessaire de préserver la place de celles qui ont refusé ce changement, mais qui n’en demeurent pas moins (voire plus ?) humaines.
Ce qu'on lit cette semaine
#Transhumanisme
#neuralink
#toushumAIns
La semaine dernière était marquée par le sceau du transhumanisme. Et pour cause, Elon Musk et les têtes pensantes de Neuralink ont donné une conférence pour faire état de l’avancement de leurs recherches et de leurs ambitions pour l’avenir. Aujourd’hui, la start-up dit déjà disposer d’un système viable d’implant composé d’un (micro)microprocesseur qui se connecte au cerveau par l’implantation de filaments de la taille des neurones. Cette implantation est effectuée par un robot tisseur travaillant sur une ouverture du crane de 2 millimètres. Une fois placé, le processeur s’interface directement avec un smartphone pour éviter d’avoir des câbles qui pendent de la tête (malin). Si les premiers objectifs de la boîte sont avant tout médicaux et viseront à pallier des maladies neurologiques comme Alzheimer ou les troubles de la motricité – il est prévu de commencer les tests sur des vrais patients dans le courant de l’année 2020 (!) – Elon Musk, avec toute la nonchalance qu’on lui connait pour ce genre d’annonce, n’a pas manqué de faire part de son projet plus long terme d’atteindre une symbiose de l’humain et de l’IA. Si vous vous rechigniez à vous poser la question de savoir « est-ce que c’est vraiment en train d’arriver ? » par peur d’en entendre la réponse, c’est oui, probablement. Pour un résumé de la conférence qu’on vous conseille (vivement) de regarder, c’est ici.
#espace
#droitdel'espace
#spacejammed
Alors qu’Elon Musk, via Space X, a entamé le déploiement de son projet Starlink permettant une couverture internet planétaire par un réseau d’environ 12.000 satellites et que Jeff Bezos, via Blue Origin, parle de colonies spatiales abritant des individus par le million, il semblerait que le droit de l’espace, principalement le Traité de l’espace de 1967, ne soit pas construit pour correctement régir ce genre d’initiatives, voué à se multiplier dans le futur. Deux aspects semblent particulièrement problématiques. Le premier est la gestion de toutes les entités en orbite dont il convient de suivre la trajectoire pour éviter les collisions. Ainsi, les règles existantes pour la gestion et la limitation de débris ne sont pas contraignantes à l’échelle internationale et il n’existe aucun mécanisme pour sanctionner un Etat qui aurait conduit ou autorisé une opération spatialement polluante. De même, le droit de l’espace a-t-il été conçu pour des satellites en orbite géostationnaire (qui restent en un seul point donné relativement à la surface Terre) et il n’existe pas de standards pour réguler et articuler les trajectoires de satellites non-géostationnaires (qui se déplacent relativement à la surface de la Terre). Le second, moins pressant, est la gestion de l’appropriation des ressources spatiales. L’espace et les choses qui s’y trouvent étant jusqu’à présent des res communis, insusceptibles d’appropriation, l’on est aujourd’hui bien loin de savoir comment encadrer juridiquement tous les projets d’exploitation lunaire envisagés de ci de là. Si certains évoquent la possibilité d’un régime pour l’espace similaire à celui des eaux internationales d’autres souhaiteraient la mise en place d’un système de licence gérée par une entité internationale. Pour ceux qui souhaitent se reconvertir, le boulevard est là.
#cookies
#eprivacy
#onvayallertranquille
On les attendait avec crainte, appréhension ou hâte. Les nouvelles lignes directrices de la CNIL en matière de recueil de consentement cookies/traceurs ont été publiées au journal officiel la semaine dernière, abrogeant par là même celles de 2013 que nous avions apprises par cœur. Qu’en dire ? Il y a de l’évident et de la nouveauté. De l’évident d’abord, avec le rappel que la condition de liberté du consentement fait obstacle à l’utilisation d’un cookie wall qui contraint l’utilisateur à consentir pour accéder au contenu souhaité. De même la CNIL rappelle-t-elle que l’exigence de spécificité du consentement nécessite, d’une manière ou d’une autre, de laisser à l’utilisateur la faculté de ventiler son consentement entre chacune des finalités des cookies/traceurs utilisés, excluant ainsi que le consentement soit obtenu de manière globale avec l’acceptation des CGUs. Pour qu’il soit éclairé, et toujours rien de nouveau sous le soleil, l’on retrouve les informations préalables a minima que l’on connait et celles des lignes directrices « consentement » du CEPD. On arrive aux grosses innovations par rapport à 2013, la CNIL reconnait désormais, pour ne pas dire enfin, que la poursuite de navigation ne permet pas la collecte d’un consentement univoque (ce que le G29 disait déjà dans les lignes directrices « Consentement » en 2017, voire même dans son document de travail sur le consentement en matière de cookies de 2013…). Autre fait majeur, la CNIL anticipe sur le règlement ePrivacy, encore et toujours en discussion, avec une exception au consentement circonstanciée pour la mesure d’audience qui en intéressera plus d’un. Ces lignes directrices s’inscrivant dans le plan d’action de la CNIL, une recommandation complète sera adoptée au premier trimestre 2020. Aucune inquiétude à avoir pour ceux qui ne seraient pas dans les clous, la CNIL a annoncé qu’elle accordait un délai de grâce de six mois aux opérateurs à compter de la publication de cette recommandation pour se mettre en conformité aux nouvelles règles. De quoi hérisser le poil de la quadrature du net qui voit dans cette annonce un retard injustifié de l’application du RGPD. Certains diraient même qu’il s’agit d’un retard injustifié de la directive ePrivacy…
Pour la délibération, c’est ici.
#techindustry
#concurrence
#audition
#çacalimerote
La semaine dernière les GAFAMs ont été contraints de se livrer à un nouvel exercice de danse du ventre synchronisée devant le Congrès américain. Après avoir été entendus une première fois au mois de novembre sur leur rôle vis-à-vis de la liberté et de la diversité de la presse, il s’est agi pour eux de s’entretenir avec les parlementaires au sujet de leur impact sur l’innovation et la concurrence aux Etats-Unis. Bien évidemment, le jeu a consisté pour chacune des firmes à montrer qu’elle n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan mercantile et qu’elle ne dort plus tellement la pression de se faire prendre sa place par un nouvel entrant est grande et incessante. Une petite liste de contre-points pour se rendre compte de la grosseur de certaines allégations et de ceux qui les ont prononcées.
#notationdesavocats
#déontologie
#durougeetdunoir
On le sait, la tech bouscule les us et coutumes de la profession d’avocat. En parallèle du dossier « anonymisation des décisions de justice » pour éviter les statistiques sur l’activité contentieuse des avocats, l’autre sujet qui fâche tout rouge les robes noires est celui de leur notation. Le site d’intermédiation mon-avocat.fr a publié les résultats de son enquête d’envergure (226 avocats et 16 158 justiciables interrogés) sur la position de chacun à son endroit. Résultats ? L’on remarque un schisme fondamental entre avocats et justiciables. Ainsi, 80% des premiers estiment que la notation n’est pas un critère pertinent pour choisir un avocat, tandis que 70% des derniers considèrent l’inverse. Une même opposition frontale se retrouve en réponse à la question de savoir si les avocats devraient pouvoir interdire un tel système. Si avocats et justiciables se retrouvent sur la nécessité de pouvoir laisser un droit de réponse aux avocats notés, les critères de notation ne font pas non plus l’unanimité : les justiciables privilégieraient la rapidité de traitement d’un dossier et les résultats obtenus, tandis que les avocats mettraient l’accent sur les compétences professionnelles et les qualités humaines. Au vu de la pression des justiciables à ce sujet, du fait que la Cour de cassation considère que les systèmes de notation rentrent dans le cadre de la mise en œuvre de l’obligation d’information loyale, claire et transparente des professionnels, et que toute opposition frontale parait vouée à l’échec tant juridique et réputationnel, il semble grand temps que les organes de représentation de la profession se saisisse du dossier afin d’accompagner le développement inéluctable de cette pratique tout en permettant à celle-ci de préserver les grands principes qui l’irriguent.
#Russie
#faceapp
#généralisersapeur
Vous l’avez peut-être essayée, elle vous a rassuré ou elle vous a déprimé, puis vous avez peut-être regretté en lisant les internets. L’application russe Faceapp permettant d’appliquer un filtre déroutant pour faire vieillir ses portraits a connu un retour de bâton immédiat après la vague d’engouement qu’elle a suscitée. Tout est parti d’une rumeur selon laquelle l’application accédait à toutes les photos de la galerie des utilisateurs pour les uploader sur les serveurs de la société éditrice. Si les investigations ultérieures ont montré que Faceapp ne faisait remonter que la photo à retravailler et que son exploitant a indiqué qu’il supprimait la plupart des photos de ses serveurs au bout de 48 heures, cet évènement a surtout servi à montrer que l’association Russie + tech, tout ce qui a trait de près ou de loin à la reconnaissance faciale et plus généralement la protection des données sont devenus des sujets particulièrement touchy à grande échelle. Il n’y a donc in fine pas plus à craindre de Faceapp que des autres applications, l’on retrouve d’ailleurs dans ses conditions d’utilisation des formulations identiques à celles de Facebook, simplement devons nous prendre ces récents développements comme un rappel de ce qu’il est nécessaire de s’astreindre à une bonne hygiène numérique quelle que soit la nationalité de ceux qui traitent nos données.