La plus grosse polémique de la semaine autour de Google n’aura pas été à propos de la troisième amende pour pratiques anticoncurrentielles de la Commission Européenne. C’est au contraire l’annonce de la sortie d’un nouveau service, dans un nouveau domaine pour Google, qui aura suscité le plus de commentaires, pour une grande partie négatifs. Les géants du net sont-ils condamnés à la mauvaise presse ? Plongée dans Google Stadia.
Rien de nouveau sous le soleil
Le marché du jeu vidéo, qui pèserait dans les 138 milliards de dollars, est aujourd’hui dominé par quelques acteurs qui captent la majorité de la valeur en produisant des jeux, en organisant des compétitions et en vendant du hardware. C’est dans ce contexte qu’après avoir effectué un recrutement de très haute qualité, Google a annoncé un nouveau service, dénommé Stadia (notons au passage que Google est donc capable de choisir des noms qui ne sont pas complètement descriptifs – Docs, Sheets,Play…), qui consiste à héberger et faire tourner des jeux sur son extrêmement puissante infrastructure, et à retransmettre l’image en ultra haute définition sur n’importe quel terminal équipé de Chrome/d’un Chromecast, le tout avec la possibilité d’y ajouter une manette connectée au WiFi pour réduire la latence. La promesse : ne plus avoir besoin d’investir dans une console ou un ordinateur cher et encombrant, à condition de disposer d’une connexion Internet de qualité. L’idée n’est pas totalement neuve : plusieurs startups œuvrent déjà à dissocier le gaming du coûteux matériel pour le moment requis pour pouvoir profiter de ce nouvel art dans de bonnes conditions. On peut notamment citer les français de Shadow, qui semblent leader ce marché naissant.
Pourquoi, dans ces conditions, autant de retours négatifs ? Il semble que la majeure partie des critiques peuvent être adressés à Shadow de la même manière qu’à Google. Beaucoup de commentateurs dénoncent en effet la disparition de la propriété d’une copie du jeu, permettant de continuer à y jouer sans dépendre du bon vouloir d’un tiers – mais rien de spécifique à Google, le premier concerné étant d’ailleurs plutôt la plateforme catalogue Steam de Valve. Est également critiqué le fait qu’une connexion Internet très haut débit sera requise, délaissant une partie de la population : à nouveau, rien qui différencie Google des autres acteurs du secteur. Itou pour ce qui est des incriminations relatives à la neutralité du Net : si Netflix prend 15% de la bande passante mondiale, combien en prendra Stadia (ou Shadow) si le service rencontre le succès escompté ?
De la concurrence en tant que géant
En définitive, tous ces arguments ne sont que des prétextes à la seule critique que l’on ne peut faire qu’à Google : quid de la concurrence ? La question n’est pas sans poser de difficultés, la première étant qu’il ne s’agit pour l’instant que d’un procès d’intention : si le casier du géant en la matière est loin d’être vierge, rien n’indique pour l’instant que la firme bloquera la concurrence au lancement de son produit, et ce a fortiori parce qu’il s’agira d’une arrivée sur un nouveau marché. Ce qui sous-tend cette préoccupation est en fait la conviction que le service sera une réussite – il s’agit de Google après tout, qui n’a quasiment rien raté à part Google+ – et, de par la seule force de frappe de l’une des entreprises les plus puissantes de la Terre, écrasera le reste du marché. La véritable problématique est donc beaucoup plus profonde et peut être résumée ainsi : peut-on interdire à un géant de se lancer dans un nouveau secteur pour préserver la concurrence sur ce secteur ? La solution serait paradoxale : le droit de la concurrence a pour but d’éviter les manœuvres visant à restreindre la concurrence, mais pas à punir un acteur qui connait la réussite et tente de la connaitre ailleurs. On en revient ainsi à la logique de démantèlement, initiée aux États-Unis pendant la première moitié du 20ème siècle : l’atteinte à la concurrence existe de par la seule force de frappe d’un acteur devenu tellement puissant que seuls les acteurs de la même taille peuvent rivaliser, et seule la dissociation des activités est de nature à assurer une libre concurrence.
Au-delà de ces inquiétudes légitimes et des débats sur le rôle du droit de la concurrence, l’annonce de Google, qui sera bientôt rejoint par Microsoft sur ce marché, est également à mettre en parallèle avec celles d’Apple et de ses nouveaux services. On constate ainsi un pivot de la plupart des géants du web vers la prestation de services et la diffusion de contenus, la question restant celle de la rémunération de ces services. Si la solution évidente semble être celle de l’abonnement à la Netflix/Spotify, il n’est pas du tout évident que des géants de la pub s’en contentent. Il est ainsi aisé d’imaginer l’intégration de publicités au sein de ces contenus – impossible de mettre de la publicité dans un jeu vidéo sur une console, mais possible sur Stadia. En allant plus loin, on peut même imaginer que, sur le modèle des épisodes interactifs qui font leurs débuts sur Netflix, les géants du net utilisent leurs plateformes de distribution de contenus pour faire des études de marché en implémentant des choix et des décisions à intérêt marketing au sein contenus diffusés, ce qui mène à se dire que la véritable question de ce pivot est celle de la confiance : comment s’assurer de l’intégrité du contenu diffusé ?
Ce qu'on lit cette semaine
#jeuxvidéo
#google
#stadia
#gamersandpublishersbeware
C’était l’annonce qui a fait frémir tout l’écosystème du jeu-vidéo. Alors que l’industrie vidéo ludique était jusqu’à présent l’un des rares pans du numérique où le GAFAM ne s’était pas immiscé, Google a annoncé qu’elle entendait y rentrer à pieds joints grâce à la création d’une plateforme de streaming de jeu intitulée Stadia. Du peu d’information qui ont été révélées, il apparait que Google mise sur quelques facteurs clefs pour asseoir le développement de son Netflix du jeu-vidéo au premier rang desquels se trouvent la possibilité de jouer sur n’importe quelle machine dotée d’un écran et d’une connexion internet, une forte interactivité entre les joueurs avec la possibilité de rejoindre une partie en cours de route en cliquant sur un simple lien – ce qu’apprécieront particulièrement les streamers sur Youtube (et Twitch ?) – mais également la mise à disposition d’outils de développement d’une grande simplicité afin d’inciter les développeurs à publier leurs jeux sur Stadia voire à le faire à titre exclusif. Si l’annonce a eu l’effet d’une onde de choc jusqu’à faire descendre les cours de Nintendo et Sony en bourse, certains observateurs estiment cependant que Stadia ne pourra réellement fonctionner qu’une fois la 5G venue en raison de l’importance des données à mouvoir pour fournir une expérience de jeu de qualité. D’autres se montrent même méfiants, voyant dans ce projet le risque de concentrer d’autant plus de données personnelles entre les mains du géant du net, ou inquiets des conséquences écologiques négatives de la construction massive de nouveaux data centers énergivores. Un projet qui ne laissera donc personne indifférent.
#directivedroitd'auteur
#qwant
#GAFAM
#del’argentàdonnerdoncàsefaire
A moteur de recherche alternatif, prise de position alternative. Le CEO de Qwant, le moteur de recherche made in France, a pris le contrepied de Google en se présentant comme favorable au projet de directive actuellement en discussion devant les instances européennes. Si Eric Léandri reconnait, notamment, le bienfondé du principe de l’obligation « article 13 » du filtrage à l’upload pour les plateformes, toutes les modalités de mise en œuvre ne sont cependant pas bonnes à prendre. Craignant que les non-GAFAM soient contraintes de se reposer sur une licence de la techno de Google ou de Facebook pour honorer leurs obligations – permettant ainsi à ces dernières de surveiller le business des entreprises de contenu numérique – Eric Léandri estime que seule la création d’une plateforme publique de référencement des œuvres protégées soit viable et permettrait de contourner le risque que la directive renforce encore plus l’hégémonie des GAFAM. Jouant sur la vibe du good guy Qwant, M. Léandri a également annoncé dès à présent provisionner un compte pour rémunérer les producteurs du contenu qui nourrit l’algorithme de son moteur de recherche sans attendre le vote de la directive et sa transposition. Pour tous ceux que ça intéresse, vous pouvez apparemment lui envoyer un RIB.
#Régulation
#UE
#USA
#concurrence
#lanouvelleterrepromise
Et si l’Union Européenne n’était pas que cette vilaine maîtresse d’école, réfractaire au changement, toujours prompte à morigéner les élèves qui sortent du rang ? On connaît cette image, celle d’une Europe qui ne sait plus innover, toute campée qu’elle est sur ses positions humanistes d’un autre siècle. Et pourtant : quoi qu’on en dise, l’esprit du temps semble changer, et les valeurs qui infusent la règlementation européenne pourraient bien avoir quelque chose à voir là-dedans. Le GDPR fait des émules, de nombreux États alignant leur règlementation sur les principes du texte ; les autorités de concurrence réinventent (enfin) leurs pratiques pour tenir compte du rôle central de la data, et attaquer (un peu) les monopoles ; les grandes sociétés elles-mêmes se tournent vers l’Europe pour défendre leurs droits de propriété intellectuelle. Ce serait donc le constat de l’échec qui signerait la fin de l’ère de la dérégulation, pour rentrer dans une logique d’économie raisonnée ? N’allons pas trop vite en besogne, bien que la découverte de l’impact sociétal des entreprises (fake news, développement durable, etc.) soit en ce sens. Ce qui est sûr, c’est que les trois exemples précités correspondent, et ce n’est pas anodin, à trois “bras armés” que l’Union Européenne n’a pas craint d’agiter récemment, quitte à frapper fort et extraterritorialement ; preuve, s’il en fallait, que l’UE peut encore surprendre, et jouer dans la cour des grands. Tout est question de s’en donner les moyens.
#privacy
#reconnaissancefaciale
#sécurité
#dissonancecognitivemuch?
“Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux” – on ne se privera pas de citer une énième fois l’ami Benjamin Franklin, tant l’aphorisme trouve ici toute sa place. Le sujet est simple (les établissements privés américains, écoles ou salles de concert, préfèrent s’équiper de systèmes de reconnaissance faciale plutôt que de remettre en cause la libre circulation des armes à feu) ; ses implications et ressorts sous-jacents un peu moins. Il est vrai que nous renonçons tous les jours, à des degrés faibles, sans bien nous en apercevoir, à défendre notre droit à la vie privée ; il suffit en ce sens de constater le clic par lequel nous “acceptons” les cookies, sans vraiment réfléchir, pour accéder plus rapidement à l’article du journal que nous voulons lire. C’est peut-être là toute la difficulté, et la piste à explorer pour une promotion efficace de la vie privée comme valeur au quotidien : rendre les micro-décisions dans lesquelles cette valeur se joue véritablement apparentes, pour en faire un objet de choix et de réflexion à part entière. Pour le dire autrement, dans le contexte de l’article : peut-être faudra-t-il attendre, malheureusement, que les conséquences d’une data breach soient équivalentes (ou du moins perçues comme telles) à celles d’un massacre à l’arme à feu, pour que la vie privée cesse de n’être qu’un concept nébuleux dont on peut s’accommoder. Evidemment, nous en sommes loin, et il est même possible que ce point de rupture ne se présente jamais. Dans l’intervalle, cet exemple confirme en tous cas une chose : par-delà toutes les règlementations, la protection de la vie privée se joue toujours d’abord au niveau micro, dans des situations que nous acceptons ou n’acceptons pas, et dans les moyens que nous acceptons ou non de mettre en oeuvre, comme citoyens, entrepreneurs, avocats, ou tout ce que vous voudrez.
#sociologie
#screentime
#lecoûtduretraitdelapriseUSB
Si dans les années 80 et jusqu’à récemment, les attributs du pouvoir et du statut social reposaient notamment sur la possession et la collection des appareils technologiques dernier cri, il semblerait que la tendance soit en train de s’inverser. En effet, la prolifération des écrans et avec elle la distancialisation croissante (car moins couteuse) de la fourniture de nombreux services rendent les interactions humaines non médiées de plus en plus rares. Et, comme ce qui est rare a tendance à être cher, la réduction du temps d’exposition aux écrans est plus facilement accessible aux classes aisées dont les enfants, déjà, commencent à être mis dans des écoles « sans écrans » alors que ceux des classes défavorisés sont parfois contraints d’apprendre exclusivement sur un laptop. De quoi faire dire aux observateurs qu’il est envisageable que l’aisance avec laquelle un individu agira en présence d’autres individus deviendra un nouveau marqueur social, de même que la liberté générale de déconnecter temporairement. Là-dessus, l’on ne peut que rappeler la prescience de l’épisode 2 de la saison 1 de Black Mirror, qu’on en profite du coup pour conseiller.
#justice
#loideprogrammationpourlajustice
#conseilconstitutionnel
#ouais,allez,çapasse
Par sa décision de jeudi dernier, le Conseil constitutionnel a validé la grande majeure partie (non ça n’est pas vraiment une expression) de la loi de programmation et de réforme de la justice tant décriée par certains, au premier rang desquels les avocats. Au total, seulement treize articles ont été considérés inconstitutionnels. Au civil, l’on retrouvera ainsi toujours la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance ou la recevabilité de certains litiges devant les juridictions soumise à la condition de tentative préalable de règlement amiable. Les dispositions pénales sont quant à elles un peu plus touchées, notamment avec la censure de celles tendant à accroître les cas permettant de recourir à des mesures d’enquêtes particulièrement intrusives et le rejet des audiences à distance, sans l’accord du mis en cause, pour statuer sur la prolongation de détention provisoire. Enfin, côté open data des décisions de justice, l’on remarquera la consécration aigre-douce du principe de publicité des audiences, lequel peut venir à son tour justifier la publicité des décisions de justice, que vient immédiatement limiter celui de bonne administration de la justice. Chacun trouvera donc, dans cette décision, au moins une raison d’être déçu.
#fakenews
#réseauxsociaux
#algorithme
#memes
#thekidsarentalright
C’est une longueur d’avance considérable qu’a su prendre l’extrême-droite américaine (far right) dans le monde numérique, et qui pourrait bien déterminer son succès sur les prochaines années si ce n’est plus, à défaut de contre-pouvoirs efficaces : la campagne politique permanente s’organise et se fond aujourd’hui dans des memes et des pages de réseaux sociaux, dont tout particulièrement sur Instagram, que le camp ultra-conservateur a su s’approprier mieux que quiconque. L’enjeu est bien sûr de récupérer un électorat jeune (voire très jeune), séduit par des formes d’humour et de communautés dans lesquelles il peut aisément s’identifier. Il faut reconnaitre que les partis plus libéraux (“la gauche”, pour le dire vite) n’ont pas su, pour l’heure, faire leur ces techniques de communication d’un nouveau genre, ou du moins atteindre le même niveau de maîtrise systématique en la matière. Alors quoi ? La discussion verse naturellement du côté de la responsabilisation des plateformes et de leurs algorithmes, peu aisée à mettre en place lorsque précisément le contenu politique ne se distingue plus du contenu humoristique (memes). Faute de mieux, peut-être : puisque l’on ne peut croire que les contenus d’extrême-droite seraient par nature plus “amusants” que les contenus “de gauche”, on arguera que la meilleure stratégie ne doit pas être celle de la seule réaction, mais bien de jouer à armes égales ; il y a, après tout, toute une culture du meme humaniste à inventer.