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Celle qui est averse au risque – Maj du 02/04/19

L'actu en bref

Cette semaine, un mini remaniement a eu lieu, avec un potentiel impact sur la régulation du numérique puisque le secrétariat d’État dédié passe de Mounir Mahjouni à Cédric O. A noter également dans les news nationales le bilan 2018 de la DGCCRF, la publication de la proposition de loi de lutte contre la haine en ligne, la publication du premier règlement type de la CNIL, sur les contrôles d’accès biométriques, une décision obligeant les FAI français à bloquer SciHub et Libgen, temples de la publication (contrefaisante ?) de savoir scientifique, le CSA s’attelle dès maintenant à la transposition de la directive droit d’auteur, la publication d’une étude sur le métier de DPO, une grosse levée de 110 millions pour ManoMano, la signature d’une charte eCommerce par plusieurs plateformes mais pas Amazon, la consécration de la liberté d’expression dans les commentaires sur Google sur un chirurgien, et ce pendant que les Echos faisaient le point sur les suites du rapport Villani. Sinon, dans notre section hebdomadaire sur Facebook, notons la première action de groupe judiciaire contre Facebook en France, une tribune internationale de Zuckerberg appelant à plus de régulation pour que les intermédiaires ne soient plus en position de choix, le déploiement du dispositif anti-ingérence pour les élections européennes, et ce pendant que les Etats-Unis assignent le réseau en justice pour discrimination sur le logement via des options de publicité trop ciblée. Pas mal d’autres news dans le secteur tech : grosse attaque sur les ordinateurs Asus, la plupart des transactions bitcoin seraient factices pour manipuler les cours, Lyft a réalisé son IPO et les actions retombent après une première montée, Valve a dévoilé son propre casque de réalité virtuelle, Uber rachète pour 3 milliards de dollars un concurrent du Moyen-orient, les Saoudiens auraient hacké le téléphone de Jeff Bezos le patron d’Amazon et le propriétaire du Washington Post, des prisonniers finlandais sont employés à annoter des données pour le machine learning, YouTube équivaudrait à 37% du traffic mobile Internet mondial, le prix d’informatique Turing est remis aux trois pères du machine learning moderne parmi lesquels le français Yann LeCun, Google se dote d’un comité de conseil éthique externe, McDo fait une acquisition dans l’IA pour personnaliser le chemin client, et les États-Unis seraient en train d’user d’une loi protectionniste pour forcer le propriétaire chinois de l’app de rencontre Grindr à la revendre. On se quitte sur une vidéo du dernier robot de Boston Dynamics en train de décharger un container, une vidéo d’un PewDiePie aigri qui reconnait qu’il n’est plus le premier YouTuber de la terre en nombre d’abonnés, et sur une liste des meilleurs poissons d’avril de l’année.

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

Parmi tous les grands principes qui guident le droit français, le principe de précaution est probablement l’un des plus compliqués à cerner, pour plusieurs raisons équipollentes : c’est un principe assez récent, dont la définition a changé plusieurs fois, et dont le périmètre n’est pas clairement défini. Originellement conçu pour favoriser l’adoption de mesures visant à protéger l’environnement en cas de risques difficiles à cerner, il semble en effet que ce principe guide désormais toute l’action législative française.

Histoire de précaution

La première formulation en droit français vient avec la loi Barnier de 95, qui affirme que “l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable“. Cette loi suit de quelques années la Déclaration de Rio de 1992 formulée à l’occasion d’un sommet sur l’environnement, et dont l’article 15 prescrit qu’en cas de “risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement“. Les deux formulations se rejoignent en plusieurs points : le principe ne s’applique qu’en présence d’un risque de dommages graves ou irréversibles, en l’occurrence portés à l’environnement. Ce n’est que dans ce cas que le principe incite à mettre de côté tout raisonnement rationaliste visant à préférer la certitude scientifique à la prévention.

Si l’on remonte à l’essence du principe, on comprend aisément qu’il n’a vocation à s’appliquer que dans de tels cas extrêmes, d’une importance susceptible de remettre en cause les bases les plus fondamentales de la vie, le cadre environnemental. On y retrouve la pensée du philosophe allemand Hans Jonas qui, dans son Principe Responsabilité, exigeait que les activités humaines soient limitées par la recherche du risque zéro de conduire à la destruction des conditions d’une vie authentiquement humaine sur Terre. C’est dans la lignée de ces pensées que le principe a peu à peu été élargi à d’autres situations tout aussi essentielles à la survie humaine que la protection de l’environnement, comme la santé publique, avec un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne validant l’embargo imposé au Royaume-Uni pour prévenir la propagation de la vache folle : la Cour admet ainsi (§99) que “lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées“.

Le principe de précaution ne peut ainsi s’entendre et se justifier que compte tenu de la gravité ou du caractère irréversible pour l’humanité, en tant qu’espèce, des dommages susceptibles d’être causés : ce n’est que dans de telles cas que l’exception à la nécessaire compréhension d’un phénomène avant sa régulation peut être acceptée.

La prévention, pourfendeuse de la liberté

La réalité de la régulation en France est toute autre, et nous en parlions déjà il y a quelques semaines en évoquant le constat factuel de l’inflation législative. Ce phénomène, que l’on expliquait notamment par la recherche d’une galvanisation collective court-termiste en réaction à un événement donné, est également la traduction du dépassement du cadre strict du principe de précaution. C’est en effet dans un but de prévention “des risques“, sans chercher ni à qualifier la gravité ou l’irréversibilité du dommage qui en découlerait, ni à savoir l’état des connaissances scientifiques, qui pousse aujourd’hui le législateur à adopter des normes telles que la loi de programmation de la justice 2018-2022, dont le texte est truffé de mesures de prévention dès que l’on aborde les nouvelles technologies. La lecture des débats parlementaires est explicite : sur 20 occurrences du mot “risque”, 15 ont été prononcées lors des débats sur l’open data des décisions de justice, amenant notamment les parlementaires à considérer comme proportionné de maintenir le nom des magistrats et des greffiers dans les décisions de justice en compromis d’une interdiction de réutilisation de ce nom.

Nous revenons régulièrement à cette question : la liberté est-elle attentatoire à la sécurité ? En adoptant des dispositions visant à limiter la réutilisation d’une donnée (par nature contraires à la notion même d’open data), le législateur a voulu garantir la sécurité des magistrats face à des risques clairement exprimés de “ranking – classement – ou d’élaboration de profils de juges selon le type de décision qu’ils rendent, avec un risque de forum shopping, démarche par laquelle les justiciables noteraient juges et magistrats“. En agissant ainsi, en faisant primer la sécurité de quelques uns sur la liberté de tous, et ce sans caractériser les nécessaires critères du principe de précaution, le législateur a ainsi fait le choix d’une société du risque zéro plutôt que de celle de la responsabilité, où les torts commis sont réparés à la suite d’un débat judiciaire. Ce mouvement n’est pas nouveau et est observable dans tous les domaines liés aux nouvelles technologies, en France. Que penser en effet du saisissant contraste entre la validation de ces dispositions par le Conseil constitutionnel, quand, à quelques centaines de kilomètres de là, l’Estonie annonce travailler sur l’automatisation totale de la première instance pour les petits litiges ?

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, avec majesté et solennité !