Contrairement à ce que souhait(ai)ent les techno-utopistes, Internet n’a jamais vraiment été une zone de non-droit : les juges puis les législateurs se sont très rapidement emparés du cyberespace pour le réguler quelque peu. La tendance va à l’accroissement des normes portant sur le web, avec deux grands fronts : en plus du traditionnel enjeu de faire régner l’ordre sur un monde sans frontières, il s’agit désormais aussi de lutter contre l’hégémonie de certains acteurs.
Cette semaine, l’actualité a été riche concernant ces deux volets de la régulation du net : d’un côté, une enquête pour abus de position dominante a été lancée à l’encontre de Google par l’Etat du Missouri, tandis que de l’autre, la CJUE a été saisie d’une question préjudicielle portant sur la création d’exceptions en droit d’auteur pour la préservation des droits fondamentaux. A noter également : la première utilisation de CRISPR pour modifier des gènes in vivo chez un homme et le fait que la Chine est devenue numéro 1 mondial en puissance de calcul informatique cumulée. Enfin, il parait qu’Elon Musk est désormais célibataire #onditçaonditrien.
Surtout, la France a annoncé plancher sur une réforme de la responsabilité pour les géants du Web. Depuis la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004, la plupart des acteurs du web permettant à leurs utilisateurs de mettre en ligne du contenu (YouTube, Twitter, Facebook) bénéficient d’un régime de responsabilité limitée par rapport à ces contenus : leur responsabilité ne peut être engagée que s’ils avaient connaissance du caractère manifestement illicite de ces contenus et n’ont pas agi promptement pour les retirer. C’est ce fragile équilibre que se propose de changer le gouvernement actuel, arguant qu’un grand nombre d’utilisateurs va de pair avec une plus grande responsabilité. On parle également de la neutralité du net, qui est en passe d’être enterrée aux USA par l’administration Trump, de gélules connectées, et de revenu universel avec un très bel article de Wired qui nous emmène dans une réserve Cherokee où chaque habitant reçoit une part des bénéfices du casino local. Et pour conclure la semaine “régulation du web”, on ne pouvait pas ne pas traiter de l’arrivée des logiciels espions pour faciliter le travail de la justice, de la proposition de résolution européenne sur la libre circulation des données à caractère non personnel ou des conclusions de l’avocat général dans la nouvelle affaire Schrems vs. Facebook. Enfin, Mathias envisage les divers arguments qui pourraient permettre d’obtenir une mesure de blocage de contenu contrefaisant (par retrait, blocage ou déréférencement) applicable sur tout le territoire de l’Union Européenne.
Faites la Maj, et à la semaine prochaine !
Ce qu'on lit cette semaine
#lcen
#intermédiairetechnique
#despoidsetdesmesures
Après la déferlante des annonces des géants du net face au Congrès Américain et dans le sillage de la Commission Européenne, il semblerait que le gouvernement français ait lui aussi décidé de s’attaquer au cas de Google, Twitter et Facebook. Plutôt que l’adoption d’un texte de loi idoine, la voie envisagée apparait être la réforme de l’inénarrable LCEN, que beaucoup jugeaient par ailleurs nécessaire. Il faut donc s’attendre, si cette réforme est effectivement mise en œuvre, à un exercice de légistique de haute voltige pour ne pas risquer d’aller à l’encontre du principe de généralité de la règle de droit.
#cybersécurité
#procédurepénale
#pasunlogicielespion.exe
Les autorités judiciaires vont bientôt pouvoir rajouter un outil de taille au rang des moyens d’enquête qui leurs sont disponibles : le logicien espion. Le gouvernement envisage en effet de créer un Service technique national de captation judiciaire (STNCJ – l’acronyme roule sur la langue, oui) au sein de la Direction générale de la sécurité intérieure et ainsi permettre aux juges d’avoir accès, à moindre coût, à des programmes pour exfiltrer les données des appareils des personnes mises en causes dans le cadre de procédures pénales. Les mis en cause devront-ils également supprimer leur antivirus pour ne pas faire obstacle à la manifestation de la vérité et risquer de tomber sous le coup de l’article 434-4 du Code pénal ?
#esanté
#corpsconnecté
#dubluetoothdansl'estomac
La Food and Drug Administration américaine a récemment autorisé la mise sur le marché de la première gélule connectée. Grâce à une application dédiée, les patients pourront ainsi collecter des données sur leur prise de médicament, être rappelés avec certitude qu’ils ont oublié de la faire et leurs médecins vérifier que les patients prennent ce qui est prescrit dans les quantités voulues. L’on voit ainsi comment l’industrie pharmaceutique essaye de se recentrer sur la fourniture de services pour pallier la perte de leurs brevets. L’on voit aussi à quel point le domaine de la e-santé soulève des questions éthiques d’envergure : comment faire en sorte que ce type de procédé ne mène pas à une coercition indirecte des patients ? Quid des polices d’assurance qui seront conditionnées par le recours à ces traitements ?
L’on rappellera en parallèle, que la CNIL a déjà planché sur le sujet du corps connecté dans un cahier IP.
#neutralité
#USA
#comptesd'apothicaire
#adieuP2P
Il y a quelque chose de pourri au royaume des Etats-Unis… Sans qu’on y ait tous pris bien garde, la fameuse “neutralité du Net”, principe pas toujours bien compris, s’apprête à disparaître, et l’on connaît presque la date : le 14 décembre, la Federal Communications Commission votera sûrement l’abrogation du cadre réglementaire qui impose actuellement aux FAI de traiter équitablement tous les paquets de données… avec des conséquences potentiellement alarmantes. Moins d’inquiétude heureusement de notre côté de l’Atlantique, où la loi pour une République numérique a pris soin de consacrer juridiquement le principe, en son Titre II.
#revenuuniversel
#société
#findutravail?
#workhardplayhard
#letravailc'estlasantérienfairec'estlaconserver
Une approche raisonnée, nuancée et (surtout) documentée sur les effets du revenu “universel” : où l’on découvre, à travers l’exemple d’une communauté autochtone d’Amérique, bénéficiant des dividendes d’un casino local, que le revenu universel n’est ni une incitation à la fainéantise, ni une catapulte magique vers la fin des inégalités – mais, plutôt, un moyen peut-être meilleur qu’un autre d’investir, autant que faire se peut, dans les générations futures… A méditer, pour mieux comprendre ce qui est déjà, à l’évidence, le nouveau grand sujet de société de notre époque.
#donnéespersos
#DIP
#consommateur
#j'avaispourtantditpouce
Il y a eu du nouveau dans les affaires de la bête noire de Facebook. Connu pour avoir fait tomber le EU-US Safe Harbor, Maximillian Schrems avait également intenté une action contre l’éditeur du réseau social tendant à faire annuler certaines clauses du contrat d’utilisation par lequel il était lié et au versement de dommages et intérêts pour violation alléguée de ses droits en matière de données personnelles. Après que Facebook ait contesté la recevabilité de l’action devant les tribunaux autrichiens pour cause de perte de qualité de consommateur et que renvoi préjudiciel ait été formé, l’avocat général vient de déposer ses conclusions cette semaine. Une chose est sure : ça sent pas forcément bon pour Facebook. L’on apprend également que M. Schrems a 250 amis sur Facebook, on en pensera ce qu’on voudra.
#cloudcomputing
#souveraineténumérique
#touchepasàmoncloudeuropéen
Cette semaine, le Sénat a publié sur son site une proposition de résolution européenne contestant la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement sur la libre circulation des données à caractère non personnel dans l’Union européenne, déposée par la Commission en septembre dernier. Aux côté de considérations légitimes comme la question de l’articulation de la proposition de règlement discuté avec le RGPD, l’on en trouve aussi des plus douteuses comme une corrélation inexplicable entre le nombre de textes restreignant la libre circulation des données non personnelles et la quantité de données affectées. Alors que la Commission européenne tente tant bien que mal de créer un écosystème favorable à l’émergence d’un cloud indépendant des puissances étrangères, l’on regrettera que le Sénat ne prend pas la mesure de ce que la souveraineté numérique sera unioniste, ou ne sera pas.
A noter également que le Sénat s’est livré au même exercice concernant la proposition de règlement sur la cybersécurité.
#droitsvoisins
#communicationaudiovisuelle
#exceptions
#icic'estl'OMPI
Alors que les Etats membres de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle planchent sur un projet de traité relatif au droit voisin des entreprises de communication audiovisuelle (broadcasting rights), quelques uns d’entre eux veulent s’assurer que le texte contiendra les mêmes exceptions que celles déjà bien connues en matière de droit d’auteur : copie privée, courte citation, recherche et éducation… Gare cependant aux trop grands enthousiasmes ! Car, tapis dans l’ombre du dernier article de cette proposition, c’est bien le tristement célèbre triple test que l’on reconnaît…
#algorithme
#administrationpublique
#intérêtgénéral
#mairiedu15ème
Une prise de hauteur bienvenue sur ce que l’IA fait à l’Etat : comment conserver une notion compréhensible et applicable de l’intérêt général, quand les traitements personnalisés, permis par des algorithmes toujours mieux affinés, semblent avoir vocation à se multiplier ? Beaucoup de questions et quelques pistes : l’importance de l’interlocuteur humain en bout de chaîne, surtout, et les nécessaires limitations imposées par le respect de la vie privée. On n’oubliera pas que tout se joue dès maintenant, et pas très loin d’ici : votre serviteur en a fait l’expérience lors du récent renouvellement de sa carte d’identité.