La Maj d'

La newsletter d'actu techno-juridique : tous les mardis matin à 9h, faites la mise à jour !

En cliquant sur “S’abonner”, vous consentez à recevoir la newsletter d’Aeon (la “Maj”) chaque mardi matin à l’adresse email que vous avez indiquée. Les données saisies dans les champs ci-dessus nous sont nécessaires pour vous adresser la Maj par l’intermédiaire de notre prestataire MailChimp, et ne sont utilisées qu’à cette fin.

Vous consentez également à ce que MailChimp collecte, par l’intermédiaire d’un traceur placé dans l’email contenant la newsletter, des informations relatives à l’ouverture de cet email et à votre lecture de la Maj. Ces informations ne sont utilisées par Aeon qu’aux fins d’améliorer la Maj et son contenu, et ne sont partagées avec aucun tiers hormis le prestataire MailChimp.

Si vous souhaitez lire la Maj sans que ces informations soient collectées, notez que vous pouvez la retrouver à tout moment à cette adresse aeonlaw.eu/maj. Vous pouvez également vous abonner au flux RSS de cette page pour être averti de chaque nouvelle Maj dès sa parution, en cliquant ici !

Pour plus d’informations, consultez la Politique de Confidentialité d’Aeon en cliquant ici.


Celle qui cherche son équilibre – Maj du 30/04/19

L'actu en bref

Cette semaine, on ne peut que ressentir une profonde lassitude en commençant une fois de plus par un récap des nouveaux problèmes de Facebook des 7 derniers jours : la CNIL irlandaise a ouvert une enquête à propos des mots de passe stockés en clair, le Canada se joint à la liste des États enquêtant sur les pratiques du réseau et préparant une amende, et l’entreprise provisionne pas moins de 5 milliards de dollars dans l’attente d’une amende par la FTC à propos de Cambridge Analytica, tandis que la rumeur veut que Mark Zuckerberg pourrait être personnellement inculpé par la FTC. En attendant, le réseau reste une gigantesque machine à cash. Notons également le troisième rapport mensuel sur la lutte contre la désinformation par Google, Facebook et Twitter, une fois de plus rempli de “bravo mais”, la confirmation en appel que Google ne paiera pas 1,15 milliards d’euros de redressement fiscal pour défaut d’établissement stable en France, et un accord entre Elon Musk et la SEC sur son utilisation de Twitter pour parler “choses susceptibles d’influer sur le cours boursier de Tesla”. Du côté de chez nous, un décret relatif aux traitements nécessitant le numéro d’identité (RNI) est paru, le CSA a dévoilé un projet de recommandation à destination des plateformes visées par la loi fake news, soumis à consultation publique jusqu’au 10 mai – le récap par NextINpact, la CNIL tacle la Chine sur la reconnaissance faciale et propose de nouvelles fiches à destination des startups, le TGI de Bordeaux considère en référé que les compteurs Linky ne violent pas le RGPD, 4 projets d’instituts 3IA prévus par le rapport Villani ont été retenus, et l’UE crée un gigantesque fichier biométrique – quand on se souvient des conditions de création de la CNIL (rejet d’un projet de gigantesque fichier biométrique nommé “SAFARI”), on se dit que la situation est cocasse.

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

Les droits fondamentaux qui fondent nos sociétés contemporaines sont tout aussi nouveaux que les technologies que nous étudions : quel serf imaginait en 1650 réclamer de la transparence administrative et un droit d’accès à l’information à son seigneur, et un droit à la vie privée alors que la propriété privée n’existait pas et que les maisons étaient partagées par plusieurs familles ? Historiquement, le droit à la vie privée comme le droit à l’information sont des constructions récentes – certains parlent même d’anomalies. Cela explique en partie les difficultés actuelles que nous avons à les concilier – à l’instar d’un équilibriste, nous marchons sur une fine ligne tendue, en ajustant à chaque pas les poids pour ne pas tomber tout en avançant.

L’équilibre des droits fondamentaux

L’un des principaux enjeux de la construction numérique reste en effet la balance entre ces deux intérêts si fondamentaux et si contradictoires : d’un côté, la préservation de la liberté associée à la vie privée, qui permet un épanouissement individuel loin des pressions sociales ; de l’autre, la nécessité de l’accès à l’information, qui renforce le caractère démocratique de la société, notre capacité à prendre des décisions et donc notre autodétermination. Bien souvent, l’accès à l’information nécessitera que des données relatives à la vie privée soient rendues publiques, et une tension naitra entre deux droits auxquels nous accordons la même protection. Le rôle du juge est ainsi central dans cette construction moderne : si l’on accorde la même valeur à deux intérêts contradictoires, seule une appréciation concrète, au cas par cas, peut permettre de les départager momentanément et d’en faire primer l’un sur l’autre tout en préservant cette égalité théorique. Le rôle de la jurisprudence, par opposition à celui du juge, est d’ailleurs quelque peu ambivalent : ainsi qu’exposé, l’office du juge dans la balance des intérêts est d’ajouter un petit poids supplémentaire d’un côté ou de l’autre, sans déséquilibrer l’ensemble – peut-on alors considérer qu’une décision de ce type provenant de l’une des plus hautes cours, françaises ou européennes, puisse avoir une valeur jurisprudentielle, c’est-à-dire faire précédent et être reprise par l’ensemble des autres juridictions ? C’est en tout cas ce qui arrive fréquemment, les problématiques de mise en balance des intérêts fondamentaux étant très souvent remontées jusqu’au plus haut niveau juridictionnel.

Comme bien souvent, le numérique ne pose pas vraiment de question nouvelle, mais il exacerbe fortement celles qui se posaient déjà : la publication d’une information relative à la vie privée dans un journal papier était certes attentatoire à ce droit en vertu de la liberté d’expression et d’information, mais l’atteinte était temporaire et circonscrite aux seuls lecteurs du journal en question – elle était, d’une certaine manière, localisée. L’atteinte prend plus d’ampleur avec le numérique, qui a décuplé notre pouvoir d’accès à l’information et largement diminué notre capacité d’oubli. À cela s’ajoute la problématique de la protection des données personnelles, démembrement de la protection de la vie privée qui a tant gagné en autonomie qu’elle est aujourd’hui devenue la principale problématique : contrairement à la vie privée, qui cesse d’exister dès lors que l’information protégée entre dans le domaine public, la protection des données personnelles, elle, ne s’éteint pas. Comment alors concilier droit à l’information avec protection des données personnelles, alors que cette dernière ne connait aucune extinction et ne cesse de s’étendre ?

Un équilibre auquel on peut raisonnablement s’attendre

Une première piste consiste à considérer chaque problématique en termes d’équilibrage non pas de droits fondamentaux, mais d’intérêts collectifs et individuels : chacun des droits et libertés consacrés connait deux faces, l’une protégeant l’individu, l’autre la société, la collectivité. La mise en balance de ces droits confronte fréquemment la face collectiviste d’un droit avec la face individualiste d’un autre, et la mise en balance peut ainsi consister à chercher à faire primer l’une des deux faces sur l’autre. Là encore, la solution ne peut être systématique, du fait des divergences de conceptions de ce que peut être l’intérêt général : s’agit-il de la somme d’intérêts individuels (« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. » – Adam Smith) ou d’une volonté générale résultant du contrat social et d’une volonté générale (« Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. » – Jean-Jacques Rousseau) ?

Une solution moins politique, et que la jurisprudence comme les textes commencent à consacrer doucement mais sûrement, est celle de l’attente raisonnable : puisque la mise en balance qui nous préoccupe est celle de la liberté d’expression et d’information d’un côté et de la protection de la vie privée et des données personnelles de l’autre, l’équilibre peut se trouver dans la prise en compte du caractère prévisible, attendu de l’atteinte à l’un des droits. Il consiste à se demander, à chaque fois qu’une atteinte est alléguée, si le demandeur pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’atteinte soit commise : c’est ainsi que la CEDH a par exemple considéré que la republication massive et systématique de liasses fiscales publiques n’était pas une publication à laquelle les contribuables pouvaient raisonnablement s’attendre, et qu’au contraire un avocat commis d’office ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que son nom ne soit pas publié. On vous laisse avec cette idée – vous ne pouviez raisonnablement vous attendre à ce qu’on vous en dise plus, n’est-ce pas ?

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, sans gravité !