On se souvient tous de la fameuse pub “voler une voiture ? jamais / télécharger des films piratés, c’est du vol” – comment ne pas s’en rappeler quand elle précédait toute diffusion de films pendant les années 2000 ? Le temps a bien changé, puisque le téléchargement sur Internet n’est presque plus un sujet. Le droit d’auteur, lui, l’est encore, voire plus que jamais.
Le pirate et le créateur
L’idée n’a rien de neuf : l’informatique et Internet, en permettant de numériser les contenus et de relier la planète, ont décuplé les possibilités de partage de la culture. Pour certains, comme le mouvement pirate, ces possibilités devaient aller de pair avec une baisse drastique des coûts (voire la gratuité), et surtout, la possibilité de remixer et repartager le contenu obtenu. Cette réflexion est la base des mouvements open source et open culture, qui militent ainsi pour que le droit d’auteur n’empêche pas le libre partage et la réadaptation. La création des licences open source est d’ailleurs une belle boutade, puisqu’il s’agit d’utiliser cet outil de contrôle de l’exploitation d’une œuvre pour permettre toute exploitation.
Ce militantisme idéologique s’est très vite heurté à la réalité du marché, qui est que l’industrie culturelle ne pourrait très probablement pas survivre (au même rythme de production du moins) dans de telles conditions. Le jeu du chat et de la souris était donc lancé, et face aux sites de partage de contenus, les initiatives réglementaires et judiciaires se sont multipliées. Le procès de ThePirateBay est probablement l’un des plus médiatisés de cette ère, tandis qu’en France est née la fameuse Hadopi, avec ses non moins célèbres lettres recommandées. Inaperçue ou presque, une proposition semblait vouloir mettre tout le monde d’accord : la licence globale, ou contribution créative, consistait ainsi à prélever un certain montant sur l’abonnement Internet de tous les abonnés, afin de permettre un téléchargement licite et sans limites, et une redistribution juste au pro rata du téléchargement. La proposition n’a pas convaincu l’industrie culturelle, et est morte sans bruit.
La nouvelle scène du droit d’auteur
Le monde a bien muté depuis, mais le droit d’auteur est toujours sur le devant de la scène, et toujours pour les mêmes raisons : les difficultés d’adaptation d’un droit créé pour contrôler la diffusion d’actifs immatériels dans un monde où l’immatériel peut être dupliquer aussi simplement qu’avec un “ctrl + C / ctrl + v”. Outre les débats actuels sur la proposition de réforme de la directive droit d’auteur, qui a notamment pour projet d’accorder un droit voisin aux éditeurs de presse (on espère que la liberté de faire des liens non commerciaux sera maintenue), le bras de fer sur l’économie de la culture en ligne continue.
Les acteurs, eux, ne sont plus du tout les mêmes. La Hadopi est à l’agonie, à tel point que le Ministère de la Culture est à nouveau en train de présenter un plan de résurrection. ThePirateBay est tombé plusieurs fois, a toujours réussi à se relever, mais n’est plus sur le devant de la scène. Celle-ci est désormais occupée par des acteurs dont le business model est de faire payer un abonnement pour permettre l’accès à un catalogue d’œuvres quasi illimité… l’idée semble familière…
Le changement d’économie aura été brutal : d’un bras de fer avec des pirates, l’industrie culturelle est passée à un combat de catch avec les plateformes de diffusion. Le débat est piquant puisque chaque partie reproche à l’autre d’être un intermédiaire dont on peut se passer : les plateformes telles que Spotify ou Netflix sont une étape de plus pour que le contenu arrive au consommateur, mais elles sont désormais capables de passer des contrats directement avec les créateurs, sans passer par les maisons de production. La lutte est profonde, et irrigue tous les champs : les festivals de cinéma doivent désormais décider s’ils s’ouvrent à Netflix, pendant que la chronologie des médias doit être repensée.
Si le paradigme économique a beaucoup changé depuis ThePirateBay, le combat idéologique, lui, reste le même : qui doit profiter, et à quel prix, de la production culturelle ? Pour ce qui est des ayants droit et des plateformes de diffusion, le combat du partage de la valeur ne fait que commencer.
Ce qu'on lit cette semaine
#hadopi
#Streaming
#piratage
#droitd'auteur
#unedeuxièmechancedebriller
#extensiondudomainedelalutte
A dix ans de recul, curieux destin que celui de l’Hadopi, qui peine encore à convaincre le grand public tout à la fois de son efficacité et de son “acceptabilité sociale”. La faute, sans doute, pêle-mêle, à un pouvoir de sanction purement fantoche, prisonnier de procédures longues et d’un périmètre d’action réduit, mais aussi, il faut bien l’avouer, à une communication trop rare et souvent maladroite quant au sens et à l’importance de sa mission même – défendre le droit d’auteur – pour l’ensemble de la société civile (et non pas seulement les majors et les sociétés de gestion collective). Sur ce dernier point, il est vrai que la Hadopi fait aussi les frais du rejet plus général de ce droit de propriété intellectuelle, conséquence de politiques législatives et jurisprudentielles dont on se demande parfois où elles vont. Toujours est-il que l’autorité administrative n’a pas le vent en poupe – et l’on est forcément tenté, à tous ces égards, de la comparer à sa grande soeur la CNIL, à qui la vie semble mieux sourire. Mais le changement pourrait arriver – c’est la Ministre de la Culture elle-même qui le dit, en annonçant une grande extension du domaine (et des moyens) de la lutte contre le piratage sur Internet. Extension au streaming, mesures de filtrage dynamiques obligatoires (l’article 13 du projet de directive Copyright n’est donc pas encore mort), “liste noire” de sites dédiées à la contrefaçon, pouvoir de sanction renforcé (fin de la “riposte graduée”, qui a tant fait sourire les internautes concernées ?) – la Hadopi tirerait ainsi son épingle du jeu, forte de prérogatives nouvelles. Un sujet à suivre de très près, d’autant qu’il marche, comme évoqué, sur les plates-bandes d’un chantier déjà en cours au niveau européen…
#musique
#désintermédiation
#spotify
#droitd'auteur
#l'artistedufutur
Pour les grandes maisons de disque historiques, principales représentantes de l’industrie musicale, la généralisation de ce nouveau mode de consommation qu’est le streaming légal par abonnement mensuel, à travers des services désormais bien connus tels que Deezer, Spotify ou Apple Music, pourrait bien être le prochain MP3, autrement dit la prochaine innovation (ici de nature essentiellement commerciale) à menacer durement leur position dominante. Il est ici question de désintermédiation, un concept et un mécanisme en vogue dans de nombreux domaines : et si le service de streaming passait contrat directement avec les artistes ? L’intérêt financier serait mutuel pour les deux parties, qui gagneraient chacune à se passer de l’intermédiaire pour récupérer sa marge (significative). Ce modèle, c’est celui que semble expérimenter depuis peu Spotify, en proposant aux artistes de mettre eux-mêmes en ligne leurs oeuvres, contre une rémunération et une avance versée directement par le service, et aussi et surtout sans dépossession de leurs droits d’auteur au profit de ce dernier (ce en quoi le contrat proposé se distingue fondamentalement du contrat d’édition musicale classiquement proposé par les maisons de disque). De quoi inquiéter en plus haut lieu : si pour l’heure les majors disposent de catalogues suffisamment intéressants pour menacer de représailles commerciales douloureuses le service qui voudrait voler de ses propres ailes, tout changerait le jour où les artistes les plus en vue choisiraient de changer de crémerie. L’avenir de la musique est un ciel incertain, mais ici comme ailleurs une chose est sûre : plus de compétition ne saurait être défavorable à l’auditeur.
#opendata
#transparence
#contentieux
#CADA
#communiquernestpaspublier
L’open data des documents administratifs ne serait-il voué à rester qu’une belle promesse ? On serait tenté de le croire à lire les difficultés que rapporte ici Nextinpact pour obtenir publication d’un simple rapport du Ministère de l’Intérieur, là où pourtant la loi pour une République Numérique paraissait claire. En substance : le Ministère refuse de se plier aux exigences de l’article L. 312-1-1 du Code des relations entre le public et l’administration, imposant à cette dernière la publication en ligne des documents qu’elle communique individuellement sur demande d’un citoyen. Selon Nextinpact, cet article (de lecture il est vrai assez limpide) consacre une obligation de publication automatique du document communiqué, sans qu’il soit nécessaire à un quelconque citoyen de procéder à une nouvelle demande spécifique. L’enjeu est évident : il en va de la concrétisation effective de “l’ouverture de l’accès aux données publiques” proclamée par la loi République Numérique ; faute de mécanisme systématique de publication, difficile en effet de parler d’un quelconque open data, l’accès devant continuer à se faire au cas par cas, ou sur demande d’un citoyen zélé “justicier” – rôle endossé par Nextinpact pour l’exemple. Affaire à suivre – à cette heure, le dossier est sur la table du juge administratif parisien.
#neutralité
#USA
#consommation
#quandjepenseàlabande
“Alors, aux soirs de lassitude/Tout en peuplant sa solitude/Des fantômes du souvenir/On pleure les lèvres absentes/De toutes ces [bandes] passantes/Que l’on n’a pas su retenir” : si Georges Brassens avait été américain en 2018, et soucieux de ses droits de consommateur, voici probablement ce qu’il eût chanté – cela ou telle autre chanson de son cru, plus axée bande que passante, que le sérieux de la présente newsletter nous fait cependant préférer d’omettre. En tous cas, de fait, ce qui devait arriver arriva, et même plus tôt que prévu : une étude réalisée par deux universités américaines a démontré que les fournisseurs d’accès Internet n’ont pas attendu la fin officielle de la neutralité du net (abrogée en décembre dernier, au terme d’un feuilleton haletant, par le régulateur des télécommunications US) pour brider l’accès aux services les plus gourmands que sont Youtube ou encore Netflix. Autre versant de la libéralisation du secteur : les mêmes FAI ont sans tardé mis à jour leurs conditions générales d’abonnement et leurs politiques tarifaires, imposant des surcoûts pour (par exemple) le visionnage de vidéos en HD. En ces jours et quoi qu’on en dise, le consommateur moyen ne regrettera pas trop de vivre de ce côté-ci de l’Atlantique.
#cybercriminalité
#géopolitique
#coréedunord
#quelquepartrespect
Vous vous souvenez de Wannacry qui avait mis tout le monde à genoux, des hôpitaux anglais jusqu’à Renault ? Vous vous souvenez aussi de cette fois où Sony avait dit menteur en refusant d’accéder tout de suite à la demande de ses hackers de ne pas sortir le film The Interview, pas très North Korea friendly, et qu’une flopée d’informations confidentielles avaient été relâchées dans la nature ? Ah oui, et vous vous souvenez aussi du plus gros casse informatique de l’histoire qui avait vu la banque centrale bengalis se faire ravir 81 millions de dollars ? Bah selon le département de la justice américaine, tout ça c’était lui, Park Jin Hyok, un agent travaillant pour les services de renseignement nord coréen. Il s’agit de la première personne physique identifiée par les autorités américaines comme hackant directement pour la Corée du Nord. L’on a déjà vu les géants du net embaucher leurs hackers, peut être que le FBI le recherche pour lui proposer une offre d’emploi ?
#cryptomonnaies
#économie
#iran
#etpoufplusdeproblèmes
Parce qu’on n’arrête plus les pays producteurs de pétrole, le gouvernement iranien a annoncé la création de sa propre cryptomonnaie dont l’architecture reposerait sur une blockchain privée contrôlée par la banque centrale iranienne. Tout comme pour le Venezuela avec le Petro, l’on peine à comprendre l’utilité de cette mesure. Le gouvernement promet qu’elle permettra au pays de contourner les sanctions commerciales dont le pays fait actuellement l’objet et surtout l’embargo américain récemment rétabli, d’autres avancent que la création d’une cryptomonnaie d’Etat permettrait de lutter contre l’inflation. Face aux difficultés que soulèvent ces affirmations, et parce que l’économie c’est quand même très compliqué, la piste la plus vraisemblable est qu’il s’agit en réalité d’une mesure avant tout politique permettant au gouvernement iranien de gratter quelques points de popularité. Habile.
#techindustry
#facebook
#twitter
#onestdésolémaisc’estchaud
Le 5 septembre dernier, Twitter et Facebook étaient auditionnés par la commission des renseignements du Sénat américain, Google ayant décidé de pratiquer la chaise vide après que le Sénat ait refusé d’entendre « seulement » son directeur juridique. Il en ressort que les sujets qui fâchent n’ont pas été véritablement abordés, comme les accusations récentes des géants du net de censurer le contenu républicain (Alex Jones se retourne encore dans sa tombe numérique). Mais il en ressort également que les éditeurs se sont montrés particulièrement transparents sur les difficultés techniques qu’ils rencontraient et les erreurs qu’ils ont commises. De quoi rendre compte aux sénateurs de la complexité de l’équilibre à atteindre pour préserver la liberté d’expression en ligne.