“Flash news : Mark Zuckerberg et Facebook se prononcent en faveur de Donald Trump pour l’élection présidentielle de 2020“. Si vous avez quelque peu suivi l’actualité des relations entre Trump et la Silicon Valley, vous savez que ce flash info est une fake news. Mais en seriez-vous convaincu(e) si cette news vous était présentée sur Facebook même ? C’est ce qu’a tenté de savoir la candidate à l’investiture démocrate aux États-Unis Elizabeth Warren, en payant Facebook pour diffuser ce flash info comme une publicité. Son but ? Faire monter dans le débat public la question du rôle de Facebook, et surtout de ses publicités, dans les élections.
Démocratie algorithmique
Pour Warren, comme pour beaucoup de commentateurs, les réseaux sociaux sont en effet en grande partie responsables des événements décisifs que furent, au cours des dernières années, l’élection de Trump ou le Brexit, du fait même de leur fonctionnement. Le but des réseaux sociaux est de maximiser notre temps passé sur la plateforme, dont dépend directement leur chiffre d’affaires – plus de temps passé, c’est plus de pubs visionnées, plus de pubs cliquées, et donc plus de revenus.
Il est logique, par conséquent, que les algorithmes des réseaux sociaux soient conçus dans ce but, et qu’ils favorisent les contenus qui nous feront rester sur la plateforme et interagir avec cette dernière. Or, en pratique, il s’agit le plus souvent de contenus controversés ou correspondant à nos idées : les vidéos conspirationnistes sont celles qui créent le plus d’engagement avec la plateforme, et l’on passe plus de temps à lire des articles qui nous contentent qu’à nous renseigner sur les thèses opposées (c’est le fameux biais de validation).
On s’enferme ainsi dans un cercle vicieux : les réseaux sociaux cherchent à maximiser notre temps sur la plateforme, et favorisent les contenus qui sont le plus susceptible de fonctionner ; les producteurs de ces contenus sont incités à en produire encore plus ; nous interagissons avec, confirmant la corrélation statistique, et incitant les réseaux sociaux à les mettre d’autant plus en avant, etc. Il y aurait ainsi une influence sur les résultats des élections, de par l’affichage et la diffusion accrus de thèses controversées et extrêmes, et la création de bulles informationnelles assez hermétiques : les algorithmes des réseaux sociaux seraient les fossoyeurs de la diversité d’opinion, ou, du moins, de notre déjà faible propension à aller la rechercher.
Si l’on ne peut s’empêcher d’adhérer au fond de ces critiques (les algorithmes de YouTube, par exemple, recommandent bien de manière systémique des vidéos conspirationnistes), les réseaux sociaux sont-ils vraiment “coupables” ? En d’autres termes, la cause de ces bulles n’est-elle pas notre inclination naturelle à aller chercher de l’information qui nous ressemble ? Si les réseaux sociaux n’existaient pas, fréquenterions-nous pour autant les meetings politiques de partis radicalement opposés à nos points de vue ?
Comme bien souvent, il semble que la technologie soit moins la cause du problème que son catalyseur, son amplificateur : les réseaux sociaux permettent la création de véritables mouvements d’échelle.
Liberté d’expression algorithmique
Qu’en est-il des publicités ? Si la publicité n’a rien de nouveau, pareillement, l’exposition que permettent les réseaux sociaux dépasse largement celle qui était disponible jusqu’à présent (affiches, TV, radio, journaux). Pour l’heure, Facebook refuse de contrôler les publicités de type politique diffusées par le réseau, militant pour la liberté d’expression. L’argument peine à convaincre à plusieurs titres : d’abord, contrairement aux contenus des utilisateurs, Facebook peut contrôler les publicités diffusées, puisque le réseau opère à titre de régie – la liste des publicités prohibées est d’ailleurs bien longue.
Surtout, il est clair qu’il s’agit là d’un nouveau moyen d’expression politique. Pour les critiques, un milliardaire comme Donald Trump peut aisément envahir le réseau de publicités en sa faveur, voire de fausses informations comme celle diffusée par Elizabeth Warren, biaisant ainsi sans contrôle le débat politique. Facebook bénéficie ainsi de sa politique d’absence de contrôle, ce qui fait que le réseau est à la fois, “malgré lui”, juge et partie.
Au fond, le sujet est à nouveau celui de la neutralité de la technologie. Pour Facebook, aucun choix éditorial ne doit intervenir dans l’algorithme, dans une optique à la fois de protection de la liberté d’expression, de refus de se mêler d’un débat que le réseau social considère comme n’étant pas le sien, mais aussi pour continuer à bénéficier du statut d’hébergeur et de sa responsabilité limitée.
Pourtant, il ne fait aucun doute que le réseau social modère son contenu (on pense notamment à la censure de toute nudité). Et, au fond, le fait que l’algorithme favorise le revenu de Facebook est bien un tri. Contrairement à un moteur de recherche, dont le but par nature est d’organiser l’information, est-il nécessaire de trier la newsfeed d’un réseau social ? La solution est-elle alors de cesser de trier, même si l’on risque d’être noyé sous la masse de contenus inintéressants ? L’absence de tri est elle-même une option qui n’est pas sans conséquence ; aussi, ce qui est certain, c’est qu’aucun choix ne sera neutre.