Le nom peut sembler anodin, et pourtant il n’en est rien : depuis vendredi, la twittosphere bruisse du nom de la “Ligue du LOL“, un groupe Facebook qui aurait servi de base d’organisation pour des actes de cyber-harcèlement sexiste, raciste et homophobe par des journalistes travaillant actuellement dans les plus grandes rédactions de France. Dévoilé par Libération, pour qui travaill(ai)ent le fondateur et un membre actif du groupe, le groupe fait aujourd’hui (un peu tard) son mea culpa, ce qui ne nous empêchera pas de nous pencher sur le phénomène spécifique du cyber-harcèlement.
L’amplificateur social
Le harcèlement a toujours existé, sous une forme ou une autre : qu’il s’agisse de bullying, forme de persécution souvent physique exercée à l’école, ou de harcèlement moral au travail, ses formes dans la vie “loin du clavier” (AFK) sont aussi multiples que difficiles à réprimer. Les caractéristiques du harcèlement en font souvent une infraction compliquée à constater et poursuivre : les assaillants ne sont pas toujours à visage découvert, les preuves flagrantes ne sont pas toujours simples à amasser, et la pression morale et physique qu’ils exercent est telle que la victime a rarement la possibilité de les dénoncer par peur des représailles. Un enfant sur trois est harcelé à l’école, 3 millions de femmes ont subi du harcèlement de rue en 2017, et 1 femme sur 5 est confrontée à du harcèlement sexuel au travail au cours de sa vie.
Dans ces circonstances, le numérique n’apparaît pas tant comme un facteur nouveau mais plutôt comme un amplificateur : la facilité et l’instantanéité des échanges cumulées à une impression d’anonymat font qu’il est plus simple, techniquement et intellectuellement, de s’organiser pour cyber-harceler. C’est ainsi que l’on voit régulièrement des hordes d’internautes déferler sur telle vidéo youtube ou telle députée. C’est trop rapidement oublier que le web, comme le numérique, a beau être virtuel, il n’en reste pas moins bien réel : une action numérique peut avoir des conséquences parfaitement tangibles. C’est pourquoi le harcèlement, qu’il soit cyber ou non, est réprimé pénalement. Pis, la circonstance que le harcèlement est cyber est en fait une circonstance aggravante depuis 2014 : le rôle potentiellement amplificateur du web est ainsi pris en compte par le législateur pour réprimer plus durement un acte rendu plus simple à accomplir.
Liberté vs sécurité : l’anonymat face au harcèlement
Le constat est aujourd’hui dressé par le gouvernement comme sa majorité parlementaire que l’arsenal judiciaire actuellement en place ne suffit plus à lutter contre la prolifération et la diversification des faits de cyber-harcèlement. Le récent rapport Avia préconise de s’inspirer des dispositions allemandes en imposant un délai de 24h pour le retrait par les plateformes intermédiaires de certains contenus mis en ligne par leur biais, tout en promouvant, entre autres mesures, un observatoire de la cyber haine. Encore plus récemment, c’est le Président de la République lui-même qui a pris position contre l’anonymat sur “les plateformes Internet” pour lutter contre le harcèlement scolaire.
Si l’on peut comprendre les intentions louables qui sous-tendent cette déclaration, il est loin d’être certain qu’il s’agisse là de la solution. Tout d’abord parce que le web n’est pas si anonyme que l’on veut bien le croire : les plateformes Internet ont déjà des obligations de conservation de données qui, croisées avec les données détenues par les fournisseurs d’accès Internet, permettent régulièrement la poursuite de tous types d’infractions, y compris de harcèlement. Ensuite parce qu’il s’agit là de toucher à la délicate balance entre liberté et sécurité, la défense de l’une se faisant souvent au détriment de l’autre. En l’occurrence, la liberté (et non pas la licence) est le principe cardinal de la fondation d’Internet, et c’est elle qui a permis son formidable développement, notamment parce qu’elle irriguait la pensée des concepteurs de son infrastructure même. Il est ainsi essentiel de ne pas légiférer dans la hâte, de manière réactive, mais de bien peser les tenants et aboutissants de toute nouvelle règle, surtout une qui viendrait effriter un pilier du web, déjà plus fragile qu’on ne le pense. Et pendant qu’on réfléchit aux meilleures manières de procéder, on se munit de ce guide anti-cyber-harcèlement de la CNIL.
Ce qu'on lit cette semaine
#cyberharcèlement
#journalisme
#ligueduLOL
#whenhistorycomestobiteyouintheass
C’est la réapparition de fantômes du passé. Durant les premières années de Twitter, la plateforme n’était qu’utilisée par une poignée de geeks et de jeunes journalistes trendy. Certains de ceux-ci, qui étaient amenés, plus tard, à occuper des postes importants dans le monde du journalisme, ont créé un groupe de discussion sobrement baptisée la “Ligue du LOL”, sur lequel ils pouvaient rire, entre eux, de sujets politiquement incorrects. Seulement, “pour amuser les copains” de ce cercle privé, les blagues ont commencé à devenir publiques, ciblées, répétées et, si les dires sont vrais, plus que douteuses. Autant de comportements qui frôleraient avec la qualification pénale de cyber-harcèlement, sur fond de discrimination. A l’heure où les profils et historiques Twitter de ces personnalités ont désormais été nettoyés, e-réputation management oblige, que reste-t-il de la Ligue du LOL ? Des témoignages de victimes blessées, parfois même traumatisées, et depuis que cette affaire a fait surface et que la parole s’est libérée, des repentis et des mis à pied. La justice est aujourd’hui saisie, et la pelote en train de se dérouler. A voir jusqu’où elle mènera.
Chez Aeon, vous le savez, on aime les GIF. Aussi n’étions-nous pas les premiers à convaincre de la thèse de cet article, à savoir que ces derniers (au même titre que les memes) sont de nouveaux éléments incontournables d’un langage commun issu de l’Internet (et encore ancré, par nature, sur ce medium) ; nous consacrions nous-mêmes il y a quelques temps une Shower Thought sur l’importance de l’Internet Literacy. Car c’est bien de cela qu’il est question : prendre au sérieux les modes d’expression et la culture Internet, désormais entièrement passés du côté de la masse (là où ils n’étaient encore il y a dix ans que l’apanage d’une communauté d’initiés, relativement ésotérique pour le reste du monde) ; l’enjeu n’est d’ailleurs pas qu’anthropologique, dans la mesure où, étant constitutifs d’une technique au même titre que tout langage, ces nouveaux outils sémantiques sont le vecteur privilégié du meilleur comme du pire sur Internet : que l’on pense à Pepe the Frog, détourné des intentions de son créateur pour représenter du jour au lendemain les délires de la far right américaine. Il faut donc comprendre, et pas seulement au niveau scientifique : tout utilisateur moyen d’Internet gagnera ainsi aujourd’hui à connaître ces nouveaux dictionnaires de référence que sont Know Your Meme ou The Urban Dictionary.
#réseauxsociaux
#teens
#tagyou'reit
Ce n’est plus un secret pour personne, si du moins vous avez dans votre entourage à peu près proche des personnes de moins de 18 ans : Facebook, que nous tenions pour l’incontournable d’Internet, peine à séduire les nouvelles générations, qui lui préfèrent d’autres applications plus spécialisées comme Whatsapp ou Instagram (stratégiquement rachetées par… Facebook). Et pourtant : que ce soit au gré de ces rachats, qui permettent une recentralisation permanente des données utilisateurs entre les mains de Facebook, ou encore parce que des utilisateurs (leurs parents, essentiellement) postent du contenu les concernant, les mêmes jeunes personnes restent dans le giron du réseau social, parfois même sans vraiment le savoir. D’où une série de réflexions qui fait écho, pour nous juristes, à des problématiques très actuelles : au-delà de la responsabilité de l’éditeur du réseau vis-à-vis des traitements de données personnelles, n’y a-t-il pas une autre responsabilité à penser, plus souple, moins susceptible de “juridicisation”, du côté des utilisateurs lorsqu’ils postent des données relatives à des tiers ? Comment informer correctement ces tiers, lorsqu’eux-mêmes ne sont pas utilisateurs du réseau ? L’outil le plus approprié, relai du GDPR, n’est-il pas aujourd’hui clairement le droit de la concurrence, dans les situations d’accumulation quasi-propriétaire de données ? Nous en sommes là, et l’on ajoutera qu’on se sent déjà un peu vieux, à la lecture de ce genre d’articles.
#algorithme
#transparence
#sorrywe'reclosed
S’il est une affaire qui cristallise en France toutes les questions relatives aux algorithmes, leur transparence, leurs biais, le nécessaire droit à l’information (tout particulièrement dans le cas des algorithmes “publics”, c’est-à-dire ceux des administrations), c’est clairement l’affaire Parcoursup. Après que son prédécesseur a été épinglé par la CNIL et dénoncé par plusieurs associations étudiantes, le gouvernement avait promis un système transparent, et d’assurer cette transparence notamment par la publication de l’algorithme et son explication conformément à la fameuse loi République Numérique. Las : au gré d’un amendement bien opportun, le même gouvernement semble depuis s’être donné les moyens de vider sa promesse de tout effet utile, en affirmant désormais que certaines parties de l’algorithme (celles utilisées par les commissions locales d’examen des candidats, autrement dit les plus décisives) sont couvertes par le secret administratif, et donc non communicables. Les intéressés en sont ainsi rendus aujourd’hui à la justice, qui leur semble en première instance favorable ; il n’en reste pas moins qu’en matière d’ouverture, la position de nos gouvernements successifs est une fois de plus ambiguë et (osons le dire) globalement décevante.
#fiscalité
#GAFAM
#moullinex
Serpent de mer au long cours, revenu sur le tapis en plein coeur des événements Gilets Jaunes, les premiers traits de la fameuse “taxe GAFAM” se précisent, la version préparatoire du texte de loi ayant été révélée par le site Contexte. On y découvre une portée étonnamment large en termes du moins de nature des services visés (atténuée cependant par des seuils en montants, qui devraient avoir pour effet de réserver la taxe aux plateformes les plus importantes), et une série d’exclusions elle-même loin d’être limpide. L’idée reste en tous cas de corriger le “vide juridique” lié à l’application territoriale de la loi fiscale en matière de services, en faisant sauter les critères traditionnels en la matière : la taxe pour s’appliquer à raison du lieu de situation de l’internaute qui consulte le service, notamment. Reste à voir ce qu’il restera de ce texte une fois passé à la moulinette législative, mais également au crible des normes supérieures que sont les traités (conventions bilatérales) conclus par la France en matière fiscale : rappelons en effet que ces derniers priment dans la hiérarchie des normes, et ont déjà pu servir d’argument aux intéressés afin d’échapper au percepteur français…
#startupculture
#hustle
#luttedesupperclasses
C’est une plongée dans la partie sombre de la startup culture. Dans les open-spaces de bureaux collaboratifs, où chacun est invité à être toujours plus créatif, toujours plus investi dans son travail et heureux d’y consacrer toute son énergie, une nouvelle valeur a émergé : celle du hustle (charbonner/turbiner). Derrière cette valorisation de la productivité pourraient se cacher des mécanismes bien connus, au premier rang desquels se trouve la lutte des classes. Car, à y regarder de plus près, ceux qui bénéficient de ce travail incessant ne seraient pas véritablement les entrepreneurs ou “intrapreneurs”, mais les investisseurs et les managers. Et si les religions millénaires sont en perte significative de vitesse au sein des nouvelles générations, il est possible de voir dans l’adoration d’Elon Musk et de l’idée de “bosser dur pour changer le monde”, un opium d’une autre forme pour des travailleurs acharnés en quête de sens. Qui a dit que Marx était mort ?
#directivedroitd'auteur
#article13
#l'exceptionfétudepaille
Si ce constat était une sauce, elle serait aigre-douce : le chauvin qui sommeille en vous sera heureux de savoir que la France est en train de gagner une controverse législative, le féru de droit d’auteur, lui, sera peut-être plus réservé. La député européenne Julia Reda nous dévoile en effet que notre hexagone national, très pro article 13 (filtres à l’upload), est en train de gagner la bataille contre l’Allemagne qui s’était pour l’instant positionné en faveur d’une réduction de son champ d’application. Là où une précédente version de l’article plaçait les PMEs sous l’ombrelle d’une exception plate, la nouvelle version poussée par la France et acceptée par l’Allemagne impose désormais de remplir trois conditions cumulatives : (i) que la plateforme existe depuis moins de trois ans, (ii) que son CA annuel soit inférieur à 10 millions d’euros et (iii) qu’elle ait moins de 5 millions de visiteurs uniques par mois. Très peu de plateformes, si ce n’est aucune comme le pense Madame Julia Reda, sont donc susceptibles d’être couvertes. Alors, Team France ou pas Team France ?