Alors que beaucoup de unes ont récemment fait état de la chute de popularité du Président de la République, il semble que la grogne gagne tous les sujets de société et que l’humeur est à l’insatisfaction. C’est en tout cas ce qui ressort de l’actualité des derniers jours, qui met en lumière les clivages et les tensions qui sont créés ou exacerbés par le numérique.
Les malheurs de la propriété intellectuelle
La propriété privée est en elle-même un sujet qui peut susciter de la discorde, puisque certains courants de pensée la remettent en cause comme facteur d’inégalités et de domination illégitime. Elle est encore plus clivante lorsqu’elle est immatérielle : si en pratique, on peut s’approprier un bien tangible en empêchant un autre d’y avoir accès, cette matérialisation du droit d’exclure inhérent à la propriété ne peut s’exercer sur un bien immatériel sans concept juridique. La propriété intellectuelle est donc source de débats et de dissensions, en particulier depuis l’avènement du numérique, qui facilite tant le partage de contenus. Il n’est donc pas étonnant que le rejet de la proposition de Directive droit d’auteur par le Parlement européen (le texte n’est pas enterré mais passe sous l’égide du Parlement en son entier et non de la seule commission juridique) cristallise l’insatisfaction.
Loin d’être simplement un combat entre les GAFAM et les auteurs, ce texte a réuni des acteurs pourtant habituellement adversaires : l’insatisfaction envers certains articles de la proposition était telle que les défenseurs des libertés numériques et les pères fondateurs d’Internet se sont retrouvés les improbables alliés objectifs des géants du net, tout en utilisant l’exemple de leurs meilleurs ennemis comme argument contre le texte. Les systèmes de détection automatique de contenus contrefaisants, qui devaient être généralisés par le texte, sont en effet source d’insatisfaction de longue date, ce qui n’a pas manqué d’être répété à l’envie. La boucle est bouclée enfin, quand les défenseurs initiaux du texte se déclarent eux-mêmes déçus, et dénoncent l’intervention des plateformes d’Internet, le plus souvent non-européennes, dans le débat continental.
Le mécontentement généralisé
On retrouve le mécontentement partout dans les grandes actualités de la semaine : le Parlement européen est insatisfait de la mise en œuvre du Privacy Shield par les États-Unis ; les salariés des grandes boites de la tech se rebiffent contre les contrats de défense de ces dernières ; les smartphones peu chers se rémunèrent en données personnelles, au grand dam des utilisateurs ; les défenseurs des libertés numériques comme la Quadrature du net se désolent des atteintes qui sont portées à leur encontre… Le déplaisir semble être partout.
Face à ces contrariétés, quelle attitude adopter ? Le numérique est-il la pomme de la discorde ou simplement un symptôme de celle-ci ? Avons-nous de plus en plus de sujets de mésententes ou celles-ci sont-elles simplement amplifiées par l’instantanéité de l’information ? Espérons qu’au moins, cette Maj vous aura satisfait (et puis, on est en demi) !
Ce qu'on lit cette semaine
#droitd'auteur
#réforme
#parlementeuropéen
#çavanégociersec
C’est une victoire in extremis pour les opposants au projet de réforme du droit d’auteur unioniste. Une petite majorité de députés (318 contre, 278 pour et 31 abstentions) a rejeté le mandat de négociation pris sur le fondement du rapport de sa commission des affaires juridiques, lequel ne proposait que d’amender à la marge les fameux articles 11 (droit voisin à rémunération pour l’utilisation des publications de presse par le fournisseurs de service de la société de l’information) et article 13 (obligation de coopération avec les titulaires de droit et de filtrage de contenu illicite). Prochaine étape ? La discussion du projet de directive en séance plénière en septembre avec tous les eurodéputés. C’est les G_FA_ qui vont être contents.
#privacyshield
#parlementUE
#boucliertroué
Un bouclier peut tomber aussi rapidement qu’il a été levé. C’est ce que semble nous apprendre une résolution récente du Parlement Européen remettant en question le bien-fondé des principes du Privacy Shield, l’accord uniono-américain établi par la Commission Européenne à la suite de l’annulation du Safe Harbor par la CJUE en 2015. Plusieurs événements réglementaires outre-atlantiques n’ont pas été appréciés des eurodéputés, notamment en ce qu’ils étendent le pouvoir des autorités américaines pour la collecte et le transfert des données personnelles, dont celles des européens, à des fins de sécurité nationale. La Cambridge Analytica gate n’a pas aidé non plus. Sans pour autant être juridiquement contraignant, cette résolution s’inscrit dans un mouvement de contestation affiché des autorités de contrôle, lesquelles trouveront peut-être en elle une justification pour remettre en question l’instrument de la Commission plus rapidement que prévu devant la CJUE… ou fera ressortir Maximilien Schrems des buissons, car il n’est jamais loin.
#droitd'auteur
#article13
#reda2larevanche
Après une controverse qui aura atteint ces derniers jours les médias les plus grands publics (on s’en félicitera), voici que le tant décrié article 13 du projet de réforme de la directive “copyright”, prévoyant l’obligation pour les plateformes hébergeurs de contenus de mettre en place des mesures de filtrage automatique en vue de lutter contre la diffusion de la contrefaçon en ligne, semble prêt à partir en fumée. Non pas déjà rejeté, mais du moins repris en main par le Parlement européen dans son ensemble, tandis qu’il devait être voté, au titre d’un mandat spécifique, en commission directement : autant dire que des amendements et d’âpres discussions sont à attendre lors de la lecture prévue en septembre. L’occasion aussi de redonner un peu de contexte sur ces fameuses mesures de filtrage automatique et leur impact réel sur l’économie du droit d’auteur en ligne – des mesures qui, à en croire ceux-là mêmes à qui elles sont censées bénéficier (les titulaires de droits d’auteur), ne font en réalité, en pratique, que renforcer la position de contrôle où se sont érigés les grands éditeurs de plateformes américains, au premier rang desquels Youtube. On s’en demanderait presque qui a pu avoir l’idée de cet article.
#libertéspubliques
#associations
#caresserunejoue,giflerl’autre
Alors qu’elle a bataillé aux côtés des géants du net contre la réforme du droit d’auteur dans l’Union et qu’elle s’apprête à lancer des actions collectives contre ces mêmes géants dans le domaine des données personnelles, la Quadrature du Net est sur tous les fronts. Pourtant, tel n’a pas toujours été le cas. D’abord exclusivement tournée vers des activités de lobbying au moment de sa création il y a dix ans, ce n’est que récemment que l’association a décidé de rajouter un fusil à son épaule et de mener ses combats dans les salles d’audience, non sans succès. Cet article retrace l’histoire de cet acteur incontournable de la défense des libertés publiques en lien avec le numérique et nous éclaire sur la vision que portent ses membres sur leur propre action. Le portrait d’une organisation qui tape sur tout le monde, et se fait respecter pour.
#privacy
#smartphone
#pourunepoignéededata
Sortons un instant du classique duel de paradigmes UE/US en matière de protection des données à caractère personnel et de la vie privée. Laissons de côté aussi le fameux modèle chinois, que nous savons désormais très à l’aise avec la reconnaissance faciale. La tension fondamentale de l’économie de la donnée ne s’observe peut-être finalement nulle part mieux ailleurs que dans les pays émergents, où la contrepartie d’un smartphone à bas prix, garantie d’un accès à Internet jusqu’à récemment réservé aux happy few, s’avère être un traçage immédiat par des applications préinstallées sur le dit smartphone. Question de consentement bien sûr, et d’information, sous nos latitudes très GDPR-compliant ; mais un tel consentement a-t-il du sens quand il conditionne l’accès même au smartphone ? Et n’y a-t-il pas en vérité matière à réflexion dans cet argument (d’ailleurs bien connu de certaines entreprises bien de chez nous) selon lequel si la collecte de ces données est en réalité la seule manière de proposer le service à un coût accessible, il peut être dans l’intérêt du consommateur de légitimer cette collecte ? Le consommateur contre la “personne concernée” de la réglementation données perso, voilà déjà une ambivalence que l’on ne finira pas de si tôt d’explorer. Dans les dits pays émergents, il ne s’agit d’ailleurs même pas seulement de poster des photos de chatons, mais bien de bénéficier du réseau Internet lui-même, bénéfice dans lequel il paraît de plus en plus sérieux de voir un droit fondamental. Ici comme ailleurs, c’est décidément un monde bien complexe que celui qu’il nous faut penser.
#donnéespersos
#secretdescorrespondances
#eprivacy
#laviedesautres
Une fois n’est pas coutume, une belle pièce de journalisme d’investigation : le Wall Street Journal nous révélait récemment comment, au-delà des bonnes pratiques que s’impose depuis quelques années Google à elle-même pour son propre service de messagerie électronique Gmail, les développeurs d’application tierces profitaient d’un accès quasi-facile aux données de contenus des emails – accès valorisé, sans surprise, en premier lieu par la revente de ces données à des fins de targeting publicitaire. Plusieurs enseignements à tirer de cette information : d’abord, que Cambridge Analytica n’aura manifestement sonné ni la fin, ni peut-être même le climax de ces usages de la data pars des tiers, souvent au mépris de l’information et du consentement des utilisateurs concernés. Ensuite, qu’à bien y regarder le droit ne fait pas tout : les règles spécifiques à la protection des données de communications électroniques n’ont en effet pas attendu le projet de règlement ePrivacy pour apparaître, qui existent depuis la directive éponyme de 2002 déjà dans le droit de l’Union. Enfin, surtout, une interrogation réitérée quant à la relation que doivent entretenir ces gigantesques éditeurs de plateforme pour développeurs que sont notamment Google et Apple avec les dits développeurs, quand ceux-ci n’en font qu’à leur tête – un item de plus à faire tomber dans l’escarcelle de ce vaste buisson d’épines qu’est devenu le champ de la régulation des intermédiaires…
#IA
#chatbot
#lescopainsdabord
Lever du voile sur les vraies personnes qui se cachent derrière les (vraies et fausses) intelligences artificielles : dans ce qui ressemble de plus en plus à une redescente sur Terre par paliers après l’ère de toutes les promesses de l’IA pour demain, on (re)découvre aujourd’hui que bien des services prétendument fondés sur des méthodes nouvelles de machine learning ne font en réalité que simuler l’interaction homme-machine… en replaçant un autre homme à la place de la machine. Les raisons d’une telle pratique sont plurielles : nécessité de sonder la viabilité du service avant de débloquer de lourds investissements dans la tech, absence de maturité de l’algorithme ou pure et simple méthode commerciale trompeuse. Ses conséquences le sont tout autant, au premier rang desquelles la montée en puissance d’une nouvelle forme d’emploi précaire : “simulateur d’IA” – où quand l’économie de la disruption semblerait rire à ses propres dépens. Décevant ? Plutôt l’occasion de se rappeler (ça ne fait pas de mal) qu’il reste du chemin à parcourir avant la réalisation de tous ces usages tant fantasmés.