La semaine passée sera probablement considérée comme décisive en ce qui concerne la régulation du net. Deux des principales institutions européennes, le Parlement et la Commission, ont en effet brillé le même jour par leurs prises de position sur ce que doit être le futur d’Internet. Deux prises de position fortes, qui ne sont pas sans poser de questions par ailleurs.
Le droit d’auteur comme mode de régulation des plateformes monopolistiques
L’événement le plus attendu était probablement le vote du Parlement européen sur la proposition de réforme de la directive droit d’auteur. Rappelez-vous, le texte préparé par la commission JURI avait été retoqué le 5 juillet dernier, et la session plénière du Parlement avait ainsi repris la main sur ce texte. C’en sont suivis des mois de lobbying intensif de la part des ayants droit, des géants du net et des défenseurs de l’Internet libre, pour aboutir au vote final du 12 septembre dernier. Le verdict : l’adoption de la directive, dans une version néanmoins largement modifiée par rapport à celle initialement proposée.a
Le débat, comme vous l’aurez sûrement compris, portait principalement sur deux articles, les articles 11 et 13, qui consistent pour le premier à accorder un droit voisin aux éditeurs de presse permettant d’obtenir une rémunération de la part des plateformes du net et pour l’autre à garantir que l’utilisation d’œuvres protégées par ces mêmes plateformes sera rémunérée.
Vous nous connaissez, ce n’est pas notre genre de rentrer dans ces débats, la Maj ayant principalement pour but d’informer et de faire réfléchir. Et justement, les débats autour de ces textes ont suscité la réflexion suivante chez nous : le but non caché des ayants droit comme du législateur par ce texte est de rééquilibrer la relation entre géants du net et producteurs de contenus, du fait de la plateformisation, soit. Mais le droit d’auteur est-il vraiment le bon outil pour ce faire ? Le titre du nouvel article 13 est “Utilisation de contenus protégés par des prestataires de services de partage de contenu en ligne qui stockent et donnent accès à un grand nombre d’œuvres et d’autres objets protégés chargés par leurs utilisateurs“, et pourtant la lettre de l’article ne distingue aucunement entre les plateformes qui stockent un petit nombre d’œuvres et celles qui en stockent un grand.
Il est indéniable que les pratiques et le statut monopolistique des géants du net amènent à se poser des questions légitimes, mais la directive droit d’auteur était-elle vraiment le moyen de répondre à ces questions, quand le droit des données personnelles et de la concurrence se font de plus en plus présents ?
La remise en cause globale du statut d’hébergeur
L’annonce a été faite le même jour que le vote de la directive droit d’auteur, et est donc potentiellement passée inaperçue, mais elle est pourtant de taille : la Commission européenne se propose de forcer les géants du net à retirer les contenus terroristes signalés par les États en moins d’une heure, avec la possibilité d’une amende de 4% du chiffre d’affaires annuel mondial.
Ce texte, associé à la réforme de la directive droit d’auteur, ne peut signifier qu’une seule chose : l’hébergeur est mort, vive la plateforme.
La semaine dernière a clairement marqué le choix de l’UE de passer du fameux régime de responsabilité limitée à un régime de responsabilité assumée dans un certain nombre de cas, qui ne sont qu’appelés à s’étendre. Ce faisant, la fameuse maxime “grand pouvoir, grande responsabilité” que nous vous ressassons de l’oncle Ben de Spiderman (aussi attribuée, potentiellement à tort, à Voltaire) est désormais faite loi.
La distinction pertinente n’est en effet plus la summa divisio hébergeur/éditeur, ni même plateforme/autres acteurs de l’internet : c’est bien géants du net/autres acteurs, le critère essentiel et déterminant étant celui de l’impact sur la société.
Cette position européenne ne peut qu’être envisagée à l’échelle globale : tout d’abord parce que le mouvement semble être en passe d’être suivi outre-Atlantique, où la défiance envers les géants du net ne fait que croitre (en revanche, quid de la Chine et de ses BATX ?), ensuite parce que l’UE, à l’instar des États-Unis, ne semble plus avoir aucun problème à étendre sa juridiction mondialement. La nouvelle ère de la régulation du net est arrivée, quelles en seront les conséquences ?
Ce qu'on lit cette semaine
#droitd'auteur
#marchéuniquedunumérique
#pascontentlenet
Terrain d’une lutte intense entre les créateurs de contenu et les plateforme via lesquelles ces contenus sont relayés, la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique du numérique a été adoptée par le Parlement Européen. Et, parce qu’elle est diligente, on vous livre cette lecture (et critique) détaillée du texte qui nous vient de Nextinpact et met en lumière certaines de ses difficultés d’interprétation et de mise en oeuvre tout en envisageant une seconde vie à Hadopi. L’on notera, entre autres, l’insertion inopinée d’une disposition visant à protéger les organisateurs d’événements sportifs et l’habile réécriture de l’article 13 pour contourner la prohibition de l’obligation de filtrage généralisé. Et si vous n’en avez pas assez, on vous suggère la lecture de cette opinion du responsable juridique du moteur de recherche Qwant qui envisage en quoi, sous couvert de leur porter préjudice, les articles 11 et 13 renforceront les GAFAM. Mais ne rangez pas tout de suite vos popcorns, la procédure législative n’est pas encore terminée.
#luttecontreleterrorisme
#responsabilité
#intermédiairestechniques
#GAFAisthenewBrita
Dans la continuité de ses recommandations, en mars dernier, pour la mise en place de mesures permettant d’améliorer la lutte contre la dissémination de contenu terroriste en ligne, la Commission Européenne a décidé de sortir une artillerie plus lourde : la proposition de règlement. Parti du constat que la soft law n’était pas suffisante, la Commission entend ainsi rendre contraignante nombre des règles qu’elle n’avait, à l’époque, que suggéré. Aussi ces dernières n’ont-elles pas fondamentalement changé, l’on retrouve notamment l’obligation, pour les hébergeurs, de retirer le contenu à caractère terroriste dans l’heure qui suit l’injonction des autorités nationales en ce sens, ou encore celle de prendre des mesures proactives, comprendre de mettre en place du filtrage, pour lutter contre leur dissémination. Ah, si, il y a quand même quelque chose de nouveau, la sanction en cas d’échec systématique à retirer du contenu à caractère terroriste après signalement qui s’élève à 4% du chiffre d’affaires annuel total de l’entreprise. Enfin, quoique…
Pour la proposition de règlement en elle-même, c’est ici.
#privacy
#surveillance
#police
#donnéespersos
#bigbrotherdevrarevoirsacopie
La Cour Européenne des Droits de l’Homme persiste et signe, en s’intéressant cette fois au système d’interception généralisée des données de communication prévu par le législateur britannique : dans la foulée des révélations d’Edward Snowden, plusieurs associations de défense des droits et libertés avaient en effet initié une action devant la Cour de Strasbourg en vue de faire condamner le Royaume-Uni sur le double fondement du droit à la vie privée et de la liberté d’expression/du droit à l’information. Pari gagné, puisque la Cour désapprouve très clairement ce schéma de surveillance indiscriminée, invitant ainsi à définir plus finement les conditions de collecte, d’accès et de conservation des données interceptées, au regard notamment des personnes et infractions concernées. Une décision qui n’est pas sans rappeler la position de l’autre juridiction suprême européenne qu’est la Cour de Justice de l’Union Européenne, constante depuis ses fameux arrêts Digital Rights et Tele2 : ici comme ailleurs, le dialogue des juges fonctionne donc dans l’intérêt des droits du citoyen européen – le Conseil d’Etat français ne manquera sûrement pas d’en prendre note, lui qui doit en ce moment même décider de l’opportunité de soumettre à la CJUE une question préjudicielle l’invitant à réévaluer sa position sur la licéité des dispositifs d’interception généralisée au regard de la lutte contre le terrorisme…
#ico
#Régulation
#blockchain
#çamarcheaveclesjetonsdecaddy?
Une étape importante pour le projet de loi PACTE a été franchie la semaine dernière. La Commission spéciale de l’Assemblée Nationale a en effet adopté son fameux article 26, censé enfin donner aux ICOs une définition légale et un régime. Les entreprises qui souhaitent se financer via une “offre publique de jetons” (Loi Toubon quand tu nous tiens) pourraient désormais soumettre une demande d’obtention de visa et un document d’information à l’AMF, laquelle aurait la charge de vérifier qu’elles remplissent un certain nombre de garanties. L’obtention du visa de l’AMF permettrait ainsi aux entreprises de se retrouver sur une liste blanche qui rassurerait les souscripteurs de jetons quant à leur respectabilité et sérieux. Ce visa pourrait également permettre à ces acteurs de faciliter l’ouverture d’un compte bancaire. Tout n’est pas encore joué car le Sénat doit encore examiner le projet de loi, mais on est sur la bonne voie.
#larrypage
#ingérencerusse
#sénataméricain
#chaisevide
C’était l’épisode “Où est Charlie” d’il y a deux semaines. Alors que le Sénat avait invité Facebook, Twitter et Google pour être auditionnées sur la manière avec laquelle des Etats étrangers avaient pu instrumentaliser leurs plateformes lors des élections américaines, Google avait été la seule à ne pas livrer un de ses exécutifs aux sénateurs. Larry Page a ainsi brillé par son absence. C’est donc l’occasion de découvrir le profil discret, d’aucuns dirait de reclus, de l’actuel président d’Alphabet que seule la pureté de la recherche de l’avancée technologique semble émouvoir. On osera même se demander s’il existe vraiment.
#IA
#éthique
#algorithme
#responsabilité
#dieuestiluneIAquijoueauxdés?
S’il est un sujet qui cristallise et reflète nos interrogations éthiques quant à un monde, ou même une seule activité, organisé(e) autour de l’IA, c’est bien celui des véhicules autonomes ; et s’il est un exercice de pensée qui a pu traduire, récemment, toutes ces interrogations, c’est bien le dilemme du tramway. A cette situation hypothétique qui a depuis des décennies affolé les philosophes spécialisés en éthique appliquée, l’IA apporte en effet de nouvelles complications, en mettant en exergue le caractère résolument insatisfaisant, pour l’esprit d’un agent humain, d’une décision tranchée sur la base de simples calculs “froids” de probabilité. A cette aporie, le physicien et philosophe Alexei Grinbaum propose de substituer une solution en apparence toute simple : réintroduire artificiellement une part de “hasard” dans la décision “finale” de l’IA, afin de simuler une décision humaine et partant la rendre plus “socialement acceptable”. Une idée séduisante ou du moins intéressante, mais qui n’est pas sans difficulté pratique ni même sans difficulté philosophique et politique, ainsi que ce court échange avec le data scientist Frédéric Serval le fait bien voir. En matière d’IA, décidément, il n’est jamais vraiment de réponse simple.