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Celle qui pense collectif – Maj du 10/12/19

L'actu en bref

Cette semaine, aura été chargée, avec pas mal de news très importantes du côté de chez Gogleuh (on écrit Google plusieurs fois par semaine toutes les semaines, il faut bien varier un peu) : alors que les deux cofondateurs Larry Page et Sergey Brin quittent partiellement le navire en laissant le volant de la voiture autonome à Sundar Pichai (qui aura commencé chef de produit après avoir émigré d’Inde) mais en gardant la main sur le smartphone de téléguidage (ils quittent leurs postes de CEO/directeur mais restent au conseil et actionnaires principaux), le Conseil d’État a rendu pas une, pas deux, pas trois, mais bien treize décisions sur le droit à l’oubli, assumant parfaitement au passage de livrer un mode d’emploi du droit à l’oubli à Gogleuh et à la CNIL (sic, les chevilles vont bien merci). Apparemment, l’exode des CEO est un véritable syndrome cette année ; d’ailleurs, The Hustle fait le point sur le mythe du CEO payé 1$ ; les États-Unis bloquent la taxe GAFAM ; Gogleuh est attaqué en justice par Genius qui l’accuse, code morse déguisé à l’appui, de lui avoir volé des paroles de chansons – le dossier risque d’être intéressant puisque ni Gogleuh ni Genius n’a de droits sur ces paroles, peut-être que Genius a un droit sui generis sur sa base de données ; la FTC conclut une transaction avec 4 sociétés ayant faussement annoncé être conformes au Privacy Shield ; Riot Games conclut une transaction avec ses salariées traitées inégalement ; Uber fait le bilan sur les délits commis dans les voitures de ses chauffeurs totalement indépendants, et c’est très élevé ; Facebouque équipe ses salariés d’assistants vocaux pour les entrainer à répondre aux questions gênantes ; ça ne va pas beaucoup mieux pour Qwant que pour Gogleuh ; et il y a beaucoup de craintes sur l’avenir du “.org” (surtout sur son prix) après son rachat par un fonds. De notre côté, le Monde fournit un beau dossier de preuves sur le fait que les Macronleaks ont été guidés par la Russie ; la banque centrale européenne va s’essayer à la cryptomonnaie stable (stablecoin) ; la CNIL met la pression en publiant son registre de données persos qui fait 121 pages pour 54 traitements – c’est pas la taille qui compte mais quand même – tout en mettant en demeure le ministère de l’Intérieur sur les radars-tronçons ; Dataiku est la nouvelle licorne française ; le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution l’interdiction d’enregistrer les audiences ; NextINpact publie le projet de loi audiovisuelle ; CNews est mise en demeure par le CSA après des propos de Zemmour ; et Bercy met à jour une énorme fraude à la TVA sur les plateformes eCommerce. Il ne nous reste qu’à nous quitter sur les meilleurs posts de 2019 sur reddit.

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

Qu’attendons-nous au juste de nos algorithmes ? Du strict point de vue de l’économie classique (macro comme micro), la question ne ferait pas débat : substituer à des analyses humaines hasardeuses et laborieuses un travail rapide et efficace, optimiser les coûts, en somme rendre la vie plus commode ; dommage, cependant, qu’un tel point de vue, celui du supposé homo economicus, n’existe pas, pour ainsi dire, dans la nature. Du point de vue moral à présent (ou éthique – le terme est à la mode), la même question apparaît à l’évidence plus complexe, mais elle se pose, du moins, sans ambages : pourquoi exiger moins, en effet, d’un algorithme, que ce que nous exigeons d’un agent humain ?

Le code n’est après tout qu’un mode parmi d’autres de l’action de l’homme dans le monde – un outil, bien que les capacités de cet outil ouvrent des perspectives démultipliées et inédites (et nous ne doutons plus désormais, à cet égard, que les interactions de la technique et de la morale vont dans les deux sens). Il ne paraît donc pas absurde de vouloir « bien penser » les cas d’usage de cet outil, et pourquoi pas les encadrer, tout à la fois pour protéger ce qui doit l’être dans les situations concrètes, mais aussi pour éviter des rétro-effets néfastes sur ce qui serait (nous le supposons) les conditions de possibilité même d’une morale.

Mais du point de vue juridique, précisément – puisqu’il est question d’encadrer ? Ici, le terrain est encore largement vierge. Il n’est guère que les dispositions du RGPD, faisant suite à celles de la loi Informatique & Libertés, pour traiter de front la question, sous l’angle de la « prise de décision (purement) automatisée », dont les autorités de contrôle ont déduit (selon nous contre le texte) qu’elle tombait ainsi dans un régime d’interdiction a priori, sauf exceptions – interprétation remarquable, car ce ne serait jamais que la seconde véritable interdiction édictée par un texte qui, par ailleurs, s’abstient majoritairement d’une telle approche.

Mis à part cette règle, déjà destinée à couvrir des enjeux manifestement plus larges que la seule vie privée, force est de constater que les institutions et autorités n’ont en somme produit que du droit souple – avis et recommandations, lignes directrices, de la Commission Européenne jusqu’à la CNIL. Il n’est pas tant question ici de discuter de la valeur juridique (la force obligatoire) de ces dispositions de droit souple, que de leur contenu : il est pour le moins intéressant de constater que ces mêmes institutions et autorités qui, par ailleurs, font le droit dans nos sociétés européennes, ont choisi ici de produire de la morale.

La morale, l’institution et la consultation publique

Ce n’est pas qu’on ignore le soubassement moral, par ailleurs, de toute règle de droit, et les interactions étroites entre les deux « disciplines » – éthique et juridique. En matière d’algorithmes, la démarche des autorités est cependant beaucoup plus nette, et assumée : il n’est pas l’heure (et rien ne dit qu’il sera jamais l’heure) d’adopter des règles de droit exécutoires, pouvant faire l’objet de sanctions par les tribunaux ; aussi s’en tiendra-t-on à jeter de simples « lignes de bonne conduite », ou principes moraux, ce dont témoignent tout à la fois le choix des instruments (droit souple) et leur contenu (principes de transparence, non-discrimination, explicabilité, etc.).

Les raisons en tiennent, pour une large part, à ce que nous ne sommes pas encore bien sûrs, justement, de ce que nous attendons de nos algorithmes, de ce que nous pouvons en attendre, ni de ce que nous devons en attendre. S’abstenir de toute règlementation dure est ainsi faire œuvre de prudence : il n’est rien de plus dommageable au droit et à son image, en effet, qu’une disposition légale ou règlementaire mal construite au point d’être inapplicable – ce ne sont pas les récentes lois fake news et droits voisins qui le démentiront. Des textes non contraignants, sur des sujets encore si prospectifs, sont également préférables, dès lors que la loi (la vraie) se doit de répondre à un objectif (constitutionnel, en France) de clarté et d’intelligibilité.

Mais – pourrait relever quelque esprit chagrin – est-ce bien le rôle pour nos autorités, faute de mieux, que de « faire de l’éthique », à défaut, sur ces sujets, de pouvoir faire du droit ? On pourrait en effet objecter, si la liberté consiste à pouvoir faire tout ce que la loi ou le règlement n’interdisent pas, qu’il n’appartient pas aux institutions publiques d’y ajouter, au prix d’une confusion des genres, et que nous disposons déjà, après tout, de bien assez d’autorités morales.

Cela serait cependant, selon nous, tout à la fois établir une frontière entre le droit et le « non-droit » (frontière que nous avons appris à gommer, en France, pays pourtant de tradition juridique ô combien formaliste, depuis le doyen Carbonnier), mais aussi nier le rôle sociologique pas si nouveau, mais historiquement éclipsé par la perspective juridique « dure », des institutions comme acteurs de la réflexion publique et (osons l’expression) du vivre ensemble.

Ce rôle est aujourd’hui doublement revivifié par le numérique, d’une part en ce qu’il apporte les outils utiles à la concertation citoyenne, mais aussi d’autre part en ce que ce terrain hautement technique, de même que celui, plus généralement, des nouvelles technologies, oblige les institutions (au sens le plus large), et les juristes que nous sommes, à une forme bienvenue d’humilité intellectuelle. De ce point de vue, les lignes directrices, avis et recommandations, et autres outils de droit souple (qu’on peine à qualifier même de « régulation ») ne doivent (devraient) pas être vus comme autant de pis-aller, mais plutôt comme un vœu positif de réflexion, collective et prolongée, sur ce qui est en cours. Aussi de cette maxime sans doute pas très universelle, mais parfaitement valable pour un législateur prudent : dans le doute, abstiens-toi – ou lance une consultation publique !

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, avec un vrai coéquipier !