Nous estimons qu’en un peu plus d’un an de Maj, nous avons utilisé le mot “Facebook” près de 200 fois. C’est dire si le réseau social occupe nos pensées, en plus d’être omniprésent dans nos quotidiens (2 milliards d’utilisateurs actifs, 40 minutes par jour en moyenne), sans compter WhatsApp et Instagram, également possédés par le géant. Avec 35 millions de français actifs sur le réseau chaque mois, il est probable que vous, lecteur ou lectrice adoré(e), fassiez partie du lot (avec nous). Une fois n’est pas coutume, il faut qu’on parle de Facebook.
La découverte de la vie privée
Par le truchement d’un long post sur son propre profil, Mark Zuckerberg a annoncé de nouvelles orientations stratégiques. Selon lui, les temps ont changé, ou plutôt, il estime que nous avons changé, et constate que nous n’avons pas les mêmes envies que lors de la création de Facebook. Il y aurait ainsi un basculement des utilisateurs, qui délaissent la newsfeed et le partage public de contenus (pour Zuckerberg, les équivalents numériques de la “place publique“, au sens du forum romain), préférant le confort des groupes et des conversations privées (les équivalents numériques du “salon“). Ce qui expliquerait ce changement ? Nous aurions envie de plus de vie privée. Les nouvelles orientations partent ainsi de ce constat et sont au nombre de 6 : plus de fonctionnalités de messagerie privée, chiffrement des communications, suppression programmée des contenus, lutte contre les contenus illicites, interopérabilité entre les applications de Facebook et stockage des données dans des pays démocratiques.
Le post de Zuckerberg n’est pas sans soulever un certain nombre de questions, la première d’entre elles étant la définition de la vie privée. L’approche de Zuckerberg a été largement critiquée, non seulement sur l’aspect “découverte” de la vie privée (rappelons que la loi informatique et libertés française date de 1978) mais également sur sa conception de la notion. Les nouvelles orientations vont dans le bon sens sur certains aspects, pour foncer droit dans le mur sur d’autres : est-il vraiment plus protecteur pour la vie privée de mêler les données de 3 services aussi différents que WhatsApp, Facebook et Instagram ? Force est cependant de constater que même en droit, la notion de vie privée est difficile à appréhender. Elle est tout d’abord plutôt récente : si l’on retrouve une distinction entre vie publique et vie privée chez Aristote, le concept tel que nous le connaissons a émergé avec la philosophie des Lumières et la consécration des libertés individuelles. Elle est par ailleurs compliquée à délimiter clairement car la notion est si large qu’elle empiète bien souvent sur d’autres libertés et droits fondamentaux, nécessitant ainsi une mise en balance. Le cas des enfants nés de fécondation in vitro est symptomatique : sont mis en balance le droit à la vie privée (et donc à l’anonymat) du donneur de sperme, au droit à la vie privée (et donc à connaitre ses origines) de l’enfant.
Des questions de mise en balance
Au fond, la maladresse de Zuckerberg est peut-être partiellement la conséquence des débats qui animent aujourd’hui notre société, partagée entre volonté de transparence sociale et démocratique et nécessité de préserver des zones de confidentialité. Ce débat est rendu d’autant plus compliqué par la protection des données personnelles, matière devenue entièrement autonome mais dont le but reste de garantir un droit à la vie privée. Comment alors gérer des cas d’expression sur la “place publique”, et donc a priori non couverts par la protection de la vie privée, mais relevant néanmoins de la protection des données personnelles ? La prise de position sur ses sujets n’est pas facile, et dépend le plus souvent du contexte : le résultat de la mise en balance entre deux libertés fondamentales de même valeur ne peut valoir que pour un cas précis, pas comme règle générale, puisque précisément les libertés en question ont le même poids.
Selon d’autres critiques, Zuckerberg serait loin d’être maladroit, au contraire : il ne s’agirait que d’une nouvelle orientation business savamment réfléchie pour passer comme protectrice de la vie privée, tout en permettant à Facebook de continuer à étendre ses tentacules. C’est sûrement le cas, mais cette critique soulève une autre question de mise en balance, celle de savoir si une entreprise peut à la fois servir un intérêt général et le sien propre. Autrement dit, est-ce que l’intérêt du public est forcément contraire à un intérêt particulier, surtout quand celui-ci a tendance, dans une société capitaliste, à vouloir croître ? Vous nous connaissez, nous n’allons certainement pas vous donner notre avis – nous nous contenterons de noter que c’est en tout cas l’un des débats du projet de loi Pacte, actuellement en discussion au Parlement, et dont l’une des propositions est justement de consacrer les notions d’intérêt social et de raison d’être d’une entreprise.
Ce qu'on lit cette semaine
#privacy
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#GAFAM
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Est-ce le stratagème typique du magicien (regardez la main gauche, je cache la main droite), ou bien Mark Zuckerberg ignore-t-il vraiment, comme d’aucuns l’affirment positivement, le sens même de la notion de vie privée ? A la suite d’un post annonciateur de grands changements pour le réseau social, le retour de bâton ne s’est pas fait attendre : il est vrai qu’annoncer un recentrage sur les échanges “privés” entre petits groupes d’utilisateurs, tout en organisant le rassemblement des trois services de messagerie de Facebook, Instagram et Whatsapp (et pourquoi pas le pooling des données correspondantes), et sans penser à étendre les promesses de chiffrement aux métadonnées, dans un monde de plus en plus préoccupé par la capacité des géants à s’arroger des montagnes de data, c’est à tout le moins manquer de vista. Et cependant, on aurait tort en effet, comme le souligne cet article, de se borner à critiquer ici une énième bévue du Zuck ; il faut bien plutôt s’inquiéter activement, comme ont commencé de le faire aussi (enfin !) les autorités de la concurrence, de cette disproportion entre le pouvoir de fait qu’ont acquis certaines entreprises privées de façonner jusqu’à l’univers axiologique dans lequel nous évoluons, et l’absence (sciemment entretenue) d’alternatives véritablement ouvertes au grand public. Peu importe, au fond, que Mark Zuckerberg ne comprenne pas le concept de vie privée, ou n’y voie pas ce que nous voulons y mettre ; peut-être est-ce plutôt de devoir lui attribuer cette importance même qui pose problème.
#crypto-monnaie
#plateformes
#çaserégale
Les plus grosses plateformes de messagerie ne se limiteront plus au transfert d’information entre individu mais étendront bientôt leurs offres de service au transfert de valeur. Facebook, Telegram et un side project sur Signal, ainsi que certains de leurs homologues sud-coréens et japonais, travaillent en effet chacun à la création de leur propre monnaie virtuelle. Si tout le monde reste très secret sur ce à quoi l’on peut s’attendre, Facebook est même allée jusqu’à créer une muraille de Chine entre ses employés, il semblerait que la première future monnaie du GAFAM serait une stable-coin dont la valeur serait adossée à et garantie avec une ou plusieurs devises étatiques. Des observateurs anticipent que les autres plateformes plancheraient quant à elles sur des monnaies virtuelles plus proches des crypto-monnaies classiques décentralisées, en particulier Telegram pour permettre aux dissidents iraniens et russes de contourner le système financier traditionnel. De quoi donc nous laisser pensifs sur ce à quoi pourrait ressembler l’économie de demain si la Facebook coin devenait une valeur refuge et/ou remplaçait entièrement certaines devises officielles trop volatiles.
#cyberdéfense
#géopolitique
#USA
#mrpinggoestowashington
La guerre ouverte entre les institutions publiques américaines et le géant chinois de la tech Huawei vient de prendre un tour nouveau et spectaculaire, avec l’introduction d’une action par le second visant à faire déclarer inconstitutionnelle une loi fédérale interdisant l’utilisation de ses produits. Il est vrai qu’en juriste français, accoutumé au précepte que la loi dispose universellement, il y a quelque chose d’étonnant à cette prohibition par voie légale des produits d’un seul acteur. Elle se justifierait, sans doute, à l’aune des arguments américains selon lesquels l’entreprise fournit en réalité des moyens d’espionnage au gouvernement chinois ; mais comme l’ont indiqué certains Etats européens, les preuves manquent encore à cette heure. Faut-il donc y voir, en plus d’une stigmatisation juridique très personnelle, un manquement à la présomption d’innocence ? Ou, plus positivement, une application du principe de précaution au domaine, il est vrai ultra-sensible, de la cyberdéfense ? Quoi qu’il en soit, on ne peut raisonner sans prendre en compte les dimensions géopolitiques majeures de ce bras de fer : entre la conquête résolue du marché de l’IA par Huawei (qui n’est pas sans menacer les entreprises américaines), et l’arrestation retentissante de l’une de ses responsables pour violation alléguée d’un embargo contre l’Iran, on a rarement vu un Etat et une entreprise privée si proches d’en venir aux mains.
#fakenews
#altright
#USA
#badgodcomplex
Ils s’appellent Mercer, Shillman ou Koch, vous ne le connaissez pas mais ils ont plus d’argent que vous et avancent avec un agenda. De nombreux journaux alternatifs et proche des mouvances d’extrême droite vivent en effet sous perfusion continue de ces bienfaiteurs qui semblent s’être pris d’intérêt pour ce qui se déroule sur le Vieux continent. C’est le cas de l’institut Gatestone, un think tank néoconservateur qui publie entre autres langues des articles en français et paye pour la production de vidéos anti-immigration et islamophobes, ou du média canadien The Rebel qui a notamment eu un rôle clef dans la diffusion des Macronleaks et qui aujourd’hui dépêche des journalistes en pleine manifestation des gilets jaunes pour qu’ils reviennent avec des vidéos qui montreront que la France est en pleine guerre civile. L’on notera également cette fondation Horowitz qui vient régulièrement en aide à Geert Wilders, le leader du parti populiste néerlandais. S’il faut désormais composer avec les russes ET la far-right américaine fortunée, on n’est pas sorti de l’auberge.
#fiscalité
#GAFAM
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#lamainauportefeuille
“En ce monde, rien n’est certain à part les impôts et la mort”, disait l’autre ; avec ce nouveau projet de loi et le progrès du transhumanisme, il se pourrait bien que les premiers aient pris une longueur d’avance. Projet de loi, donc, de taxation des services numériques – loi nationale à défaut de consensus européen. Oublions d’office, comme le suggère NextInpact, le vocable communément admis de “taxe GAFAM” : l’imposition, telle qu’envisagée, n’est de fait pas limitée à ces derniers, et affecterait aussi bien des entités franco-françaises, moyennant quelques règles de calcul (d’apothicaire) pour éviter la double imposition. Mais qui est donc dans le viseur ? En substance : les plateformes et la publicité (ciblée) – la seconde à travers tous ses protagonistes, qui se reconnaîtront aisément derrière les libellés (forcément francisés) du projet de loi : régies, DMP, DSP, SSP… Quant à la taille des acteurs concernés, le texte adopte une règle de raison, qui pour éviter les effets anticoncurrentiels fait jouer un double seuil en termes de chiffre d’affaires, et imposera donc d’identifier la quote-part des montants générés en France. Du point de vue des traitements de données, cela n’est pas anodin ; si la plupart des entreprises visées, à l’évidence, collectent déjà les données de localisation des utilisateurs pour leurs propres besoins, ces données pourraient donc désormais entrer régulièrement dans le droit de communication de l’administration fiscale. Un exemple parmi d’autres de ce que derrière l’intention louable de réajuster la fiscalité sur la réalité de l’économie contemporaine, les obstacles techniques et effets pervers peuvent être nombreux.