Pendant que toute la France ou presque prenait son mois d’août, les éditeurs de Bloomberg se posaient une question qui vaut le coup d’être posée : pourquoi n’y a-t-il pas de géant de la tech Européen ? La question devrait d’ailleurs être pourquoi n’y en a-t-il plus, pour ceux qui se souviendront de leur Nokia 3260 indestructible. Toujours est-il que le constat est flagrant : après les géants de la tech américains, le monde compte désormais avec des géants asiatiques, mais attend toujours les mastodontes du vieux continent.
Des raisons structurelles
Plusieurs raisons peuvent être évoquées utilement, la plus évidente étant bien entendu la disparité des marchés : la conquête du marché français ne signifie pas que le marché allemand répondra de la même manière, ni même qu’un marché existe en Allemagne. Il est ainsi possible d’être le leader dans un pays, et complètement inconnu chez le voisin. Mais de telles différences ne peuvent être la seule réponse à la question, ni même franchement être une réponse tout court : l’ambition de devenir un leader mondial d’un secteur nécessite par définition de surmonter de tels défis, qu’importe que le marché initialement conquis soit de 65, de 350 ou de 1000 millions de personnes.
La raison est donc peut-être un manque patent d’ambition, que Bloomberg illustre d’ailleurs en prenant l’exemple d’une société de jeux vidéo finlandaise, Supercell Oy : la société a préféré être rachetée rapidement à 10 milliards et rembourser ses investisseurs plutôt que de tenter une croissance en-dehors de ses plates-bandes. Les plates-bandes en question ne sont d’ailleurs pas que géographiques : le statut de géant de la tech requiert en effet non seulement la volonté de croitre internationalement, mais également de diversifier ses activités de manière intelligente : Amazon ne fait plus que des livres, Google plus que de la recherche, et même Facebook ne se limite pas à un réseau social. Le manque d’ambition de la tech européenne tiendrait donc au fait que nos startupers peinent à penser au-delà de leurs frontières géographiques, de leurs champs de compétences et de leurs cœurs de cibles initiaux.
Des raisons… d’espérer ?
Si tant est que créer un géant mondial de la tech est bien un but à atteindre, et que l’Europe se donne les moyens financiers d’y arriver (l’émergence d’un géant de la tech européen dépend avant tout des montants à la disposition des startups et des aides qui leurs sont offertes), il reste possible d’espérer que les choses changent. Le climat actuel semble en effet être propice : le modèle du géant de la tech américain ne séduit plus, au vu du nombre croissant de scandales qui fragilisent les titans d’outre-Atlantique, tandis que le modèle chinois ne séduit pas encore totalement à une échelle globale – combien êtes-vous à utiliser WeChat ou Baidu ?
Surtout, l’Europe s’est patiemment mais sûrement armée d’un arsenal juridique qui permet une certaine uniformité sur le marché (ce qui n’est pas le cas aux États-Unis par exemple, ou le droit diffère parfois plus d’un État à l’autre qu’entre deux États membres de l’UE !) mais également de se dresser contre les abus des géants étrangers. L’heure est peut-être venue d’assister à l’émergence d’un géant de la tech promoteur des valeurs européennes de respect de la protection des données et de la concurrence, entre autres. À la big data, il est ainsi possible d’opposer la smart data : se servir de moins de données, mais mieux, plus intelligemment. Dans une telle conception de la donnée, le GDPR n’est plus un frein à l’innovation mais son socle. La data est là, il ne reste plus qu’à être smart.
Ce qu'on lit cette semaine
#techindustry
#GAFAM
#europe
#europeis(slowly)coming
On met les pieds dans le plat et on pose les questions qui fâchent : pourquoi les européens sont-ils nuls en tech ? Plusieurs pistes de réponses sont apportées : diversité des marchés, difficultés à se projeter dans une autre culture, manque de volonté de diversifier les activités de la startup… Il semblerait cependant que les temps soient propices à l’émergence d’un acteur européen de la tech, qui promouvrait les valeurs du vieux continent et serait ainsi un géant de la tech respectueux de votre vie privée et de ses concurrents. L’article n’évoque cependant pas les différences gargantuesques d’investissement dans la tech entre l’UE et les USA et la Chine, qui peuvent probablement expliquer les disparités de développement des entreprises locales. On peut cependant se poser une autre question, qui est celle de la définition du succès : se mesure-t-il à la taille de l’entreprise, à son chiffre d’affaires, ou d’autres indicateurs peuvent-ils être pertinents ?
#droitd'auteur
#contrefaçon
#internet
#notGSMedia
Une nouvelle brique à l’édifice (chancelant) de la déconstruction prétorienne de la notion de “communication au public” sous le règne de la directive 2001/29/CE : la CJUE traite cependant ici d’un cas largement différent de ceux qui ont présidé jusqu’ici à cette entreprise, puisqu’il ne s’agit pas d’un lien hypertexte comme dans les affaires Svensson, BestWater et GSMedia, mais bien d’une inclusion directe d’une photographie protégée sur un site Internet. La Cour s’épargne donc les contorsions qu’elle avait elle-même initiée dans ce dernier arrêt, et tâche de faire simple : il y a ici acte de communication au public soumis à droit d’auteur, car il y a communication à un public nouveau ; il y a en effet public nouveau, puisque ce public n’était pas anticipé dans l’autorisation donnée par le titulaire des droits pour la diffusion de la photographie sur le site dont elle a été extraite. La solution opère raccroche ainsi, au prix d’un retournement étonnant, la définition de l’acte de communication lui-même au périmètre de l’autorisation donnée par le titulaire des droits. Au demeurant, la justification apportée par la Cour, selon laquelle cette affaire se distingue de celles impliquant des hyperliens en tant que ces derniers “contribuent au bon fonctionnement d’Internet”, peine à convaincre, la Cour se contentant d’un argument d’opportunité là où la notion même de “communication au public” au sens du droit d’auteur, pour un lien hypertexte, mérite d’être interrogée. Enfin, on ne peut que déplorer, sociétalement, une conclusion qui tend à admettre l’application du droit d’auteur à un cas aussi dérisoire que la réutilisation d’une photo de ville dans un exposé de collégiens, laissant en somme à la charge de ces derniers la charge d’évaluer l’originalité et de rechercher la titularité des droits portant éventuellement sur cette photographie. Voici qui ne manquera pas du moins de porter de l’eau au moulin des contempteurs du droit d’auteur…
#donnéespersos
#fakenews
#lespoupéesrussesduscandale
L’affaire Benalla suit décidément des voies qui sont impénétrables : alors même qu’on commençait d’être repu des derniers développements sur les coulisses du pouvoir, voici qu’apparaît un enjeu tout ce qu’il y a de plus numérique et GDPR. Une ONG belge spécialisée dans l’analyse des fake news, EU Disinfo Lab, a en effet entrepris d’attribuer et d’agréger l’ensemble des tweets relatifs à cette affaire, afin de faire émerger des possibles liens avec des agitateurs d’opinion agissant depuis la Russie. Si les conclusions sont véridiques, elles ne pourront que relancer les inquiétudes sur ce phénomène si difficile à cerner que la dernière tentative législative en ce sens a immédiatement avorté côté Sénat ; c’est cependant de la méthode qu’il est question ici, depuis que plusieurs personnes visées par ces conclusions (publiées sous forme de deux tableaux Excel librement accessibles) ont saisi la CNIL pour dénoncer un traitement non conforme de leurs données à caractère personnel. Les tweets eux-mêmes ont beau être publics, en effet, cela ne signifie pas, en l’état actuel du droit positif, que leur réutilisation échappe systématiquement à la réglementation applicable – une solution contraire à tout “épuisement des droits” en matière de protection des données, que d’aucuns pourra juger excessive d’un point de vue moral comme économique. Il est vrai, au cas présent du moins, que si l’objectif sociétal poursuivi par la lutte contre les fake news est celui d’une meilleure traçabilité et d’une plus grande responsabilisation des auteurs des propos litigieux, cet objectif ne peut raisonnablement se vivre qu’à “visage découvert”, et devrait justifier d’accorder à la critique publique les droits dont elle a besoin.
#donnéespersos
#consommation
#CGU
#UFCplusfortqueGDPR
Le droit de la consommation au secours de la protection des données à caractère personnel ? En tous cas, en voici une qui n’aura pas attendu le GDPR et ses fameuses actions de groupe pour agir : l’UFC Que Choisir, association de défense des droits des consommateurs bien connue, vient d’obtenir du Tribunal de grande instance de Paris la condamnation de Twitter à supprimer plus de 250 clauses illicites et/ou abusives, sur le fondement de la qualité à agir que lui accorde en cette matière le Code de la consommation. Tout le sel tient ici à ce qu’un grand nombre de ces clauses concerne en réalité la politique de confidentialité du réseau social (dont on peut d’ailleurs certes se demander s’il s’agit véritablement d’un contrat au sens du droit français) : l’association mobilise ici notamment les principes de lisibilité et d’interdiction des limitations de responsabilité abusives pour faire échec à des clauses peu respectueuses de la vie privée des utilisateurs. Outre qu’elle témoigne de la grande convergence de ces réglementations (quant à leur esprit), la décision invite donc les responsables de traitements à redoubler de transparence lorsque les personnes concernées sont des consommateurs.
#société
#fakenews
#géopolitique
#cestpaslhommequiprendlewebcestlewebquiprendlhomme
Une prise de hauteur bienvenue sur les dernières années qui ont vu passer des évolutions considérables dans l’économie au sens large d’Internet, et se cristalliser les problèmes auxquels se heurtent aujourd’hui citoyens, politiques et acteurs privés : comment en est-on arrivé là ? A cette distance, selon l’auteur de cette grande et remarquable fresque, qui court depuis les premiers espoirs d’émancipation placés dans Internet jusqu’à la désillusion actuelle du collectif, les fake news, les bulles informationnelles et les cyberattaques apparaissent à la fois comme la conséquence et la manifestation d’une crise de confiance globale, dont les trolls et les pirates ne sont que les meilleurs exploitants à ce jour mais pas tant les instigateurs. Devenue systémique, cette crise ne saurait donc connaître de solution unique, de remède miracle : un meilleur contrôle de l’économie de la data via un renforcement de l’effectivité de la protection des données personnelles mais aussi et surtout du droit de la concurrence, un réinvestissement dans les organismes d’information de confiance, au niveau local notamment, ainsi que dans l’éducation, enfin un rééquilibrage des contre-pouvoirs au sein des sociétés les plus extrêmement libérales, ne sont que quelques pistes suggérées pour briser cet effet paradoxal de la démocratisation de la parole politique qu’est l’affaiblissement des voies minoritaires des “parties faibles”. Dans ce contexte, pour une fois, la responsabilité n’est pas tant imputée à la Russie qu’aux Etats-Unis, dont la présomption aurait largement contribué à rendre possible cet état de fait. Pas de quoi se réjouir, mais peut-être du moins de quoi un peu mieux réfléchir.
#chine
#surveillance
#bigbrotheriswatchingyourphone
La Chine reste en grande partie un territoire assez opaque, et les récits de la vie quotidienne au pays du soleil levant sont assez rares pour être étudiés, surtout lorsqu’ils portent sur les techniques de surveillance de pointe déployées. Il semblerait ainsi que le gouvernement chinois ne cesse d’innover dans les méthodes utilisées : après les lunettes augmentées et l’intelligence artificielle de reconnaissance faciale, les policiers disposent désormais de petits boitiers capables de lire les informations de n’importe quel smartphone en quelques secondes et de détecter de potentielles informations illicites. La Chine dépenserait plus de 6.1% de son budget annuel en surveillance nationale, soit plus que les dépenses de défense. On assiste ainsi à un double mouvement paradoxal : une ouverture croissante vers l’international, et une surveillance interne accrue. Combien de temps ce mouvement peut-il durer ?
#blockchain
#démocratie
#votecryptonique
Alors que l’écrasante majorité des nouvelles relatives à la blockchain tournent autour de la spéculation sur le prix de telle ou telle cryptomonnaie ou sur la bulle des ICOs, Wired nous propose de plonger dans le monde d’un projet blockchain pas comme les autres : Democraty.earth. Le but ? Permettre la gestion de projets, de communautés, voire même de pays et de nations par un système d’auto-gouvernement démocratique adossé à une blockchain. Un projet qui renoue avec les racines anti-capitalistes et anarchistes de la création de la première blockchain, celle de Bitcoin, créée comme une alternative au système financier et ses crises régulières. Au-delà des questions pratiques (comment assurer la mise en œuvre d’une sanction ?), l’article évoque également les problèmes liés au vote électronique de manière générale : la sécurité n’est pas assurée, même avec une blockchain, le piratage de la donnée de vote pouvant survenir avant son écriture sur la blockchain. In fine, une plongée dans un idéal intéressant à contempler, mais qui devra surmonter de nombreux défis avant de se concrétiser.