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Celle qui copie sans plagier – Maj du 16/07/19

L'actu en bref

Cette semaine, on se sent plus impuissants que jamais face aux géants de la tech : l’annonce que la FTC serait en train de préparer une amende de 5 milliards de dollars contre Facebook a fait grimper son titre en bourse, car le montant de l’amende avait été correctement prévu et déjà provisionné. 5 milliards, c’est 9% du chiffre d’affaires mondial 2018 de Facebook, donc une amende plus de deux fois supérieure à l’amende maximale sous le RGPD – autant dire que son impact peut être relativisé. Là où The Verge parle d’une “blague gênante“, le Wall Street Journal préfère voir le début d’une nouvelle politique étasunienne en faveur de la vie privée et s’attend à de nouveaux textes en la matière : la différence entre le RGPD et l’amende FTC, c’est que l’amende RGPD doit être accompagnée de vraies mesures correctives. On reste dans le thème, avec une amende de 99 millions de pounds en préparation au Royaume-Uni contre les hôtels Marriott et une amende de 75 000 euros contre une association par la CNIL pour défaut de sécurisation d’un site web, mais aussi la révélation que des enregistrements de Google Home sont écoutés par des humains chez Google (les explications de Google) et que le FBI fait de la reconnaissance faciale sur la base des permis de conduire, une nouvelle version du Règlement ePrivacy par la présidence finlandaise, un rappel à l’ordre de Laurent Wauquiez pour les SMS envoyés aux lycéens de sa région l’année dernière, le premier agrément d’un organisme certificateur de DPO, l’AFNOR, et beaucoup de boulot de l’EDPB qui sort la même semaine un avis critique sur le CLOUD Act, des guidelines sur les traitements de données persos dans la vidéo ouvertes à consultation publique, et un avis sur la proposition française de liste de traitements exemptés de PIA. Une semaine également intéressante au niveau judiciaire : Amazon n’est pas tenue, d’après la CJUE, de fournir un numéro de téléphone à ses consommateurs tant qu’un moyen de communication rapide et efficace est disponible (et on ne peut pas nier que c’est le cas), un responsable politique a été condamné à 2001 € pour défaut de mentions légales sur son site, et la Commission obtient un accord avec AirBnB pour une modification de ses CGV. On note également la validation par l’Assemblée de la proposition de loi contre la haine en ligne, vertement critiquée par la CNCDH, l’ouverture par les USA d’une enquête sur notre taxe GAFAM tout juste adoptée, pour déterminer si des droits de douane punitifs s’imposent en retour, le rappel des règles prochainement applicables aux paiements en ligne en Europe, le suivi des sorties de jeux de données open data de juin, le point par le Ministère de l’Intérieur sur l’état de la menace liée au numérique en 2019, et le rapport de l’ADLC pour ses 10 ans. On se quitte sur un petit jeu de tennis caché dans Google pour Wimbledon, un excellent outil de Facebook pour voir quels sont les tiers qui traitent vos données sur la plateforme, en espérant que cela les aide à ne pas figurer sur ce joli petit compteur des amendes GDPR.

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

Plus personne n’est surpris de pouvoir ajouter des “stories“, ces courtes vidéos disponibles au visionnage pendant 24h, à la fois sur Facebook, Instagram, WhatsApp et Snap. Pourtant, le concept faisait partie intégrante de Snap dès ses origines, et n’est arrivé qu’à posteriori sur les services concurrents… à peu près au moment où Snap refusait la troisième offre de rachat de Facebook, qui détenait déjà Instagram et WhatsApp. Comme beaucoup des idées de Snap, la story a rapidement été copiée par Facebook pour endiguer la fuite de ses utilisateurs vers la jeune pousse. Et ça marche : les parts de marché sont désormais stables, et Facebook est plus profitable que jamais tandis que Snap continue de stagner en bourse à un prix inférieur à sa valeur d’introduction.

Le problème de la liberté

Cette situation met en lumière les difficultés qui existent aujourd’hui pour réguler la concurrence face à nos bons vieux mastodontes, qui mettent toute entreprise ayant du succès dans un domaine proche du leur dans une situation d’absorption ou de mort. Comme Snap face à Facebook ou Slack face à Microsoft, les leaders de marchés voisins de ceux des GAFAM se voient placés entre Charybde et Scylla, c’est-à-dire entre une proposition de rachat et la promesse d’une concurrence à la Hunger Games (ou Koh Lanta, selon vos références), où il n’en restera qu’un et tous les coups sont permis. Il faut dire que le principe reste, celui de la liberté d’établissement et d’entreprise, liberté fondamentale protégée conventionnellement (article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE) et constitutionnellement (Cons. const. 16 janv. 1982, n° 81-132 DC). C’est précisément cette liberté qui est censée assurer une libre concurrence : puisque la faculté de s’établir, y compris sur un marché déjà occupé, est protégée au plus haut niveau, il convient de combattre les restrictions à cette liberté.

Mais comment gérer une situation telle que celle de Snap ou de Slack ? Les deux sociétés ont toujours fait part de leur détermination à exister par elles-mêmes et à ne pas se faire racheter, et, en tout état de cause, la prévention des concentrations est précisément un outil du droit de la concurrence qui pourrait bien faire disparaître l’option “rachat” – certains diront même que le droit des concentrations aurait dû être mobilisé bien plus tôt dans le développement des géants du net, par exemple pour s’opposer au rachat d’Instagram et WhatsApp par Facebook ou de Waze par Google. La situation de concurrence n’est cependant pas bien reluisante : la seule manière de combattre un Goliath aux fonds infinis est d’innover en permanence, afin de profiter du fait que la mise sur marché est généralement plus rapide pour les entreprises de plus petite taille. Rien n’empêche cependant nos bons gros géants, en vertu de la liberté d’entreprise, de se lancer dans la course et de développer leurs propres versions de l’innovation en question. Ce n’est ni un abus de position dominante, ni de la concurrence déloyale, qui consiste à commettre une faute de concurrence telle que créer de la confusion entre ses services et ceux d’un concurrent, ni même du parasitisme, le fait de s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit sans bourse délier de ses efforts et de son savoir-faire, au contraire : tant que les géants du net ne limitent pas l’accès au marché mais ne font que l’investir eux-mêmes pour développer leur propre version d’un produit ou d’une fonctionnalité, bien liée à leur propre image de marque, il ne s’agit que du jeu d’une libre concurrence.

La troisième voie

C’est d’ailleurs toute la difficulté de la situation : les géants du net bénéficient d’une image de marque extrêmement forte, assise sur des années de croissance et de domination grâce à leurs propres innovations. Ils n’ont ainsi aucun intérêt à se placer dans le sillage d’un jeune concurrent ou de créer de la confusion avec lui : une fois le produit reproduit en interne, il leur suffit de le proposer à leur gigantesque base d’utilisateurs, en étant quasi-certains de son succès. Il est arrivé que cela ne soit pas le cas et que le géant en question soit tenté d’influer sur la concurrence en mettant en avant son nouveau produit (référencement préférentiel, vente liée), comportements prohibés par le droit de la concurrence et ayant déjà donné lieu à des amendes et des mesures correctrices, en espérant que celles-ci ne surviennent pas trop tard, une fois la concurrence définitivement écrasée. En revanche, tant que l’on reste dans les clous, peut-on vraiment reprocher à une entreprise qui connait déjà un énorme succès de chercher des voies pour continuer sur sa lancée, et d’étudier les marchés connexes pour ce faire ? On pourrait avoir l’idée de se tourner vers d’autres mécanismes de protection, tels que le droit d’auteur : après tout, la copie, c’est mal. Le principe est cependant également celui de la liberté, celle des idées cette fois, qui sont de libre parcours, pour reprendre l’expression consacrée. Ainsi, tant que Facebook imite l’idée sans plagier directement le code de Snap, en développant en interne par ses propres moyens une fonctionnalité similaire, aucune atteinte au droit d’auteur ne peut être caractérisée.

Ne peut-on donc rien faire ? Nous parlions il y a peu de temps de l’hypothèse du démantèlement, qui pourrait être une solution à la situation présente, à condition de couper très fin : il ne s’agirait pas de séparer Facebook d’Instagram, mais bien de distinguer la newsfeed Facebook de Messenger et d’Instagram. Cette voie extrême est de plus en plus invoquée partout dans le monde, mais porte le risque d’inhiber l’innovation : à quoi bon créer un service de qualité si l’on risque de se faire couper net arrivé à un certain stade ? Il existe également la possibilité de ne rien faire, en constatant qu’en l’état du droit, rien n’est illégal, et en veillant en permanence à ce que les règles soient effectivement respectées. Comme lorsque nous discutions du démantèlement, nous sommes cependant convaincus qu’une troisième voie existe bien, consistant à garantir la libre concurrence sur les mérites en mettant à disposition de tous la ressource devenue indispensable : la donnée. C’est en effet grâce à elle que les géants rattrapent leur retard face à une innovation nouvelle, et c’est donc elle que l’on pourrait considérer comme essentielle à une concurrence ne portant que sur la capacité à innover, par application de la théorie des facilités essentielles. Dit autrement, le meilleur data scientist de la planète ne pourra jamais créer de logiciel de reconnaissance d’image aussi performant que celui de Facebook sans pouvoir entraîner son algorithme sur les données d’images annotées du réseau social. Pour Slack, l’impact serait limité, le problème étant maintenant plus une concurrence sur les prix, sur laquelle le droit de la concurrence peut influer. Pour Snap en revanche, l’accès aux données anonymisées des utilisateurs de Facebook permettrait probablement le développement de nouvelles fonctionnalités, notamment d’intelligence artificielle. À l’heure où l’Europe cherche ses champions de l’IA et le développement de ses propres licornes, c’est certainement cette voie médiane qui, telle une baie empoisonnée, permettrait d’interrompre ces Hunger Games – la contre-référence à Koh Lanta ne marche plus ici, désolés.

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, en bondissant sur Google Maps !