Les voix de personnalités reconnues de la Silicon Valley s’élèvent de plus en plus contre Facebook et les autres géants du net, les coups de sang les plus notables ayant été jusqu’il y a peu ceux des deux cofondateurs de WhatsApp qui, après avoir revendu leur entreprise au géant bleu, l’ont quittée en claquant la porte (et en faisant une belle affaire au passage). Récemment, c’est l’un des cofondateurs de Facebook même qui y est allé de sa critique, en appelant au droit de la concurrence pour démanteler Facebook.
Retour aux sources de la concurrence
L’appel au démantèlement des géants du net n’a rien de nouveau : de Benoit Hamon à la sénatrice américaine Elizabeth Warren, d’Usbek & Rica à Atlantico, la dislocation des GAFAM n’est plus une idée révolutionnaire que l’on partage discrètement entre initiés. Pour en comprendre les tenants et les aboutissants, il faut prendre un pas de recul et s’intéresser au droit de la concurrence dans son ensemble. Cette matière repose sur le principe que la situation d’une libre concurrence ne peut que bénéficier au consommateur, et donc à l’économie en général : la libre concurrence permet au consommateur de choisir entre un plus grand choix de produits, à meilleurs prix, l’offre et la demande s’adaptant mutuellement l’une à l’autre – Montesquieu disait ainsi que « c’est la concurrence qui met un juste prix aux marchandises, et qui établit les vrais rapports entre elles ». A l’inverse, la situation de monopole (ou quasi équivalente d’oligopole) fait que l’entreprise qui domine le marché est en capacité de fixer ses propres prix, quel que soit celui que le consommateur souhaiterait mettre en réalité – il est rare que le consommateur n’en pâtisse pas.
C’est donc pour maintenir un cadre de libre concurrence que le droit de cette dernière est née, avec pour but à la fois de sanctionner les atteintes à la concurrence, avec les abus de position dominante, et de les prévenir, avec l’interdiction des concentrations. Un récent exemple de ce second volet est la prévention de la fusion Alstom-Siemens ; nos GAFAM tombent plutôt dans le premier cas de figure. Il ne fait en effet aucun doute que chacun des géants du net est en position dominante sur un ou plusieurs marchés – on ne vous fera pas l’affront de vous les lister – reste à déterminer s’ils en abusent. Pour le moment la Commission européenne a considéré à 3 reprises que c’était le cas pour Google, au travers d’autant d’amendes assez salées, assorties d’injonctions. Les cas de démantèlement sont pour le moment inédits, bien que la possibilité soit offerte par un règlement européen. Le démantèlement consiste en effet à considérer que la seule façon de rétablir la libre concurrence est de forcer des unités au sein de l’entreprise en position dominante à se faire concurrence entre elles. Le cas le plus connu est celui de la société de Rockefeller, Standard Oil, un conglomérat d’entreprises de pétrole dissout par la Cour Suprême américaine en 1911 en 34 sociétés différentes. Il est cependant difficile de comparer Standard Oil à Facebook, dont les services sont beaucoup moins localisés (les sociétés de la Standard Oil étaient réparties par état américain) notamment du fait de leur immatérialité.
Démanteler, ok, mais pourquoi ?
Surtout, quel problème le démantèlement réglerait-il ? Si les GAFAM sont sans conteste en position dominante, l’abus est plus compliqué à caractériser. Les services de la plupart d’entre eux sont sans contrepartie monétaire ou pratiquent intentionnellement les prix les plus bas possibles, à l’exception notable d’Apple – ce qui nous ramène à l’éternelle question de la pertinence de l’acronyme GAFAM. Le consommateur n’est donc pas lésé par des prix anormalement élevés. Les défenseurs de la théorie du démantèlement s’écartent ainsi de la notion concurrentielle pour l’aborder en des termes plus simples, moins subtils et surtout pas vraiment sanctionnés par les textes : le pouvoir. Il est difficile de nier que les géants d’Internet ont un pouvoir incommensurable, à la fois en ce qui concerne leur impact sur la société et le monde, mais aussi à l’échelle individuelle : ils détiennent toutes nos données personnelles, guident nos choix, contrôlent nos moyens de communication, etc. Est-ce que pour autant ce pouvoir est illégal ? N’a-t-il pas été mérité à la suite d’innovations inégalées ? Les consommateurs sont-ils vraiment sans alternatives, et le défaut d’options est-il dû à des barrières à l’entrée imposées par les géants du net ? N’est-ce pas paternaliste et une immixtion illégitime de l’État que de décider à la place des utilisateurs des services des GAFAM si ces derniers méritent d’exister ou non ?
Si l’on admet que la réponse à ces questions est positive, le démantèlement permet-il de répondre à l’ensemble de nos problèmes ? Il faut en effet se rappeler que les questions soulevées par les GAFAM vont beaucoup plus loin que la seule logique de contrôle du marché : bulle informationnelle, prolifération des contenus haineux, protection de la vie privée, régulation de l’intelligence artificielle sont autant de problématiques d’actualité que nous traitons chaque semaine et qui proviennent des GAFAM. Le démantèlement permettrait peut-être de régler d’éventuelles restrictions de concurrence, mais limiterait-il pour autant le pouvoir des géants du net et répondrait-il à ces questions ? Rien n’est moins sûr : ce n’est pas en séparant le moteur de recherche Google de YouTube que la bulle informationnelle inhérente à ces deux produits disparaitra. Pis, cela pourrait empirer les choses, comme dans le cas des contenus haineux : la lutte contre ces derniers ne sera efficace qu’en cas de mutualisation des efforts, et donc de concentration. Comme le suggère Margrethe Vestager, la clef réside peut-être non pas dans les vieilles solutions (rappelons-nous que Standard Oil, c’était en 1911) mais dans de nouvelles. La théorie des infrastructures essentielles consiste ainsi à forcer un acteur à mettre à disposition de la concurrence une ressource essentielle à son développement (penser réseau de télécommunications pour les FAI) : la barrière à l’accès de la plupart des marchés dominés par les GAFAM étant la donnée, serait-il possible de faire de cette dernière une infrastructure essentielle ?
Ce qu'on lit cette semaine
#concurrence
#positiondominante
#interopérabilité
#ilétaittemps
Qu’est ce qui se passe quand les GAFAM fournissent aux entreprises (et à leurs concurrents) des services tout le long de leurs chaînes de valeur ? Beaucoup d’argent mais également un petit peu trop de data entre leurs mains. La Commissaire européenne à la concurrence a en effet récemment évoqué son souhait de réformer l’accès à la donnée des grosses plateformes pour permettre leur exploitation par les plus petits, lésés en ce qu’ils n’ont pas matériellement la possibilité de proposer des services innovants et concurrentiels des leaders du marché, faute d’accès à cette donnée. De même a-t-elle évoqué la nécessité que la Commission se dote de sa propre tech pour pouvoir surveiller les plus de 7000 plateformes qui opèrent actuellement dans l’Union et contrôler plus large que les plus gros. Sujet auquel on ne s’attendait pas tout à fait, Mme Vestager a laissé entendre qu’elle avait un œil sur les services de messageries en indiquant vouloir une interopérabilité complète entre les systèmes existants pour éviter aux consommateurs de se trimbaler avec 4 ou 5 applications différentes sur leurs smartphones. On commence à voir où tout ça va mener.
#facebook
#concurrence
#démantèlement
#désavouéeparsonpère
C’était la grosse bombe de la semaine. Alors que Margrethe Vestager a récemment rappelé que le démantèlement des GAFAM, principalement de Google et Facebook, n’était pas du tout le souhait de la Commission et restait une mesure de tout dernier ressort, Chris Hugues, co-fondateur de Facebook l’ayant quittée en 2007, a appelé à exactement le contraire dans une tribune du New York Times. On vous laisse la découvrir.
#libertéd'expression
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#alt-right
#radicalisation
#undescoeursduréacteur
Il existe un point commun entre le tireur de l’attentat islamophobe de Christchurch et celui de l’attentat antisémite de Poway : le forum 8chan que les deux auteurs fréquentaient et sur lesquels ils ont publié chacun leur manifeste. Sorte de dernière frontière entre l’internet visible et le darknet, 8chan est un espace de discussion qui revendique une liberté d’expression totale avec pour seule limite et règle de modération la protection des droits de PI et la pornographie infantile (et encore). Cela fait ainsi plusieurs années que certains canaux du forum sont le refuge d’échanges autour d’idéologies néo-nazis et suprématistes et que les communautés qui s’y développent, avec leurs propres références et langage, cultivent un entre-soi facilitant la radicalisation. Si certains militeront pour son maintien dans le cyberespace au nom de la liberté d’expression, d’autres préfèreraient voir 8chan tomber que ce soient par la voie de poursuites des autorités ou encore en obtenant de l’entreprise qui sécurise le forum, Cloudflare, qu’elle cesse de lui fournir ses services pour être livré en pâture aux justiciers du net.
#IA
#Régulation
#recherche
#àlarecherchedudroitperdu
Il en est de la régulation comme d’un grand nombre des notions à la mode : sur toutes les bouches, elle semble pourtant vouloir dire quelque chose de différent pour chacun de ceux qui l’invoquent. Définie comme une forme d’encadrement des pratiques faisant la part belle aux initiatives et propositions des intéressés (les acteurs qui y seront soumis au premier chef), elle semble par nature toujours prêter le flanc aux suspicions (plus ou moins) légitimes) ; ce n’est pourtant pas de théorie du complot qu’il est question ici, mais plutôt de déplorer que le même pouvoir de marché qui contribue à maintenir en tête de gondole les géants du numérique risque de se déplacer dans le domaine de la recherche, au prix de l’indépendance de cette dernière, sur laquelle nous devons cependant compter pour nourrir la réflexion sur ce que nous vivons, et ce que nous nous apprêtons à vivre. La recherche publique comme contre-pouvoir a de fait du plomb dans l’aile, pour des raisons bien triviales et matérielles que les géants susnommés sont prompts à pallier. Aussi le reproche n’est-il pas tant dirigé contre ces géants, mais contre les responsables politiques (au sens large) qui ont omis de soutenir ce contre-pouvoir autant qu’il le mérite, et que nous le méritons tous. Au-delà des comités d’éthique et des grandes déclarations de transparence, c’est en effet des modes d’investigation et de prospective eux-mêmes innovants, collectifs, participatifs, que les sujets de demain et d’après-demain appellent à explorer ; dans le contexte politique actuel, et pour autant que ces nouveaux modes nécessiteront l’ouverture des données et des moyens techniques à la hauteur, on ne peut s’empêcher de penser que l’Union Europenne aurait quelque chose à y faire.
#OVNI
#vieextraterrestre
#NASA
#petitshommesvertkaki
Si certains observateurs d’OVNIs allégués portent des chapeaux pointus sur la tête fabriqués à partir de feuilles d’aluminium, d’autres portent simplement des képis. Depuis quelques années, de plus en plus de pilotes militaires rapportent avoir vu des appareils volants et la NASA commence à prendre ces témoignages réellement au sérieux. S’il s’agit en premier lieu d’évaluer le risque qu’il soit question d’une technologie avancée et inconnue d’une puissance étrangère, la possibilité que l’on soit un jour en présence d’un véhicule ou sonde venus d’ailleurs reste envisageable et peut être même un peu plus probable qu’on le pense. Une occasion de se positionner à nouveau face au paradoxe de Fermi.
#privacy
#consentement
#donnéesperso
#transparence
#quanddirecestfaire
Après les tentatives de profession de foi de Mark Zuckerberg, qui ont valu à Facebook son lot de critiques acerbes, c’est au tour de Google de s’essayer à l’exercice, par la voix de Sundar Pichai : l’autre géant du numérique plaide sa propre cause en rappelant ses efforts historiques en faveur d’une plus grande transparence et d’un plus grand contrôle au profit des utilisateurs, allant lui aussi jusqu’à appeler de ses vœux une réglementation plus ferme à l’echelle mondiale. Sans être trop hagiographique, le texte se veut rétablir quelques réalités face aux inquiétudes plus ou moins fondées récemment dirigées contre Google, et formule quelques promesses sur la poursuite de ses efforts. On serait tenté d’y croire – et cependant, même à ce compte, on peut douter du caractère décisif d’efforts dont la prémisse est qu’augmenter la transparence et « donner le contrôle » aux individus résultera dans une plus grande acceptabilité sociale des traitements de données à caractère personnel. Il ne serait pas inutile de questionner cette proposition, quasi axiomatique chez Google, tant les mécanismes de contrôle « subjectifs » et la décision individuelle ont prouvé leurs limites, confrontés à des phénomènes palpables tels que la fameuse « consent fatigue » mentionnée par feu le G29. Pour être honnête, Pichai laisse entrevoir un argument fondateur et justificatif de cette approche : il est vrai que la notion de « privacy » ou de « vie privée » trouve des acceptions et correspond à des attentes très variables d’un individu à un autre, et d’un contexte culturel à un autre. Ce n’est toutefois pas selon nous une raison pour céder à l’illusion qu’une approche toujours plus centrée sur la personne de l’utilisateur accouchera de pratiques toujours meilleures – mais c’est un débat qui excède les contraintes formelles du présent résumé.