Plus personne n’est surpris de pouvoir ajouter des “stories“, ces courtes vidéos disponibles au visionnage pendant 24h, à la fois sur Facebook, Instagram, WhatsApp et Snap. Pourtant, le concept faisait partie intégrante de Snap dès ses origines, et n’est arrivé qu’à posteriori sur les services concurrents… à peu près au moment où Snap refusait la troisième offre de rachat de Facebook, qui détenait déjà Instagram et WhatsApp. Comme beaucoup des idées de Snap, la story a rapidement été copiée par Facebook pour endiguer la fuite de ses utilisateurs vers la jeune pousse. Et ça marche : les parts de marché sont désormais stables, et Facebook est plus profitable que jamais tandis que Snap continue de stagner en bourse à un prix inférieur à sa valeur d’introduction.
Le problème de la liberté
Cette situation met en lumière les difficultés qui existent aujourd’hui pour réguler la concurrence face à nos bons vieux mastodontes, qui mettent toute entreprise ayant du succès dans un domaine proche du leur dans une situation d’absorption ou de mort. Comme Snap face à Facebook ou Slack face à Microsoft, les leaders de marchés voisins de ceux des GAFAM se voient placés entre Charybde et Scylla, c’est-à-dire entre une proposition de rachat et la promesse d’une concurrence à la Hunger Games (ou Koh Lanta, selon vos références), où il n’en restera qu’un et tous les coups sont permis. Il faut dire que le principe reste, celui de la liberté d’établissement et d’entreprise, liberté fondamentale protégée conventionnellement (article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE) et constitutionnellement (Cons. const. 16 janv. 1982, n° 81-132 DC). C’est précisément cette liberté qui est censée assurer une libre concurrence : puisque la faculté de s’établir, y compris sur un marché déjà occupé, est protégée au plus haut niveau, il convient de combattre les restrictions à cette liberté.
Mais comment gérer une situation telle que celle de Snap ou de Slack ? Les deux sociétés ont toujours fait part de leur détermination à exister par elles-mêmes et à ne pas se faire racheter, et, en tout état de cause, la prévention des concentrations est précisément un outil du droit de la concurrence qui pourrait bien faire disparaître l’option “rachat” – certains diront même que le droit des concentrations aurait dû être mobilisé bien plus tôt dans le développement des géants du net, par exemple pour s’opposer au rachat d’Instagram et WhatsApp par Facebook ou de Waze par Google. La situation de concurrence n’est cependant pas bien reluisante : la seule manière de combattre un Goliath aux fonds infinis est d’innover en permanence, afin de profiter du fait que la mise sur marché est généralement plus rapide pour les entreprises de plus petite taille. Rien n’empêche cependant nos bons gros géants, en vertu de la liberté d’entreprise, de se lancer dans la course et de développer leurs propres versions de l’innovation en question. Ce n’est ni un abus de position dominante, ni de la concurrence déloyale, qui consiste à commettre une faute de concurrence telle que créer de la confusion entre ses services et ceux d’un concurrent, ni même du parasitisme, le fait de s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit sans bourse délier de ses efforts et de son savoir-faire, au contraire : tant que les géants du net ne limitent pas l’accès au marché mais ne font que l’investir eux-mêmes pour développer leur propre version d’un produit ou d’une fonctionnalité, bien liée à leur propre image de marque, il ne s’agit que du jeu d’une libre concurrence.
La troisième voie
C’est d’ailleurs toute la difficulté de la situation : les géants du net bénéficient d’une image de marque extrêmement forte, assise sur des années de croissance et de domination grâce à leurs propres innovations. Ils n’ont ainsi aucun intérêt à se placer dans le sillage d’un jeune concurrent ou de créer de la confusion avec lui : une fois le produit reproduit en interne, il leur suffit de le proposer à leur gigantesque base d’utilisateurs, en étant quasi-certains de son succès. Il est arrivé que cela ne soit pas le cas et que le géant en question soit tenté d’influer sur la concurrence en mettant en avant son nouveau produit (référencement préférentiel, vente liée), comportements prohibés par le droit de la concurrence et ayant déjà donné lieu à des amendes et des mesures correctrices, en espérant que celles-ci ne surviennent pas trop tard, une fois la concurrence définitivement écrasée. En revanche, tant que l’on reste dans les clous, peut-on vraiment reprocher à une entreprise qui connait déjà un énorme succès de chercher des voies pour continuer sur sa lancée, et d’étudier les marchés connexes pour ce faire ? On pourrait avoir l’idée de se tourner vers d’autres mécanismes de protection, tels que le droit d’auteur : après tout, la copie, c’est mal. Le principe est cependant également celui de la liberté, celle des idées cette fois, qui sont de libre parcours, pour reprendre l’expression consacrée. Ainsi, tant que Facebook imite l’idée sans plagier directement le code de Snap, en développant en interne par ses propres moyens une fonctionnalité similaire, aucune atteinte au droit d’auteur ne peut être caractérisée.
Ne peut-on donc rien faire ? Nous parlions il y a peu de temps de l’hypothèse du démantèlement, qui pourrait être une solution à la situation présente, à condition de couper très fin : il ne s’agirait pas de séparer Facebook d’Instagram, mais bien de distinguer la newsfeed Facebook de Messenger et d’Instagram. Cette voie extrême est de plus en plus invoquée partout dans le monde, mais porte le risque d’inhiber l’innovation : à quoi bon créer un service de qualité si l’on risque de se faire couper net arrivé à un certain stade ? Il existe également la possibilité de ne rien faire, en constatant qu’en l’état du droit, rien n’est illégal, et en veillant en permanence à ce que les règles soient effectivement respectées. Comme lorsque nous discutions du démantèlement, nous sommes cependant convaincus qu’une troisième voie existe bien, consistant à garantir la libre concurrence sur les mérites en mettant à disposition de tous la ressource devenue indispensable : la donnée. C’est en effet grâce à elle que les géants rattrapent leur retard face à une innovation nouvelle, et c’est donc elle que l’on pourrait considérer comme essentielle à une concurrence ne portant que sur la capacité à innover, par application de la théorie des facilités essentielles. Dit autrement, le meilleur data scientist de la planète ne pourra jamais créer de logiciel de reconnaissance d’image aussi performant que celui de Facebook sans pouvoir entraîner son algorithme sur les données d’images annotées du réseau social. Pour Slack, l’impact serait limité, le problème étant maintenant plus une concurrence sur les prix, sur laquelle le droit de la concurrence peut influer. Pour Snap en revanche, l’accès aux données anonymisées des utilisateurs de Facebook permettrait probablement le développement de nouvelles fonctionnalités, notamment d’intelligence artificielle. À l’heure où l’Europe cherche ses champions de l’IA et le développement de ses propres licornes, c’est certainement cette voie médiane qui, telle une baie empoisonnée, permettrait d’interrompre ces Hunger Games – la contre-référence à Koh Lanta ne marche plus ici, désolés.
Ce qu'on lit cette semaine
#slack
#microsoft
#concurrence
#outsourcergratuitementsaR&D
Il en est de ces cas difficiles qui invitent à s’interroger sur les limites de la vie du business licite et celles des pratiques anti-concurrentielles prohibées. Si Snapchat doit se traîner Facebook qui « s’inspire » de ses nouvelles fonctionnalités pour développer les siennes, à un tel point que Facebook grignote dangereusement ses parts de marché, la plateforme de communication collaborative Slack est en train de vivre les mêmes difficultés avec Microsoft et son outil Teams. Acuité commerciale ou prix d’éviction/ventes liées, depuis que Microsoft a presque gratuitement intégré Teams à son offre Office 365, déjà déployée dans une trâlée d’entités, l’attractivité de Slack en a pris un sacré coup et ce à un tel point que de nombreuses d’entre elles projettent même de migrer vers Teams alors qu’elles reconnaissent que Slack reste le meilleur produit. Slack devra donc redoubler d’inventivité pour contrebalancer l’atout majeur de Teams, sa quasi-gratuité… sauf à ce que ses innovations fonctionnelles continuent d’ « inspirer » le développement de Teams.
#donnéespersos
#cjue
#facebook
#transfertshorsUE
#bloodytuesday
Mardi dernier voyait le grand retour de Max Schrems à la CJUE, pour une nouvelle passe d’armes autour de la question des transferts de données UE-US mis en oeuvre par Facebook. A ne pas confondre avec l’autre question préjudicielle (actuellement suspendue) introduite par la Quadrature du Net en France (cocorico), la procédure n’a pas trait, cette fois, au Privacy Shield, mais bien aux clauses contractuelles types de la Commission européenne, telles qu’utilisées par le réseau social. La précision est importante – et cependant, au gré de sa transmission par la Cour suprême irlandaise puis de son interprétation par la CJUE, la question a déjà fait tache d’huile : les débats portent désormais sur la validité des clauses contractuelles type en général à l’aune du GDPR, et la Cour n’exclut pas de se prononcer sur le maintien du Privacy Shield. Un objectif, si ce n’est très éloigné, du moins très différent de celui initialement poursuivi par Max Schrems, et qui a valu une volée de bois vert pour l’autorité irlandaise, de la part de ses homologues, des gouvernements et même du CEPD : c’est qu’au lieu d’en faire un enjeu aussi universel, il eût pu lui suffire, plus simplement, de contrôler la bonne application, au cas présent, des clauses type. Nous serons pour notre part moins durs : c’est qu’il y avait là, clairement, l’opportunité de secouer un peu la Commission, qui plus de trois ans après l’adoption du GDPR, n’a toujours pas mis à jour ses clauses…
#taxegafam
#géopolitique
#laloidutalion
Parce que selon un certain angle de vue américain, la France et la Chine ne sont pas distinguables. Alors que l’adoption définitive de la « Taxe GAFA(M) » par le Sénat était pressentie (à raison puisqu’elle fut définitivement adoptée jeudi dernier), les Etats-Unis ont lancé une investigation visant à déterminer si cette taxe est discriminatoire à l’égard des entreprises américaines. Cette procédure pourrait donner lieu à l’établissement de sanctions commerciales contre l’hexagone, à l’instar de la Chine, dans l’hypothèse où la commission d’investigation estimerait que tel serait le cas. Il est également reproché à la France d’avoir fait cavalier seul alors que des négociations multilatérales sur la taxation des entreprises du numérique sont justement en cours au niveau de l’OCDE. Malgré l’échec des négociations régionales sur le sujet, l’initiative de la France pourrait ainsi avoir un effet domino dans la zone unioniste, d’où l’enjeu pour les Etats-Unis de taper du poing sur la table pour tenter de prévenir les velléités en ce sens. On s’en doutera, ce ne sont pas les GAFAMs qui se sont plaints.
#libertéd'expression
#twitter
#trump
#presidentialcybersquatting
Ce n’est ni tout à fait un effet vertical, ni tout à fait un effet horizontal. Disons un effet oblique. L’année dernière, une juge américaine avait interdit au président américain tout blocage d’utilisateur de son compte Twitter @realDonaldTrump. Motif en était que dès lors que M. Trump en avait fait un compte officiel (en parallèle de @POTUS) par lequel il s’exprimait à la nation en sa qualité de président, celui-ci n’était plus libre de filtrer ceux de ses abonnés qui pouvaient avoir accès au contenu de ses tweets et interagir avec, la liberté d’expression des citoyens américains pas contents prévalant. La semaine dernière, cette décision a été confirmé en cause d’appel après que les magistrats n’aient pas été convaincus par la défense de M. Trump qui reposait sur l’argument que ce dernier faisait une utilisation privée de son compte. Peut-être y a-t-il désormais un petit billet à se faire en réservant @realDonalTrumpunofficial ?
#CADA
#transparence
#opendata
#administrationpublique
#etjaicriépourquelleréponde
We need to talk about la CADA : les semaines s’accumulent, en effet, où l’on se voit contraint de mettre en lumière les avis étonnants, pour ne pas dire extrêmement contestables, de cette commission pourtant centrale dans l’objectif de transparence de la vie publique. Les intéressés, eux, vous diront combien les délais de traitement de leurs demandes ont tendance à s’allonger sans limite visible. Mais alors, que se passe-t-il ? Une fois n’est pas coutume, Nextinpact nous offre une enquête en immersion, critique mais pas à charge. Il y aurait, donc, d’abord le manque de personnel, et plus généralement de ressources, lot commun de toutes les autorités et juridictions, dont on ne cesse de rappeler qu’il affecte gravement la qualité des décisions, lorsqu’elles doivent être rendues toujours plus nombreuses dans des délais difficilement compressibles. Mais il y aurait, aussi, les ressorts plus politiques, liés au renouvellement récent des membres de la commission, et les pressions plus ou moins officieuses des administrations concernées par les affaires en cours – faudra-t-il donc un jour une CADA de la CADA ?
#cybercrim
#police
#internet
#lecontinentinvisible
Que savons-nous de la cybercriminalité ? Finalement, pas grand-chose : voilà ce que laisse à conclure l’analyse des services de police eux-mêmes, premiers interlocuteurs des victimes dans la majorité des cas. C’est que le nombre de dépôts de plaintes ou de mains courantes ne fournit qu’un indicateur très imparfait de la réalité des menaces et des infractions, limité principalement par l’autocensure des victimes. L’article donne toutefois l’occasion de rappeler que la cybercriminalité n’est l’apanage ni des mafias, ni des grands groupes ni des Etats : la majorité des faits répréhensibles présente l’inconvénient, précisément, de se situer en-deça du seuil d’opportunité des poursuites, pour une justice et des autorités disposant, en proportion, de toujours moins de moyens. Le risque est ainsi de voir se diffuser un sentiment d’impunité, aux antipodes des objectifs actuels. Ici comme ailleurs, on ne peut qu’espérer que la solution retenue ne tiendra pas dans une énième loi ou réglementation, mais bien plutôt dans des ressources humaines, financières et matérielles à la hauteur du problème.