Paris, le 27 avril 1821
Chère amie, cher ami !
Comme il m’est doux de t’adresser ces quelques lignes hebdomadaires, de cette retraite qui me paraît si longue et si lointaine. Je suis las de cette vie d’anachorète ; penses-tu que n’était ce triste virus à couronne, nous nous réjouirions présentement des préparatifs de la Sainte-Catherine ? On parle certes au village du retour des moissons, et l’on se fait fort de les fêter comme l’an passé – pour ma part je n’y crois guère. Mais toi, comment vas-tu ? Nos échanges me ravissent, car ils me suggèrent à tout le moins, par les quelques nouvelles que je t’en donne, que le monde n’a rien perdu de son agitation.
As-tu su comme tantôt, le Conseil du Roi fit la nique à la Cour du Grand-Duché de Luxembourg ? L’affaire a fait grand bruit : il en allait m’a-t-on dit de la surveillance des postes, ce qui n’est pas sans rappeler la triste époque de nos lettres de cachet. Chacun y est allé de son libelle : qui d’une des guildes ayant saisi le Conseil de ses doléances, qui de tel illustre docteur des chaires de la faculté de Grenoble ; quant à moi je me suis fait expliquer le cas – à dire vrai fort complexe – par l’essayiste Marc de Rees, qui en a donné, dans son fameux imprimé “La Conséquence Prochaine” une de ces analyses lumineuses dont il est coutumier. Il s’y raconte aussi que nos voisins du Brabant se sont, eux, plus docilement rallié à la doctrine du Grand Duc – mais tu n’ignores pas comme je me préoccupe de politique extérieure.
On m’apprend du reste à l’instant la publication d’un édit sur ces machines que l’on dit pensantes – tels sont bien nos jurisconsultes, qui se veulent si prévenants là où le gros n’entend goutte ! Il y est question de risques et d’interdits – cela vaudra toujours mieux que nos vieux inquisiteurs ! Le Superviseur de la protection des sujets se réjouit publiquement, et paraît-il que l’initiative fait quelque émule dans le Nouveau Monde. Il est aussi question d’encadrer les certificats de sanité, qui nous seraient un sauf-conduit pour fuir cette quarantaine ; et l’on susurre encore, quoiqu’à mots couverts, au sujet d’une énième réforme du corps des espions de la couronne.
Je conclus dans le désordre pour ne rien te cacher : des pirates mercenaires sont aux prises avec tel service de coursiers, une célèbre ligue de cochers entend s’inscrire en bourse, et l’on aurait de nouveau aperçu une licorne sur les terres du roi. Tout cela ne paiera pas mes coupes de bois : nous consommons tant et plus depuis que nous sommes reclus !
Cette vieille tête est une passoire – j’allais signer en omettant l’essentiel, c’est-à-dire le plus drôle : on se gausse au château de ce fol, un certain sieur Thomas, qui crie à l’existence d’une cité volante et prétend la rejoindre. A-t-on jamais entendu pareilles billevesées ? Ces temps ne me sont décidément d’aucun repos, aussi je m’en remets au plaisir de te lire.
Bien affectueusement,
Ton ami et serviteur fidèle,
K…,
Chevalier d’Aeon