La Maj d'

La newsletter d'actu techno-juridique : tous les mardis matin à 9h, faites la mise à jour !

En cliquant sur “S’abonner”, vous consentez à recevoir la newsletter d’Aeon (la “Maj”) chaque mardi matin à l’adresse email que vous avez indiquée. Les données saisies dans les champs ci-dessus nous sont nécessaires pour vous adresser la Maj par l’intermédiaire de notre prestataire MailChimp, et ne sont utilisées qu’à cette fin.

Vous consentez également à ce que MailChimp collecte, par l’intermédiaire d’un traceur placé dans l’email contenant la newsletter, des informations relatives à l’ouverture de cet email et à votre lecture de la Maj. Ces informations ne sont utilisées par Aeon qu’aux fins d’améliorer la Maj et son contenu, et ne sont partagées avec aucun tiers hormis le prestataire MailChimp.

Si vous souhaitez lire la Maj sans que ces informations soient collectées, notez que vous pouvez la retrouver à tout moment à cette adresse aeonlaw.eu/maj. Vous pouvez également vous abonner au flux RSS de cette page pour être averti de chaque nouvelle Maj dès sa parution, en cliquant ici !

Pour plus d’informations, consultez la Politique de Confidentialité d’Aeon en cliquant ici.


Celle qui dissipe la vapeur – Maj du 24/09/19

L'actu en bref

Cette semaine, peu d’actualités, et les plus importantes concernent Google. Le géant de tout ce qui est numérique a en effet brièvement publié, avant de le retirer, un article scientifique arguant que, pour un calcul bien précis, il aurait atteint la suprématie quantique, ce qui signifie réussir un calcul impossible pour un ordinateur normal au moyen d’un ordinateur quantique. Bien que l’on soit encore loin de la démocratisation de ces techniques, la nouvelle est notable : l’avènement de l’informatique quantique sera un nouveau bouleversement majeur, notamment pour la recherche en intelligence artificielle et la cybersécurité. L’autre nouvelle est que la CJUE rendra plus tard dans la journée ses deux décisions tant attendues dans les affaires de droit à l’oubli : rappel des faits par NextINpact. A noter aussi la publication de la charte de fonctionnement de la Cour suprême de Facebook (retrouvez nos deux premiers articles sur le sujet de la justice privée ici et ) ; les annonces, chacune de son côté, par la Chine et la Corée du Nord de cryptomonnaies : pour la Chine, il s’agit d’un projet mondial rivalisant avec Libra, pour la Corée du Nord, d’un projet local ; Huawei sort ses deux premiers téléphones privés de Google à la suite des sanctions US ; et le gouvernement US s’attaque aux revenus de la vente de l’ouvrage de Snowden – raison de plus pour l’acheter ? Côté européen, la CNIL polonaise prononce une forte amende pour faille de sécurité sur un site ecommerce ; de nouvelles fonctionnalités sur justice.fr, le portail du justiciable, détaillées par la Chancellerie ; la liste des Next40 startups de France dévoilée ; et Qwant change de directeur général tout en continuant à entretenir de mauvaise relations avec la presse. On se quitte sur le lancement d’un nouveau blog qui vaut le coup, coupdata.fr, qui analyse l’impact de la donnée sur la société, et un petit erratum par rapport à la semaine dernière : nous n’avons pas mis le bon gif dans le mail, vous le trouverez ici. Faites la Maj et à la semaine prochaine !

Nous avons chez Aeon le souvenir net et chaleureux de négociations de haute volée dans la cour de récré : tel calot brillant contre ces 5 billes “oeil de chat”, ou encore l’échange de la cartouche GameBoy Pokémon Bleue contre la Rouge. Plus tard, ces mêmes négociations pouvaient se réitérer au Micromania du coin, dont le rayon “Occasion” restait le lieu de glaner une bonne affaire. Ce petit commerce a pris le tournant numérique avec l’arrivée des eBay et des Leboncoin, mais la chaleur de ces échanges ne s’est pas estompée : l’attente interminable du courrier, qui devait amener une enveloppe légèrement rebondie, contenant la petite cartouche de jeu. Et puis, Steam est arrivée.

Dispersons la fumée autour de Steam

Steam est une plateforme de vente et de gestion de jeux vidéo : elle officie non seulement comme boutique, mais également comme bibliothèque de jeux, permettant de les maintenir à jour et d’installer des modules de modification ou d’échanger avec la communauté du jeu en un clic. Créée en 2003 par l’éditeur Valve, son succès fulgurant s’explique aussi par les prix pratiqués, souvent soldés : les soldes Steam sont un sujet de meme récurrent, tant l’incitation à l’achat est forte.

L’idylle est cependant loin d’être parfaite : Steam est certes pratique à l’usage comme pour le portefeuille, elle n’en reste pas moins une plateforme de contrôle du droit d’auteur, ce qui la rend tout aussi intéressante pour les éditeurs de jeux vidéo. Avec Steam, vous ne détenez qu’une copie virtuelle du jeu, et les conditions d’utilisation précisent clairement que “Les Contenus et Services sont concédés sous licence, et non vendus. Votre licence ne vous confère aucun droit ni titre de propriété sur les Contenus et Services“. En clair, il n’y a rien d’aussi pratique et précaire que de détenir un jeu sur Steam. Cela n’a pas échappé à l’UFC Que Choisir qui, dans sa croisade contre les CGU des différentes entreprises du net (Facebook, Twitter, Google sont tombés), ne compte pas en rester là et a glané une nouvelle victoire, cette fois contre Steam, avec à son cœur des questions essentielles sur le droit d’auteur dans la société numérique.

Ménageons nos forces pour l’épuisement des droits

Nous ne le savions pas encore, mais lors de nos petits commerces de cartouches de Game Boy, nous faisions déjà du droit d’auteur. L’une des composantes des droits patrimoniaux est en effet le droit de distribution, qui permet à l’auteur de décider des canaux de vente de son œuvre. Prise littéralement, ce droit pouvait permettre à un auteur de s’opposer aux reventes d’occasion de son œuvre, n’ayant pas autorisé ce canal de distribution. C’est là que la règle de l’épuisement des droits intervient : une fois que la copie d’une œuvre protégée par le droit d’auteur a été licitement mise en circulation, le titulaire des droits d’auteur ne peut plus s’opposer à une revente de cette copie par son acquéreur. Selon l’avocat général Szpunar de la Cour de justice de l’Union européenne, “La justification en est que le droit d’auteur ne saurait primer le droit de propriété détenu par cet acquéreur sur la copie de l’œuvre en question en tant qu’objet. Par ailleurs, par la mise en circulation d’une copie de l’œuvre par l’auteur ou avec son consentement, celui-ci est réputé avoir obtenu la rémunération due au titre de cette copie“. C’est l’application de cette règle aux biens immatériels qui fait aujourd’hui couler énormément d’encre.

La question est d’abord juridique : le fait de télécharger une œuvre a typiquement été relié à une autre composante du droit d’auteur, le droit de communication au public, permettant à l’auteur d’autoriser ou d’interdire la diffusion de son œuvre à un public nouveau. Si l’échange de biens immatériels d’occasion tombe sous cette qualification, l’épuisement des droits ne peut s’appliquer, et l’auteur peut donc s’opposer à la distribution d’occasion numérique.

Le débat semble ainsi être surtout technique et économique : le numérique est-il si différent du tangible que les règles doivent s’y appliquer différemment ? En ce qui concerne la revente d’occasion, il est certain que des différences existent : la remise d’une cartouche de GameBoy fait que je m’en départis à coup presque sûr (à moins d’avoir été capable d’en extraire une copie du jeu préalablement), comment assurer cette même remise en ligne ? La réponse jusqu’à présent était principalement logicielle, les fameux DRM ou systèmes de gestion des droits d’auteur, logiciels intrusifs qui sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée et de limiter grandement l’usage que l’on souhaiterait avoir de l’œuvre, et qui ne sont donc pas satisfaisants. La question est bien réelle et sa solution loin d’être évidente : alors que la CJUE a déjà reconnu l’épuisement des droits pour des licences logicielles, son avocat général vient de lui recommander de ne pas le faire pour des ebooks.

Une question de modèle

Un point est frappant dans ces débats : alors que la question de l’épuisement des droits numériques fait rage dans de nombreux marchés depuis plus de 10 ans, elle commence à peine à se poser pour le jeu vidéo. La raison nous semble être la différence de maturité des marchés : probablement par affinité de culture et compétences techniques, le marché du jeu vidéo a été extrêmement rapide à se numériser et à proposer des usages innovants et adaptés à la consommation numérique, notamment via Steam. La stabilité de cette adaptation au numérique a cependant entrainé une certaine forme de stagnation, et le jeu vidéo n’a pas encore pris le tournant de la fin des années 2010 : au-delà de l’épuisement des droits, Steam est également confrontée à des questions de geoblocking, les prix qu’elle propose en Pologne étant inférieurs à ceux pratiqués en France.

Selon l’avocat général de la CJUE à propos des ebooks, ces questions appartiennent probablement au passé, l’ensemble de la consommation numérique étant progressivement en train de passer au streaming et à l’accès sur abonnement, qui n’incluent pas de vente ce qui rend complexe l’application de l’épuisement des droits. Dans le jeu vidéo, Google avec Stadia et Nvidia avec GeForce Now compte bien investir ce marché et bouleverser notre mode de consommation. Nos enfants n’échangeront pas de cartouches de GameBoy mais des codes Netflix et Stadia, c’est peut-être ça le tournant numérique.

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, si on en réchappe !