La Maj d'

La newsletter d'actu techno-juridique : tous les mardis matin à 9h, faites la mise à jour !

En cliquant sur “S’abonner”, vous consentez à recevoir la newsletter d’Aeon (la “Maj”) chaque mardi matin à l’adresse email que vous avez indiquée. Les données saisies dans les champs ci-dessus nous sont nécessaires pour vous adresser la Maj par l’intermédiaire de notre prestataire MailChimp, et ne sont utilisées qu’à cette fin.

Vous consentez également à ce que MailChimp collecte, par l’intermédiaire d’un traceur placé dans l’email contenant la newsletter, des informations relatives à l’ouverture de cet email et à votre lecture de la Maj. Ces informations ne sont utilisées par Aeon qu’aux fins d’améliorer la Maj et son contenu, et ne sont partagées avec aucun tiers hormis le prestataire MailChimp.

Si vous souhaitez lire la Maj sans que ces informations soient collectées, notez que vous pouvez la retrouver à tout moment à cette adresse aeonlaw.eu/maj. Vous pouvez également vous abonner au flux RSS de cette page pour être averti de chaque nouvelle Maj dès sa parution, en cliquant ici !

Pour plus d’informations, consultez la Politique de Confidentialité d’Aeon en cliquant ici.


Celle qui doit se numériser – Maj du 21/04/20

L'actu en bref

Cette semaine, l’union sacrée du début d’épidémie est définitivement enterrée et ça se tape dessus de tous les côtés : entre Amazon et certains de ses employés d’abord, l’activité du géant de la livraison ayant été fortement limitée en France à la demande de certains syndicats pour défaut de mise en œuvre de mesures de sécurité effectives (la décision) – résultat, les sites français sont fermés jusqu’à au moins mercredi, l’activité continuant par le biais d’entrepôts étranger, ce qui ne fait pas que des contents chez les salariés de la plateforme. Bagarre également sur la situation de la justice durant cette période délicate (voir notre edito ci-dessous) : alors que des avocats doivent plaider par téléphone, les recours se multiplient devant le Conseil d’État – cet article vous permet de faire un suivi efficace. Les plus notables en date sont celui du CNB pour contester le recours à la visioconférence en audience, rejeté mais des tractations sont en cours pour rendre le dispositif plus flexible, et celui des barreaux de Paris et de Marseille pour obtenir des masques et des gels, partiellement rejeté (lire les explications sur le pourquoi par le bâtonnier lui-même). Disputes sur la future application StopCovid enfin, le projet étant toujours loin de faire l’unanimité : le CNNum est saisi pour avis, il y aura un débat parlementaire les 28 et 29 avril (mais pour l’instant, pas de vote), et les avis tombent de partout – pour Margrethe Vestager, on peut concilier vie privée et app, pour la Quadrature du net, c’est non. Enfin, le débat sur la santé de notre état de droit continue, Laurent Fabius allant jusqu’à défendre sa juridiction dans le Figaro tout comme Bruno Lasserre dans le Monde, ce face à une fronde qui ne faiblit pas, la dernière critique provenant de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. On note également le passage prochain du plafond de paiement sans contact de 30 à 50 euros pour le déconfinement, l’annulation de tous les événements de plus de 50 personnes jusqu’en juin 2021 chez Facebook, des modifications au projet Libra dont l’envergure est réduite à la suite des discussions avec les régulateurs, la vision du confinement des français par leurs requêtes Google, et l’espoir de l’ancien patron de Google Eric Schmidt que le confinement inversera la tendance du techlash. On note pour finir la parution au JO du référentiel sur les traitements de données RH de la CNIL, adopté le 21 novembre 2019 (#mieuxvauttardquejamais) et le lancement du test de la nouvelle version d’Ethereum, qui se basera sur un tout nouvel algorithme de minage. On se quitte sur un brillant article sur l’économie du navet dans Animal Crossing : ce petit jeu sur Nintendo Switch permet de s’approprier une ile déserte et d’y collectionner bébêtes et poissons… et de devenir un pro du capitalisme du navet !

Faites la Maj de chez vous, et à la semaine prochaine !

Le principe de continuité du service public est l’un de ses piliers : notre contrat social stipule que nous confions à l’État une série de prérogatives en échange d’une obligation de résultat sur la fourniture de certains services essentiels – la réponse aux besoins d’intérêt général ne connait pas d’interruption. En cette période de crise sanitaire, le principe constitutionnel de continuité du service public nous permet de pouvoir continuer à vivre tout en ayant nos déchets ramassés, nos attestations de sortie dérogatoire contrôlées, et bien entendu, nos vies sauvées par autant de personnes chargées de missions de service public. Il y a malgré tout pendant cette période délicate une chose que vous ne pouvez pas faire, et c’est régler vos litiges de manière civilisée.

L’arrêt de la justice ou le retour à l’état de nature

En effet, depuis le début de la crise, les juridictions n’accueillent plus que les « contentieux essentiels ». Pour vous donner un exemple, sont considérées comme essentielles les comparutions immédiates et les permanences du tribunal pour enfants. Hormis les contentieux répondant à ce critère d’essentialité, les juridictions sont fermées : même les référés font l’objet d’une sélection afin de déterminer s’il s’agit véritablement d’urgences, instituant ainsi une forme de qualification ex ante de la situation. À l’heure actuelle, il est donc impossible de saisir un juge pour régler tout différend que vous pourriez avoir, et ce alors que la période d’incertitude que nous connaissons est un terreau fertile pour les disputes : il n’est pas très risqué de parier que la crise va engendrer un grand nombre d’impayés et d’inexécutions contractuelles plus ou moins fondées, et donc autant de situations litigieuses.

Le fonctionnement de temps normal de nos institutions nous fait parfois oublier leur essence même ; pour la justice il s’agit bien évidemment de remplir le rôle de tiers arbitre impartial entre deux parties, et ce dans une optique de pacification des relations. La justice est le ciment du contrat social, l’acceptation de déléguer notre faculté de nous faire justice nous-mêmes à une tierce personne et ce pour garantir une égale participation de tous et toutes à la société ainsi formée. Se pose ainsi la question de savoir comment nos relations vont évoluer si la justice est à l’arrêt : quelles peuvent être les conséquences d’une discontinuité du service public de résolution pacifique des différends, et donc de la fissuration de ce ciment social ?

La question est d’autant plus prégnante que la justice est depuis un certain nombre d’années déjà le parent pauvre des services publics : d’après les chiffres officiels, pour 1000 € d’argent public dépensés, seuls 4 vont à la justice, le montant le plus bas de tous les services publics, et la moitié de ces 4 euros sont intégralement reversés à la gestion pénitentiaire. Après plusieurs mois de grève des avocats, souvent soutenus par les magistrats et les greffiers, l’état de notre justice a de quoi inquiéter. Les dossiers en retard se sont accumulés depuis des mois, et l’arrêt quasi-total de l’activité aggrave nettement la situation : les dossiers sont renvoyés à plusieurs mois, quand ce n’est pas à l’année prochaine. Face à cette situation, le risque d’être entrainés dans une spirale vicieuse de non-respect des règles de droit se profile nettement : nous sommes actuellement dans un scénario de théorie des jeux où tout risque bientôt de basculer vers le chacun pour soi. C’est notamment l’alerte sonnée par le professeur Molfessis, qui constate que « tout est donc en place pour détruire la sécurité des transactions et favoriser des comportements qui ne s’exprimeront plus par le droit ». Sans aller, comme le professeur, à parler de far west, la situation est très inquiétante : on peut légitimement douter de la capacité de notre institution judiciaire à reprendre sereinement ses fonctions, et cela fait froid dans le dos.

La machine dynamoélectrique de la justice

Sans tomber dans le solutionnisme technologique, la situation aurait pu être moins inquiétante si la justice avait été plus tôt numérisée à marche forcée. Le droit fait partie de ces secteurs de la société qui peuvent utilement se prêter à la dématérialisation : si les praticiens (avocats comme magistrats et greffiers) sont toujours habitués à leurs dossiers de plaidoirie contenus dans des valises, il est indéniable que la plupart des étapes de la procédure peuvent s’effectuer de manière entièrement numérique. Même les audiences peuvent éventuellement se tenir à distance. S’il ne s’agit nullement de préconiser un passage à une justice entièrement dématérialisée, il n’en reste pas moins que la continuité du service public de la justice aurait pu être assurée à la simple condition d’investir dans la faculté de numériser ce service public : nous ne disons pas que toutes les audiences devraient se tenir à distance, mais qu’il serait heureux que nous ayons la faculté de le faire. Prenons un exemple : si aujourd’hui la plupart des échanges entre les avocats et les juridictions avant l’audience s’effectuent de manière dématérialisée, non seulement le système utilisé est désuet (il date de 2005) et rempli de bugs (il a quand même fallu que la Cour de cassation intervienne pour annuler la caducité d’une déclaration d’appel non parvenue parce que la taille des pièces jointes était limitée à 4Mo), il n’est par ailleurs pas accessible en télétravail pour les greffiers. Voilà donc les garants de l’authenticité de la procédure privés d’accès à leur outil de travail, et donc la justice dans l’impossibilité de fonctionner à distance, forçant certaines juridictions à revenir à des organisations pour le moins primaires.

Il est ainsi urgent de numériser entièrement la chaîne de travail des professionnels du droit, afin de faciliter le traitement des affaires en temps normal et de garantir une continuité d’activité en temps de crise. Il faut investir pleinement dans l’infrastructure de notre justice pour équiper les personnels en matériel informatique à l’état de l’art (on apprend ainsi que le serveur mail de la Chancellerie était limité à 6000 connexions simultanées avant la crise – un hébergement mutualisé chez OVH est plus performant) et en logiciels adaptés à notre époque moderne, permettant de traiter des fichiers de tous types mais aussi de produire des décisions de manière plus efficace et propice à leur mise en open data. Car la numérisation pleine et entière de notre justice n’aura pas pour seul avantage de constituer une roue de secours en cas de recours forcé au télétravail, elle sera aussi l’avènement de nouveaux services et de nouvelles façons de procéder que nous promettent déjà les très nombreuses legaltechs qui ont saisi l’enjeu et initient cette numérisation au sein du secteur privé. On ne peut d’ailleurs que s’étonner de l’absence totale d’une prise de parole en ce sens de la part de nos dirigeants, tant la numérisation à marche forcée a déjà fait ses preuves pendant l’épidémie : elle est désormais l’objectif numéro 1 des directions juridiques, et a permis le partage de données de santé essentielles pour comprendre et lutter contre l’épidémie – depuis le temps qu’on vous parle des vertus de l’open data !

Elle sera également une nouvelle forme de protection de nos droits et libertés : pas de problème de publicité des audiences si celles-ci sont filmées et retransmises, voire tenues, en ligne, comme c’est d’ailleurs le cas dans de nombreux pays depuis le début de la pandémie ; pas de problème de publicité des décisions si celles-ci sont diffusées en open data ; même le respect du contradictoire et des droits de la défense peut s’en trouver renforcer si toutes les actions sont horodatées et certifiées électroniquement. Le numérique est comme un moteur de vélo électrique à dynamo : il permet d’enclencher le mécanisme pour qu’ensuite le vélo tourne tout seul, sans s’arrêter. Les juristes adorent les débats doctrinaux, et on voit depuis plusieurs années poindre des sujets de discussions passionnants sur le rôle de l’intelligence artificielle ou encore de la blockchain dans le droit. Au vu de la situation actuelle, ces technologies paraissent bien lointaines et la seule question que nous nous posons est la suivante : quand est-ce qu’on équipe notre bonne vieille justice d’une dynamo ?

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, sans abuser de la Chantilly !