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Celle qui veut rester entière – Maj du 14/05/19

L'actu en bref

Cette semaine, l’humanité a battu un bien triste record : celui de la quantité de CO2 dans l’atmosphère. Alors que la sonnette d’alarme pour notre planète ne cesse de retentir, force est de constater que peu de choses changent à l’échelle macroscopique – voici donc ce que vous pouvez faire à la vôtre. Mise à part la révélation de l’existence du fichier pas très compliant de Monsanto, qui fait suer Bayer et trembler tout le monde du lobbying, l’actualité est plutôt pauvre, donc pêle-mêle : bientôt la possibilité de soutenir un premier référendum d’initiative partagée sur Internet (à propos de la privatisation d’ADP) ; Google a tenu sa conférence annuelle, résumé des annonces ; Chelsea Manning libérée après deux mois de prison tandis que la Suède relance la procédure contre Julian Assange, soupçonné de viol ; la directive droit d’auteur devrait être publiée au JO le 17 mai ; le FBI réussit un nouveau gros coup contre l’économie illicite du dark web ; Zuckerberg et Macron se sont rencontrés vendredi : version optimiste, version pessimiste ; la DINSIC donne plus de détails sur tech.gouv ; et Uber a fait une entrée en bourse décevante sur fond de manifestations et grèves de chauffeurs. On se quitte sur un moteur de recherche d’images en open access, un Mooc sur la protection de la vie privée dans le monde numérique, un documentaire sur les bienfaits d’Internet (parce que oui il y en a) et la manière dont HBO s’est débarrassé d’une tasse de Starbuck’s dans l’épisode de la semaine dernière !

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

Les voix de personnalités reconnues de la Silicon Valley s’élèvent de plus en plus contre Facebook et les autres géants du net, les coups de sang les plus notables ayant été jusqu’il y a peu ceux des deux cofondateurs de WhatsApp qui, après avoir revendu leur entreprise au géant bleu, l’ont quittée en claquant la porte (et en faisant une belle affaire au passage). Récemment, c’est l’un des cofondateurs de Facebook même qui y est allé de sa critique, en appelant au droit de la concurrence pour démanteler Facebook.

Retour aux sources de la concurrence

L’appel au démantèlement des géants du net n’a rien de nouveau : de Benoit Hamon à la sénatrice américaine Elizabeth Warren, d’Usbek & Rica à Atlantico, la dislocation des GAFAM n’est plus une idée révolutionnaire que l’on partage discrètement entre initiés. Pour en comprendre les tenants et les aboutissants, il faut prendre un pas de recul et s’intéresser au droit de la concurrence dans son ensemble. Cette matière repose sur le principe que la situation d’une libre concurrence ne peut que bénéficier au consommateur, et donc à l’économie en général : la libre concurrence permet au consommateur de choisir entre un plus grand choix de produits, à meilleurs prix, l’offre et la demande s’adaptant mutuellement l’une à l’autre – Montesquieu disait ainsi que « c’est la concurrence qui met un juste prix aux marchandises, et qui établit les vrais rapports entre elles ». A l’inverse, la situation de monopole (ou quasi équivalente d’oligopole) fait que l’entreprise qui domine le marché est en capacité de fixer ses propres prix, quel que soit celui que le consommateur souhaiterait mettre en réalité – il est rare que le consommateur n’en pâtisse pas.

C’est donc pour maintenir un cadre de libre concurrence que le droit de cette dernière est née, avec pour but à la fois de sanctionner les atteintes à la concurrence, avec les abus de position dominante, et de les prévenir, avec l’interdiction des concentrations. Un récent exemple de ce second volet est la prévention de la fusion Alstom-Siemens ; nos GAFAM tombent plutôt dans le premier cas de figure. Il ne fait en effet aucun doute que chacun des géants du net est en position dominante sur un ou plusieurs marchés – on ne vous fera pas l’affront de vous les lister – reste à déterminer s’ils en abusent. Pour le moment la Commission européenne a considéré à 3 reprises que c’était le cas pour Google, au travers d’autant d’amendes assez salées, assorties d’injonctions. Les cas de démantèlement sont pour le moment inédits, bien que la possibilité soit offerte par un règlement européen. Le démantèlement consiste en effet à considérer que la seule façon de rétablir la libre concurrence est de forcer des unités au sein de l’entreprise en position dominante à se faire concurrence entre elles. Le cas le plus connu est celui de la société de Rockefeller, Standard Oil, un conglomérat d’entreprises de pétrole dissout par la Cour Suprême américaine en 1911 en 34 sociétés différentes. Il est cependant difficile de comparer Standard Oil à Facebook, dont les services sont beaucoup moins localisés (les sociétés de la Standard Oil étaient réparties par état américain) notamment du fait de leur immatérialité.

Démanteler, ok, mais pourquoi ?

Surtout, quel problème le démantèlement réglerait-il ? Si les GAFAM sont sans conteste en position dominante, l’abus est plus compliqué à caractériser. Les services de la plupart d’entre eux sont sans contrepartie monétaire ou pratiquent intentionnellement les prix les plus bas possibles, à l’exception notable d’Apple – ce qui nous ramène à l’éternelle question de la pertinence de l’acronyme GAFAM. Le consommateur n’est donc pas lésé par des prix anormalement élevés. Les défenseurs de la théorie du démantèlement s’écartent ainsi de la notion concurrentielle pour l’aborder en des termes plus simples, moins subtils et surtout pas vraiment sanctionnés par les textes : le pouvoir. Il est difficile de nier que les géants d’Internet ont un pouvoir incommensurable, à la fois en ce qui concerne leur impact sur la société et le monde, mais aussi à l’échelle individuelle : ils détiennent toutes nos données personnelles, guident nos choix, contrôlent nos moyens de communication, etc. Est-ce que pour autant ce pouvoir est illégal ? N’a-t-il pas été mérité à la suite d’innovations inégalées ? Les consommateurs sont-ils vraiment sans alternatives, et le défaut d’options est-il dû à des barrières à l’entrée imposées par les géants du net ? N’est-ce pas paternaliste et une immixtion illégitime de l’État que de décider à la place des utilisateurs des services des GAFAM si ces derniers méritent d’exister ou non ?

Si l’on admet que la réponse à ces questions est positive, le démantèlement permet-il de répondre à l’ensemble de nos problèmes ? Il faut en effet se rappeler que les questions soulevées par les GAFAM vont beaucoup plus loin que la seule logique de contrôle du marché : bulle informationnelle, prolifération des contenus haineux, protection de la vie privée, régulation de l’intelligence artificielle sont autant de problématiques d’actualité que nous traitons chaque semaine et qui proviennent des GAFAM. Le démantèlement permettrait peut-être de régler d’éventuelles restrictions de concurrence, mais limiterait-il pour autant le pouvoir des géants du net et répondrait-il à ces questions ? Rien n’est moins sûr : ce n’est pas en séparant le moteur de recherche Google de YouTube que la bulle informationnelle inhérente à ces deux produits disparaitra. Pis, cela pourrait empirer les choses, comme dans le cas des contenus haineux : la lutte contre ces derniers ne sera efficace qu’en cas de mutualisation des efforts, et donc de concentration. Comme le suggère Margrethe Vestager, la clef réside peut-être non pas dans les vieilles solutions (rappelons-nous que Standard Oil, c’était en 1911) mais dans de nouvelles. La théorie des infrastructures essentielles consiste ainsi à forcer un acteur à mettre à disposition de la concurrence une ressource essentielle à son développement (penser réseau de télécommunications pour les FAI) : la barrière à l’accès de la plupart des marchés dominés par les GAFAM étant la donnée, serait-il possible de faire de cette dernière une infrastructure essentielle ?

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, avec