La capture du fondateur de WikiLeaks Julian Assange par la police britannique met fin à une cavale de plus de 7 ans (2 487 jours) bien particulière : accueilli par l’ambassade de l’Équateur, Julian Assange était protégé par le droit diplomatique, qui garantit l’inviolabilité des missions de représentation officielle. Les raisons de la levée de cette protection restent encore floues – la position officielle est qu’Assange se serait mal comporté, la position officieuse est que l’Equateur soupçonne Wikileaks d’avoir participé à la divulgation d’un scandale national dit des “INA Papers” – mais nous donne une occasion de traiter le sujet de la transparence sous un nouvel angle, celui du lanceur d’alertes.
De la délation au signalement d’une alerte
Le statut du lanceur d’alertes est relativement moderne ; cela se comprend, la tendance vers la transparence de l’administration étant historiquement elle-même plutôt récente. Longtemps, le secret a en effet été considéré comme une garantie nécessaire de l’efficacité et de l’intégrité du travail de l’administration. C’est pendant l’après-guerre que l’on assiste à une inversion de logique, et que le secret est finalement devenu l’exception face au “tryptique de la transparence” (Guy Braibant) que forment la loi informatique et libertés (droit d’accès à ses données personnelles même si traitées par l’administration), la loi CADA (accès aux documents administratifs) et la loi relative aux archives (accès aux archives publiques). On permet ainsi, à travers un triple droit d’accès, l’exercice du “droit de demander compte” consacré par l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Le signalement d’une alerte relève d’une logique que l’on peut lier à la transparence administrative, mais qui n’en reste pas moins très différente. Bien que les deux situations conduisent à lutter contre le secret, là où la transparence de l’administration n’a pas à être justifiée (le droit d’accès à un document administratif est inconditionnel, la demande n’a pas à être justifiée), le signalement d’une alerte est quant à lui strictement limité à des motifs d’intérêt général. La frontière entre le lanceur d’alertes et le délateur est en effet fine : seul le motif d’intérêt général permettra de les distinguer, le délateur recherchant un profit personnel en échange de la violation du secret (on peut d’ailleurs noter des différences de définitions, puisqu’aux États-Unis, le “Whistleblower Office” récompense les dénonciateurs de fraudes fiscales par une portion des montants récupérés grâce aux informations fournies). Le lanceur d’alertes est donc une personne qui met en exergue une situation anormale et donc il estime que le public doit avoir connaissance. Toute la difficulté réside dans la caractérisation de ce que la violation du secret était bien justifiée par un motif d’intérêt général, et la lettre de la loi n’aide pas trop en la matière.
En France, la consécration générale de la notion n’est intervenue qu’avec la loi Sapin 2 de 2016 – avant, un statut existait en matière de santé publique et d’environnement avec la loi Blandin de 2013, et une vague protection reste conférée par les conventions de l’Organisation internationale du travail. Désormais, la loi prévoit qu’un lanceur d’alerte est “une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance“, les seuls secrets maintenus étant le secret de l’avocat, de la défense national ou le secret médical.
De la délicate application du statut de lanceur d’alerte à Julian Assange
On se rend ainsi compte de la difficulté pratique de la mise en œuvre d’une telle notion : comment caractériser la bonne foi ou le désintéressement d’un signalement ? Les cas des principaux lanceurs d’alerte des récentes années sont plutôt simples à trancher : Edward Snowden a bien œuvré dans l’intérêt général en divulguant les atteintes systématiques et massives à nos données personnelles par les Etats-Unis, Chelsea Manning était bien désintéressée en dévoilant les exactions américaines en Irak et il fait peu de doute qu’Antoine Deltour poursuivait un intérêt général en publiant les Lux Leaks. La nécessité de la protection prend tout son sens face à ces trois histoires, qui ont toutes pour point commun qu’après avoir effectué leur signalement, les trois lanceurs d’alertes ont fait l’objet de poursuites judiciaires, voire d’emprisonnement – et que leur situation n’est toujours pas revenue à la normale.
Quid d’Assange ? Ses méthodes ont toujours fait l’objet de controverses, puisqu’à l’inverse des médias traditionnels qui publient les alertes de manière travaillée, organisée et commentée (cf les Panama Papers), WikiLeaks a toujours eu pour politique de publier la donnée brute, non traitée, et de la rendre accessible le plus largement possible. Une première question se pose ainsi sur la portée de la transparence : est-elle mieux servie par une publication brute ou éditorialisée, et justifie-t-elle une publication brute quand celle-ci peut nuire à certaines personnes impliquées (le plus souvent les “petites mains“) ? Plus récemment, ce sont surtout les motivations d’Assange qui ont été remises en question : le rapport Mueller pointe ainsi vers des liens entre Assange et la Russie, qui pourraient expliquer le fait que seuls des documents relatifs à l’équipe d’Hillary Clinton ont été publiés par la plateforme pendant la campagne américaine. Reste ainsi à déterminer si l’on peut servir à la fois un intérêt personnel et un intérêt général.
Ce qu'on lit cette semaine
#wikileaks
#assange
#droitàlinformation
#notoneofus
Jeudi de la semaine dernière, l’Equateur a décidé de retirer à Julien Assange sa nationalité et d’interrompre son asile au sein de son ambassade à Londres en raison de son comportement à l’intérieur (rumeurs d’étalement d’excréments sur les murs) mais aussi de la publication sur Wikileaks de documents compromettant un proche du président équatorien. Alors qu’il a été immédiatement arrêté par les autorités britanniques et qu’il est menacé d’extradition vers les US, c’est l’occasion pour The Guardian de se désolidariser de son action et de tenter de sauver le journalisme ce faisant. C’est ainsi que le journal britannique relève trois éléments qui priveraient Assange de la possibilité de se revendiquer du métier : Julien Assange est accusé d’avoir aidé Chelsea Manning à hacker le Pentagon ce qui va au-delà des limites acceptables de la cuisine de sources ; il aurait spécifiquement demandé à des espions russes de lui envoyer des emails d’Hillary pour favoriser Bernie Sanders (ça c’est du retour de force), ses leaks ne concerneraient jamais les régimes ennemis des USA, et enfin il n’aurait pas rechigné, contre l’avis des 5 quotidiens internationaux avec qui il discutait, dont The Guardian et Le Monde, à divulguer le contenu brut des câbles diplomatiques américains de 2011, au risque de mettre en danger la vie de certaines personnes qui y étaient nommées, alors que l’information ne présentait pas d’intérêt. De quoi nourrir une des faces de l’ambivalence.
#écologie
#greentech
#énergie
#secreuserlaterre
C’est un sujet des plus actuels et qui revient souvent comme une épine dans le pied, un trouble-fête parmi les immenses promesses de la tech – qui va payer la facture d’électricité ? A l’heure où ses serveurs AWS hébergeraient plus d’un tiers de l’Internet mondial, Amazon n’a pas l’air d’être la première à s’en soucier, qui remet les deux mains au puits de pétrole. On apprend en effet, dans cet article nourri, comment le géant multi-services, non content d’abandonner une bonne part de ses propres projets de transition énergétique, entend aujourd’hui fournir les compagnies pétrolières en techniques de pointe pour accélérer et améliorer l’extraction des énergies fossiles. Evidemment, quand on s’appelle Amazon, de telles stratégies sont d’intérêt public, car susceptibles d’un impact des plus significatifs ; aussi peut-on remercier les salariés qui font pression en interne, et leur souhaitons-nous autant de succès que celles et ceux qui ont réussi à faire s’interroger Google sur ses partenariats militaires. Qu’en retenir, à tout le moins ? Il y a comme un paradoxe frappant, une absurdité à rapprocher ainsi l’une des sociétés les plus innovantes du moment de la figure de l’or noir façon There Will Be Blood – et cependant c’est un fait que beaucoup des technologies les plus avancées aujourd’hui tournent encore selon un modèle énergétique datant du XIXe siècle. Nous n’entrerons probablement pas dans une vraie modernité sans ce changement systémique qui alliera le soutenable au profitable ; pour l’Europe, qui guette son prochain enjeu électoral, il y a certainement une carte à jouer.
#privacy
#capitalisme
#classemoyenne
#rendresonvoiceassistant
La vie privée n’a pas toujours été un concept et une valeur socialement protégée. En effet, de nombreuses structures economico-sociales ne le permettaient pas : les servants, fermiers, serfs et esclaves, tous en leur temps, partageait des espaces de vie avec des pairs ou des tiers de sorte qu’il était matériellement inenvisageable d’avoir des espaces individuels et de ne pas être épié. Ce n’est qu’avec le développement de l’économie capitaliste, de la classe moyenne au cours du XXème siècle et de l’accession des masses à la propriété de maisons individuelles avec chambres séparées que la vie privée au sens du droit d’être seul et de ne pas être regardé a commencé à véritablement avoir un sens. Mais si l’économie capitaliste a pu engendrer la vie privée, elle serait aujourd’hui en train de la détruire en créant des fortes incitations pour les acteurs du numériques et des industries en phase de digitalisation à aller chercher de la donnée là où elles se trouvent : dans les foyers et auprès des gens. La vie privée n’étant pas encore de l’histoire ancienne, il conviendrait ainsi pour la préserver d’acheter intelligemment… et que les Etats de la tech régulent. On restera sur la réserve en pensant aux US et on rira de pleurs en pensant à la Chine.
#consommation
#donnéesperso
#contentieux
#CGU
#sadreactsonly
Après Twitter et Google, l’UFC Que Choisir remporte une nouvelle victoire dans la lame de fond contentieuse initiée il y a quelques années contre les géants américains d’Internet : c’est au tour de Facebook de voir un (très) grand nombre des clauses de ses CGU et de sa politique de confidentialité morigénées par le Tribunal de grande instance de Paris. Sans entrer dans le détail (on vous renvoie une fois n’est pas coutume à l’excellent Nextinpact pour ce faire), voici une occasion de plus de souligner cette exigence que le droit de la consommation et la loi Informatique & Libertés (aujourd’hui le GDPR) ont en commun, exigence que trop peu est encore fait pour vraiment respecter : c’est celle d’une information juridique transparente, qui prendrait pour point de départ l’utilisateur “dans sa condition d’utilisateur”, avec les temps et faculté d’attention qui sont réellement les siens. Le numérique apporte ici à l’évidence moultes ressources à explorer, et une petite secousse contentieuse est parfois l’occasion de le rappeler : en témoigne l’évolution positive de Twitter quant à la forme de sa politique de confidentialité, aujourd’hui beaucoup plus visuelle à la suite des griefs de l’UFC. Gageons que le standard continuera de s’élever.
#Régulation
#UK
#UE
#terrorisme
#droitd'auteur
#youshallnotpass
Ce serait l’autre grosse actualité côté Royaume-Uni, après le Brexit évidemment : un projet de loi massif pour obliger les sites Internet (on ne parle même plus seulement de plateformes) à prévenir l’apparition et la dissémination des contenus illicites (au sens le plus large). Le champ d’application de ce projet concurrent des textes unionistes est évidemment beaucoup trop large pour ne pas subir quelques retouches avant adoption ; il pose à tout le moins une question intéressante d’applicabilité post-Brexit du droit de l’Union, en l’occurrence les fameuses jurisprudences SABAM de la CJUE concernant la proportionnalité des mesures de surveillance en ligne. On lui laissera à tout le moins de proposer un intéressant changement de perspective, qu’on pourrait peut-être résumer sous la locution de lawfulness by design, par référence au paradigme posé par le GDPR : l’obligation matricielle serait pour les services en ligne de concevoir leur fonctionnement technique et opérationnel de manière à prévenir l’apparition et la multiplication des contenus illicites (duty of care). Obligation de best efforts (difficile d’imaginer autre chose) intégrée directement dans la tech : Code is Law – ça ne vous rappelle rien ?
#trounoir
#astrophysique
#photographie
#metspastondoigtdevantl'objectif
C’était l’actu scientifique de l’année. Une collaboration internationale financée par des organismes aux quatre coins de la planète, dont le Conseil européen de la recherche, a réussi à prendre la toute première photo d’un trou noir jamais réalisée. Tout dans cette réussite relève de l’exploit. D’un point humain d’abord puisque 200 scientifiques sont intervenus et ont travaillé ensemble. D’un point de vue technique ensuite puisqu’il a été question de coordonner des prises de vue depuis 8 télescopes différents pendant 4 jours complets en 2017, puis de rapatrier physiquement les pétaoctets d’information stockés sur disques durs au centre de traitement des images avant de les combiner selon des modèles probabilistes grâce à des algorithmes tournant sur deux super-calculateurs. Mais c’est surtout les enseignements que l’on tire de cette photographie qui marqueront l’histoire : la confirmation, aujourd’hui comme hier, de la théorie de la relativité élaborée par Einstein. Les chauvins d’entre nous se réjouiront que la photo valide également les simulations de l’astrophysicien français Jean Pierre Luminet, faites dans les années 70, les autres resteront simplement rêveurs.
#Transhumanisme
#génétique
#intelligence
#leurplanète
Parce que ça ne pouvait venir que de là-bas. Dans l’espoir d’identifier le gène, parmi les 2 pourcent que l’on ne partage pas avec les singes, qui serait déterminant de notre intelligence et de notre humanité, des scientifiques chinois ont effectué une transgénèse sur des embryons simiesques pour leur implanter un peu de notre génome. Si seulement 5 des 11 cobayes ont survécu, il n’en reste pas moins qu’ils ont affiché des meilleures performances que leurs pairs sur des tests de mémoire à court terme sans pour autant que la taille de leur cerveau n’ait été modifiée. Bien évidemment, l’éthique de la recherche en occident ne permet pas que ce genre d’expérience soit conduites. De nombreux chercheurs ont donc pointé du doigt, à juste titre, les grandes difficultés que posent le fait de fonctionnellement modifier une espèce dont les individus ne trouveront pas leur place une fois venus au monde. Malgré toutes les critiques et malgré nous, sauf à ce que soient mis en place des mécanismes efficaces de désincitation, la Chine nous tirera toute seule vers ce type de futur.