La relation de YouTube avec les ayants droit a toujours été un je-t’aime-moi-non-plus mouvementé : d’un côté, la plateforme offre des perspectives d’audience renouvelées et inégalables ; de l’autre, la contrefaçon a toujours été diffusée en masse sur le site. C’est pour répondre à cette situation et partir en lune de miel que le géant de la vidéo a développé le système ContentID : les ayants droit fournissent leurs œuvres à YouTube, qui en extrait un masque pour ensuite comparer ledit masque à toute vidéo uploadée sur la plateforme. Si la vidéo contient une œuvre protégée ainsi reconnue, le titulaire des droits peut au choix ne rien faire, monétiser la vidéo ou la bloquer. Grâce à ce système génial qui fait des adversaires d’antan de nouveaux partenaires, la relation est de longue date au beau quasi fixe.
Un système à vocation universelle ?
L’idylle est tellement sublime qu’elle fait des émules : la proposition de réforme de la directive européenne sur le droit d’auteur contient un article 13 qui, si la directive devait être adoptée telle quelle, imposerait à toutes les grandes plateformes d’échange de contenus “le recours à des techniques efficaces de reconnaissance des contenus“… comprendre, à ContentID. Or, si le système fonctionne plutôt bien du point de vue des ayants droit, nombreuses sont également les critiques : la technologie est capable de reconnaitre le masque d’une œuvre, mais pas d’appliquer les règles complexes du droit d’auteur telles que les exceptions de courte citation ou de parodie, et encore moins de détecter une utilisation licite sous licence…
Le risque du déploiement généralisé d’algorithmes censeurs est massif : tout un pan de la culture Internet dépend du partage de contenus et de ces exceptions au droit d’auteur peu aisées à intégrer à une intelligence artificielle, si “intelligente” soit-elle. Chacun retrouve à peu près ses petits avec ContentID parce que le nombre d’œuvres protégées dans la base de données de Youtube reste somme toute limité, et qu’il est possible de contester les décisions de l’algorithme. La généralisation du système à tout site permettant le partage de tout type d’œuvres serait l’équivalent de tenter de contenir un tsunami avec un seau. La conséquence : les plateformes seraient obligées de durcir leurs programmes de détection afin de ne pas voir leur responsabilité engagée.
La lutte contre les robots videurs
La fronde s’organise donc contre cette proposition, avec notamment comme le titre NextINpact, “un déluge de critiques“, ou encore une lettre ouverte des pères fondateurs du web (PDF). Plus récemment, c’est le Rapporteur spécial à la liberté d’expression de l’ONU qui a pris la plume (PDF). Pour cause : le projet sera examiné le 20 juin en commission des Affaires juridiques au Parlement européen. Même Google en vient à critiquer son petit, pour ne pas voir de nouvelles obligations plus drastiques remettre en cause son statut d’hébergeur.
In fine, à l’heure de l’algorithmisation croissante de la société et de la défiance contre les GAFAM, le comble est que le législateur lui-même souhaite automatiser la lutte contre la contrefaçon. Le choix appelle forcément quelques questionnements : souhaite-t-on déléguer toujours plus de décisions à l’intelligence artificielle ? Quel impact sur la culture ? Le droit d’auteur en sera-t-il véritablement plus protégé ? Enfin, la régulation d’Internet doit-elle vraiment passer par des robots videurs, qui seraient les garants de nos libertés sur l’espace virtuel ?
Ce qu'on lit cette semaine
#copyright
#rôleactif
#vendredi13
Retour de la directive droit d’auteur sur le devant de la scène, à l’approche du vote du Parlement Européen (prévu pour demain), et notamment de son article 13, projetant d’imposer aux hébergeurs la mise en place de mesures de filtrage du type de celles mises en oeuvre par Google sur Youtube sous le nom de ContentID, afin de détecter et bloquer automatiquement les contenus identifiés comme contrefaisants car correspondants à une empreinte d’oeuvre fournie par les titulaires de droits d’auteur ou leurs représentants. Relevant jusqu’ici du pur et simple volontariat, et n’ayant pas été (jusqu’ici) jugé comme obérant la qualification d’hébergeur en France, ces mesures modifieraient à coup sûr considérablement, si elles devenaient obligatoires et une condition du régime de responsabilité limitée correspondant, l’économie générale d’Internet, de ses contenus et de sa culture. Des voix se sont déjà élevées contre le vote de la disposition, en la personne notamment de l’Electronic Frontier Foundation, la Fondation Mozilla et la Quadrature du Net.
#marque
#semellerouge
#validité
#Louboubou
Suite et fin de l’affaire de la validité de la marque constituée par une semelle rouge. Pour rappel, les conclusions de l’avocat général, dans leurs dernières versions, sans pour autant être d’une véritable fermeté en ce sens, tendaient à considérer que la marque semelle rouge était susceptible de rentrer dans la catégorie des signes exclusivement constitués par la forme qui donne une valeur substantielle au produit, lesquels ne peuvent être protégés au titre du droit des marques. Chose rare, la Cour de Justice de l’Union Européenne, elle, a décidé la semaine dernière de rouvrir la porte que l’avocat général suggérait de fermer, décidant ainsi qu’un signe constitué d’une forme de semelle de chaussure à talon haut et de la couleur rouge n’était pas exclusivement constitué de la forme de la semelle dès lors que l’enregistrement d’une telle marque visait à protéger l’apposition d’une couleur à un emplacement spécifique. Alors, habile ?
#bitcoin
#manipulations
#aiesconfiance?
Du rififi dans les registres de la blockchain Bitcoin. Publié il y a quelque jours, un article académique, se fondant sur une analyse des flux de transactions menés sur une des plus grandes plateformes d’échange de cryptomonnaies, Bitfinex, pointe du doigt l’existence de signes tendant à la conclusion de ce que l’explosion du cours du Bitcoin de la fin de l’année dernière pourrait être en partie le fruit d’une manipulation par plusieurs gros acteurs de marché. De quoi miner (get it ?) le moral des enthousiastes et revoir l’interprétation de l’évolution de la valeur du Bitcoin, passée d’abord car il est possible que son augmentation folle ne reflète pas tout à fait un intérêt des acteurs économiques pour la cryptomonnaie aussi important qu’il n’y parait, mais également future car la confiance, dans les nouveaux marchés, est un élément structurant de leurs succès.
#cookies
#donnéespersos
#conseild’état
#surquelpieddoit-ondanser
Tout comme elle dit la CNIL, ou peut-être pas. Le Conseil d’Etat a rendu une décision importante en matière de cookie (ou « cookie » pour reprendre la ponctuation de la Haute juridiction administrative) à l’occasion d’un litige opposant la CNIL et la société éditrice du site challenge.fr alors que cette dernière contestait la sanction que la première lui avait imposée en considération de plusieurs manquements constatés tant à la règlementation données personnelles qu’à la règlementation cookies. On y découvre notamment une approbation solennelle de la position de la CNIL selon laquelle l’indication de comment paramétrer son navigateur internet pour empêcher le dépôt des cookies n’était pas un mode valable d’opposition, encore qu’il soit possible d’y voir une appréciation purement in concreto des informations fournies en l’espèce, ou bien la confirmation de ce que 13 mois est une durée de conservation proportionnée pour les données cookies, encore qu’il soit possible d’y voir la sanction du simple fait de n’avoir rien fait pour imposer une durée de conservation aux tiers déposant les cookies via le site challenge.fr. Pluralité d’interprétations possibles donc, avec cependant une certitude : le rejet de la doctrine de la CNIL qui, dans le cas de dépôt de cookies lus et exploités par des tiers, considérait l’éditeur comme sous-traitant de données. C’est donc de responsables qu’ils seront désormais qualifiés, sans pour autant que l’on sache d’où cela vient.
#gdpr
#lemurdelatlantique
Here we go again : moins de trois ans après l’invalidation par la CJUE de feu son frère aîné le Safe Harbor, voici que le Privacy Shield, déjà de longue date sous le feu de la critique, voit son avenir officiellement menacé. A la suite du scandale Cambridge Analytica et de l’adoption du Cloud Act américain, la commission des libertés civiles (LIBE) du Parlement Européen invite en effet la Commission Européenne à suspendre l’accord UE-US, faute pour les Etats-Unis de se conformer effectivement à ses stipulations d’ici septembre prochain ; bien que ni la commission LIBE ni le Parlement lui-même n’ait le pouvoir de suspendre (et encore moins d’invalider) cet instrument, cette invitation sonne clairement comme le premier pas d’une possible mort prochaine du Privacy Shield. L’événement serait, s’il se confirme, un nouveau raz-de-marée : on se souvient comment l’invalidation du Safe Harbor avait rétroactivement frappé d’illicéité tous les transferts entrepris sur son fondement…
#donnéespersos
#lavoixdessages
Après un circuit législatif quelque peu chaotique, la loi relative à la protection des données personnelles, prise pour l’adaptation du droit français aux dispositions du GDPR, arrive enfin en bout de course, avec cette validation quasi-intégrale par le Conseil Constitutionnel, saisi d’un contrôle a priori. Si une seule disposition a été déclarée inconstitutionnelle (celle relative aux traitements de données d’infraction mis en oeuvre “sous le contrôle de l’autorité publique”, jugée insuffisamment précise et partant pas suffisamment protectrices des droits et libertés des citoyens), le Conseil fournit des éclaircissements utiles, concernant notamment les décisions automatisées prises par l’administration, qui devront, pour être licites, se conformer strictement aux exigences du texte telles qu’interprétées par les Sages. Reste donc à toiletter la loi Informatique & Libertés – avec, pour notre part toutefois, un petit regret et quelques craintes pour l’avenir s’agissant du champ d’application territorial…
Une approche instructive bien qu’anecdotique sur les méthodes de développement d’un algorithme de natural language processing : ou comment Amazon prépare le lancement de son home assistant, concurrent du Google Home, sur le marché français, en “apprenant” à l’outil les rudiments de forme et de fond nécessaires pour satisfaire le public hexagonal. Accents, argots, grammaire complexe : les obstacles posés à la tâche sont nombreux ; de façon peut-être moins attendu, on apprend également que l’une des principales étapes du travail consiste à nourrir l’outil pour l’adapter aux exigences du “français moyen”, dont les sujets de prédilection comptent (semble-t-il) la date des prochaines vacances. Pour ce faire, Amazon a donc identifié les sources de data pertinentes parmi les journaux, chaînes de radio et autres médias français, susceptibles de parler au coeur du gaulois que nous sommes – your very own majordome, en somme.