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Celle qui aperçoit des cyborgs – Maj du 23/07/19

L'actu en bref

Cette semaine, la legaltech était au programme : 23 entreprises et startups du secteur se sont alliées pour créer un groupe dédié au sein de France Digitale ; le CNB a annoncé une étude comparative des legaltechs de justice prédictive tandis que Case Law Analytics a finalisé une levée de 2 millions d’euros ; 15 projets IA ont été sélectionnés par la DINSIC et la DITP pour être expérimentés en administration, dont 2 portant sur la jurisprudence et un sur le dépôt de plainte en ligne ; et des avocats répondent “non, nous ne voulons pas être anonymes” à la récente délibération du CNB demandant une interdiction de la réutilisation des données à des fins d’analyse statistique, une position contraire à celle adoptée en 2017. Un gros big bang également avec la nouvelle délibération de la CNIL relative aux cookies et traceurs, enterrant définitivement le recueil du consentement par poursuite de navigation – rappelons que les acteurs ont un an pour se mettre en conformité. Notons aussi l’ouverture par la Commission européenne d’une enquête pour pratiques anticoncurrentiels contre Amazon tout en sanctionnant Qualcomm sur ce fondement (242 millions d’euros), la condamnation de Dailymotion en Italie à 5,5 millions d’euros contre Mediaset, l’assurance par Edouard Philippe qu’il n’y aura ni conseil de l’ordre des journalistes ni réforme de la loi de 1881, la publication du premier rapport annuel de l’EDPB, le rabotage de l’augmentation du budget de la justice, les difficultés croissantes de Netflix, la modification du régime de la forme des référés et le piratage de données fiscales de la quasi totalité des adultes bulgares. Enfin, l’espace était à la une cette semaine, avec les 50 ans du premier alunissage de l’humanité : (re)vivez l’événement en photos ici ; c’était par ailleurs l’occasion rêvée pour l’Inde de lancer sa propre mission lunaire (robotisée) et pour la France d’annoncer la création d’un commandement militaire de l’espace. On se quitte sur les conseils de la CNIL à propos des apps comme la fameuse FaceApp et sur une belle série d’articles du Monde sur les chansons à la mode du Web, avec nos deux préférées, Ievan Polkka et Never gonna give you up, et une question : un rickroll en est-il un s’il est annoncé ?

Faites la Maj et à la semaine prochaine !

Vous êtes au bureau, en train de plancher sur votre dernier projet, quand vous vous posez une question essentielle pour l’avancée du dossier. Vous réfléchissez une minute et posez la question à Google, sans lever le petit doigt – la question est transmise par une interface cerveau-machine sans fil. Quelques millièmes de seconde plus tard, quasi instantanément, vous avez la réponse, au sens littéral du terme : il ne s’agit pas d’une liste de résultats sur un écran mais bien d’une information en vous : vous connaissez la réponse.

La multitude transhumaniste

Il y a peu de personnes aussi hyperactives qu’Elon Musk, qui en plus d’être le fondateur de PayPal et le CEO de Tesla et SpaceX, est aussi le CEO et fondateur de sociétés moins connues comme the Boring Company, pour creuser des tunnels, fluidifier les transports et mettre des lance-flammes entre les mains de 20000 personnes, et Neuralink, dont le principe est de rendre possible notre petite scénette d’introduction en nous permettant de nous implanter une petite puce rendant possible les interfaces humain-machine mais aussi la communication à distance d’humain à humain. L’entreprise, créée en 2016, vient juste de dévoiler un premier papier scientifique, montrant des progrès phénoménaux dans le développement de machines permettant d’implanter des puces dans le cerveau humain et dans la miniaturisation et les capacités desdites puces. Selon beaucoup de spécialistes en intelligence artificielle, il s’agirait notamment du seul moyen de parvenir à une forme d’intelligence artificielle générale, non limitée à une seule fonctionnalité comme aujourd’hui. Dit autrement, la perspective de parvenir à développer une conscience artificielle est peu probable, tandis qu’il est parfaitement possible de concevoir que l’on réussisse, de notre vivant, à connecter un cerveau humain à la puissance de calcul d’un ordinateur, et donc obtenir, de facto, une conscience semi-artificielle. Que l’on le veuille ou non, la recherche avance, et il est donc urgent de se saisir des nombreuses questions que suscite le projet des interfaces homme-machine.

Ces questions ne diffèrent pas grandement de celles posées par le mouvement transhumaniste de manière plus générale. Il est compliqué de parler du transhumanisme, car il s’agit en fait plus d’une idée générale qui guide une multitude de déclinaisons différentes, parfois opposées : celle qu’il est souhaitable de modifier le corps et/ou l’esprit par la technologie. Une fois cet axiome posé, il est effectivement possible de multiplier les courants de pensée et de recherche, dont les principaux consistent à chercher à lutter contre le vieillissement et à parvenir aux interfaces homme-machine. C’est là que l’on perçoit ainsi la complexité du courant transhumaniste : on peut souhaiter vivre longtemps, voire éternellement, tout en étant opposé au concept de cyborg. Il n’en reste pas moins que l’ensemble des sensibilités transhumanistes sont bien liées par cette envie de prendre le contrôle de l’évolution grâce aux évolutions technologiques. Si votre première question est “pourquoi ?“, elle est légitime et il ne nous appartient pas forcément d’y apporter la réponse, a fortiori compte tenu de la diversité qui existe au sein des communautés transhumanistes. Il est néanmoins certain que cette réponse repose en partie sur la reconnaissance du fait que la science permet aujourd’hui de prendre le contrôle d’un phénomène jusque là uniquement laissé au hasard, notre évolution, et que la rationalité, la prévisibilité et la science sont des valeurs plus fortes et souhaitables que le hasard, ce dont nous vous laisserons juges.

Le retour du consentement

Une autre question intéressante dès à présent est celle de la licéité des projets transhumanistes. L’interface homme-machine de Neuralink devrait, dans un premier temps, servir à guérir des troubles du cerveau comme les troubles de la mobilité pour certains amputés ou des troubles sensoriels comme la cécité ou la surdité. Rapidement, le but ne devrait cependant plus être la simple guérison, mais bien l’augmentation, la faculté d’adopter Neuralink non pas pour répondre à une déficience quelconque mais pour être plus. En droit français, le principe d’inviolabilité du corps humain garanti par les articles 16 et suivants du Code civil a notamment pour corollaire le fait qu’il “ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui“. L’implantation d’une puce dans le cerveau constitue probablement une atteinte à l’intégrité d’un corps humain, mais s’agit-il d’une atteinte à l’intégrité du corps humain ? Le texte peut en effet renvoyer aussi bien à une conception individuelle de la notion de corps – y-a-t’il atteinte à un instant précis contre cette personne précise – qu’à une vision plus large de l’humanité et de sa dignité, le problème étant alors de déterminer s’il y a atteinte à la dignité humaine. La réponse sera-t-elle différente lorsque, dans quelques années peut-être, ces interfaces seront devenues la norme ? Aux États-Unis, la Cour Suprême a par exemple étendu la protection de la vie privée et du domicile aux informations contenues dans un téléphone, rendant nécessaire l’obtention d’un mandat pour en fouiller le contenu, ce parce que nos smartphones sont devenus des extensions de nous-mêmes.

La question de la définition de la nécessité médicale et de l’intérêt thérapeutique d’autrui est tout aussi clef et tout aussi compliquée : il est probablement assez consensuel de considérer que rendre la vue à une personne souffrant de déficiences visuelles est une nécessité médicale. La réponse change-t-elle si la personne est née non-voyante et a toujours été non-voyante ? Si le mécanisme de guérison employé permet non seulement de recouvrer la vue mais d’acquérir des capacités visuelles surhumaines ? De la même façon que la notion de normalité est relative et évolutive, celle de la nécessité médicale repose grandement sur nos capacités à un instant donné : c’est notamment le cas de la chirurgie esthétique réparatrice, qui n’existait pas il y a peu et qui aujourd’hui est prise en charge par l’assurance maladie. In fine, la grande relativité des réponses à ces questions fait que l’on a tendance à s’en remettre à la liberté individuelle, au fameux consentement. Son sens est essentiel dans le contexte de l’évolution du transhumanisme : il ne s’agit en effet pas tant de s’assurer que la personne qui suit une modification transhumaniste y consent que de garantir le droit de ceux qui ne le souhaitent pas à pas consentir. Si l’on imagine un monde où la majorité des personnes peuvent accéder instantanément, par la pensée, à l’ensemble de la connaissance humaine, il reste nécessaire de préserver la place de celles qui ont refusé ce changement, mais qui n’en demeurent pas moins (voire plus ?) humaines.

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, sans confusion !