Il y a des moments de l’année comme ça où les anniversaires se succèdent : il y a un mois, Google fêtait ses 20 ans, la Maj soufflait sa première bougie il y a une semaine et demie (24 octobre pour la Première) et le Bitcoin vient d’avoir 10 ans. Au-delà des célébrations, les anniversaires sont aussi souvent le moment de regarder en arrière et de faire le point, et c’est exactement ce qui se passe pour la communauté Bitcoin aujourd’hui.
Du rêve anarcho-libertaire à la spéculation de Wall Street
Quand on pense Bitcoin aujourd’hui, il est probable que le sujet du prix soit rapidement mis sur le tapis : la reconnaissance grand public de cette crypto-monnaie, et plus largement de toute la crypto-économie, n’est due qu’à la bulle spéculative de l’année dernière. Il est ainsi assez intéressant de faire ce travail de rétrospective et de se souvenir de ce qu’était le Bitcoin en 2008, peu après la publication de son white paper le 31 octobre par une ou des personne(s) toujours inconnue(s). Bitcoin a en effet été créé en réaction à la crise des subprimes qui battait son plein à l’époque : à l’origine, la technologie était envisagée comme une alternative aux systèmes de paiement traditionnels, une forme de cash électronique et de pair-à-pair. C’est dans cette direction qu’a de prime abord avancé la communauté : dès 2010, alors que la technologie était alors toujours très confidentielle et connue principalement de la communauté d’experts en chiffrement, le développeur Laszlo Hanyecz effectuait la première transaction commerciale pour acheter deux pizzas, pour 10 000 bitcoin.
On est loin des rêves de désintermédiation totale et de lutte contre le système établi des origines du Bitcoin. Les usagers ont peu à peu laissé tomber le bitcoin comme moyen de paiement, hormis sur certaines plateformes, pour se concentrer sur la spéculation grâce au taux extrêmement volatil (voire manipulable). Surtout, de nouvelles innovations sont nées, à partir de certaines idées qui sous-tendent la création du Bitcoin, comme celle de la blockchain, désormais au centre de l’attention. Le succès de Bitcoin aujourd’hui ne se mesure pas en nombre de transactions : de manière paradoxale par rapport à ses origines, la réussite de Bitcoin, c’est sa légitimation par l’adoption de lois consacrant son usage et par le rapprochement en cours avec Wall Street, l’ennemi juré d’origine.
Aux dix bougies à venir
Les anniversaires sont l’occasion de regarder en arrière, mais aussi de se concentrer sur l’avenir. Bitcoin ne correspond plus exactement à ce que son créateur souhaitait, et alors ? L’écosystème blockchain est désormais florissant, avec des acteurs bien établis qui ne cessent d’innover tels qu’Ethereum. Il reste maintenant à continuer à mûrir, et régler les problèmes qui s’annoncent : en plus des enjeux écologiques, dont on vous a déjà parlé, il faut aussi que la communauté réussisse désormais à croître et changer d’échelle (scale). Lors du pic d’activité de l’année dernière, les transactions mettaient plusieurs heures à être confirmées, et devaient être accompagnées de frais énormes. Face à ces enjeux, Bitcoin fait face à son plus gros défi : la décentralisation totale est une belle mise en œuvre des principes démocratiques, mais elle a ce défaut que, confrontée à des choix techniques complexes, la communauté risque de se diviser. Bitcoin est non seulement une incroyable innovation technologique, mais aussi une formidable expérience sociologique et sociétale, et quel que soit son avenir, il sera forcément intéressant.
Ce qu'on lit cette semaine
#crypto-monnaie
#bitcoin
#satoshipeuxrien
La semaine dernière, le Bitcoin soufflait sa dixième bougie depuis que son créateur, Satoshi Nakamoto, encore aujourd’hui pseudonyme, a publié l’article qui l’a vue naître. Depuis, la cryptomonnaie a fait beaucoup de chemin et n’est plus uniquement l’utopie des crypto anarchistes. Après avoir atteint une valorisation à 1 pour 20.000 dollars il y a presque un an, l’on trouvera peu de personnes qui n’en a jamais entendu parler. Pourtant, la crypto-monnaie n’a pas pris le chemin qui lui était destiné. Loin d’être arrivée à s’imposer comme devise courante pour les transactions du quotidien, son usage principal est aujourd’hui la spéculation. En parallèle de cela, le Bitcoin est confronté à une série de problèmes qui, pour beaucoup, étaient insoupçonnables dix ans plus tôt : la validation par preuve de travail commence à coûter très cher d’un point de vue environnemental, les transactions sont lentes et les transactions ne sont pas totalement anonymes. Autant d’éléments qui montrent que le Bitcoin aujourd’hui est bien loin de celui d’hier et ne ressemblera probablement pas à celui de demain.
#IA
#UE
#Régulation
#éthique
#pasplusfortmaisplusmalin
Entre d’une part les Etats-Unis, bénéficiant encore de leur place de leader grâce à des capitalisations inégalées et un brain drain à grands flots, et d’autre part la Chine, outsider devenu sérieux rival depuis qu’une politique pro-active l’a propulsée dans la course, et jouissant de l’avantage incontestable d’un accès quasi-illimité à la donnée (en particulier personnelle) en l’absence de réglementation véritablement contraignante, quelle place peut tenir l’Europe dans la bataille de l’IA ? A cette question, qui fait couler beaucoup d’encre et s’inquiéter beaucoup d’esprits depuis un petit moment déjà, Pekka Ala-Pietilä, ancien président de Nokia désormais “Monsieur IA” de l’Union, entend donner une réponse capitalisant sur le positionnement actuel de l’Union, à savoir celui d’un “troisième acteur” porteur d’une réflexion et de valeurs éthiques dans l’IA. Les grands textes établissant les droits et libertés fondamentaux ainsi que les principes de l’UE, ainsi que plus récemment le GDPR et les différentes productions de droit souple valant “code de conduite”, seraient ainsi la base d’une politique facile à résumer : faire aussi performant, mais plus éthique que nos voisins. Dans cette perspective, le brainstorming mené actuellement sous la supervision de Pekka Ala-Pietilä devrait accoucher de deux jeux de lignes directrices : l’un relatif aux principes éthiques de l’IA, l’autre à des recommandations pour pousser les investissements en Europe. Car c’est là l’essentiel du propos de l’intéressé : pour faire aussi performant (premier membre de la promesse), il importe de ne pas céder immédiatement au régulationnisme ex ante, mais de privilégier une approche casuistique de type jurisprudentiel, ex post, permettant à l’innovation de se faire et de ne pas réglementer “à vide”. D’ici à ces premiers textes ou décisions contraignantes, plus que jamais, la soft law aura à n’en pas douter un rôle décisif dans la promotion des valeurs européennes.
#Régulation
#internet
#géopolitique
#findelarécré
Prenons un peu de hauteur, et regardons autour de nous, ne serait-ce que sur l’année écoulée ; le thème central de nos préoccupations n’est-il pas exactement le suivant : réguler ou ne pas réguler, et si oui, comment ? Toute l’actualité converge vers ce simple constat : la promesse d’un Internet libre, ouvert et surtout émancipateur semble aujourd’hui manquée, en témoigne la multiplication des (tentatives de) législations à visée “corrective” sur les effets délétères des mauvais usages de ces technologies – contenus illicites, fake news, cyberattaques (plusieurs fois commanditées par des Etats eux-mêmes), etc. A tout le moins, cette évolution des choses aura eu le mérite de dissiper une vue de l’esprit : celle selon laquelle Internet pourrait figurer un monde affranchi de toutes règles, car de toutes conséquences sur le “monde réel” – d’où le besoin actuel d’encadrer, de fixer des limites, de sanctionner au besoin. Et cependant, à bien y regarder, même sur ces questions, le consensus n’est que partiel, y compris dans l’Union Européenne, pourtant bien seule souvent à porter ces sujets. Comment alors réconcilier l’idéal initial d’Internet avec cet état de fait ? Il faudrait pour cela (c’est la thèse de cet article) se saisir du problème au plus haut niveau international, par-delà les disparités culturelles et les limites territoriales qui grèvent les effets de la règle de droit national ou unioniste ; on touche ainsi à nouveau à cet autre sujet central de l’actualité : la géopolitique d’Internet et des nouvelles technologies en général. Plus facile à dire qu’à faire ? L’auteur établit quand même un parallèle intéressant avec les traités de non-prolifération nucléaire : il y aurait aujourd’hui, comme à l’époque, un intérêt collectif à s’asseoir à la table des négociations, compte tenu de l’enjeu planétaire imminent ; il ne serait que de le faire émerger et d’y rendre chacun sensible pour son propre intérêt. Gageons qu’il sera entendu.
#google
#privacy
#autorégulation
#enimmersiondansledataset
Comment s’articulent au jour le jour, au sein de Google, les préoccupations relatives à la vie privée des utilisateurs et le souci de préserver la viabilité économique du modèle, largement fondé sur la monétisation de données dans le cadre de services de publicité ciblée ? C’est que (l’article prend soin de le préciser) ces préoccupations ne sont pas absentes de la vie quotidienne à Mountain View : au contraire, elles innerveraient la réflexion de chaque équipe, en plus de celles dédiées exclusivement à la question de la privacy. Il en résulte une alternance voire une concomitance (bien mise en lumière ici) de prises de position audacieuses et innovantes en ce sens – nouvelles fonctionnalités didactiques au bénéfice des utilisateurs, publication de transparency reports, aide à la recherche académique sur le sujet -, et d’autre part de faux pas, voire de quasi-scandales aux yeux scrutateurs de l’actualité – violations de données dissimulées, géolocalisation permanente via les smartphones, etc. D’où ce sentiment d’un paradoxe généralisé et un doute légitime envers la pérennité de cette maxime fondatrice : don’t be evil. A problème complexe, cependant, plusieurs causes concourent évidemment, et aucune solution miracle ne saurait par conséquent être trouvée : cette situation s’expliquerait à la fois par la position pionnière de Google, qui affronte ces sujets et essuie les plâtres avant les autres, mais également par la prise du business model pour postulat conditionnant par suite toute la réflexion interne – on ne pourrait, en somme, que chercher à prévenir ou corriger les effets collatéraux de l’accumulation des personal data sets nécessaires pour la publicité ciblée, mais jamais vraiment remettre en cause cette accumulation elle-même. Des limites de l’autorégulation, bien sûr – et cependant on attend avec impatience de voir l’application concrète, à cette activité si gourmande par nature en data, des principes GDPR (pas si nouveaux à vrai dire) de minimisation des données et de conservation limitée.
#libertésenligne
#fakenews
#neutralité
#chine
#vivreentechnodystopie
L’organisation d’observation des libertés et de la démocratie Freedom House a publié son huitième rapport annuel sur l’état des libertés sur internet. Bilan de ce travail considérable mené par pas moins de 70 analystes ? Ça n’est pas vraiment du joli. De manière générale, Freedom House conclut que si certains pays ont œuvré pour rendre l’usage d’internet un peu plus libre, les libertés sur le net ont globalement reculé, et ce pour la huitième année consécutive. Plusieurs facteurs peuvent venir expliquer cette tendance : le fait que de nombreux Etats utilisent la lutte contre les fake news ou contre la manipulation des élections pour accroître leur surveillance et leur contrôle des informations produites ou échangées sur le web, que la Chine montre la voie au monde entier sur ce qu’il est possible de faire pour juguler les libertés en ligne, ou que la neutralité du net ne soit désormais plus préservée aux Etats-Unis. De quoi nous faire dire qu’en France, nous ne sommes pas si mal lotis, encore que selon Freedom House, il y aurait encore des efforts à fournir pour rattraper l’Islande ou l’Estonie, pays les mieux classés par l’organisation.
#justice
#opendata
#secretdesaffaires
#huisclos
S’il est bien un concept à la mode en droit de nos jours, et même plus généralement d’un point de vue sociétal, c’est celui de la transparence – que ce soit en matière de traitements de données à caractère personnel, de contenus sponsorisés, de fake news, de modération des plateformes, la pression à ouvrir bien grand toutes portes et fenêtres semble partout. Aussi est-ce avec une désagréable surprise que d’aucuns voient la première intéressée, la Justice elle-même, envisager de se draper d’un voile d’anonymat, elle qui vit pourtant historiquement selon le principe de la publicité – publicité des débats, des rapports et des décisions rendues. Le projet de loi de programmation pour la justice, qui prévoit d’une part de nombreuses exceptions à ce principe de publicité (dont notamment dans les cas où il risquerait de porter atteinte au secret des affaires), et d’autre part (nous en avons beaucoup parlé dans ces colonnes) des exigences extrêmement lourdes quant à l’anonymisation des décisions de justice, en ce compris les noms des magistrats, interroge ainsi directement, et non sans quelque préoccupation, notre conception fondamentale de la justice, partagée d’ailleurs et promue au niveau européen et plus largement encore ; si promulgué en l’état, il fait peu de doute qu’il devra donc encore passer sous les fourches caudines du contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité. C’est que si la transparence a parfois ses limites, il est à tout le moins à peu près clair qu’elle est d’autant plus de mise en présence d’un intérêt général aussi important.
#opendata
#donnéespubliques
#etsionsedonnaitrendezvousdans40ans
S’il fallait un mot pour qualifier ce que font l’administration et les collectivités territoriales au regard de leur obligation d’ouvrir, par défaut, les données publiques en leurs possessions imposée par la loi République Numérique, cela serait gadouiller, autrement dit, partir de rien pour arriver nulle part. Deux ans après l’entrée en vigueur de cette loi, l’Etat n’est pas prêt et certains estiment qu’il lui faudrait 40 ans pour se conformer à ses exigences. Le manque de moyen des collectivités, la contemporanéité de l’entrée en application du RGPD et l’absence de sanction en cas de non-conformité expliquent pour beaucoup pourquoi les citoyens ne peuvent pas encore se baigner dans les données publiques. Il est cependant possible, pour les plus téméraires, de passer par la CADA pour tenter d’obtenir un accès aux données pertinentes mais des observateurs craignent que celle-ci se montre trop pro-administration, d’où la suggestion de réformer également la loi qui l’a vue naître. Si l’esprit de la Loi République Numérique est louable, on croise les doigts pour qu’elle ne reste pas lettre morte car l’ouverture effective des données publiques verrait très certainement naître une foultitude de nouveaux services.