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Celle qui se requalifie – Maj du 10/03/20

L'actu en bref

Cette semaine, c’est la crise ! Tout le monde l’attendait, et c’est le covid-19 qui nous l’a apportée – et le monde de la tech n’est évidemment pas épargné : l’un des plus grands fonds d’investissement de la planète appelle à la rigueur, la plupart des grosses conférences tech du printemps sont annulées, Leboncoin met un terme à la spéculation sur les masques, et même la CNIL y est allée de son petit rappel. Sinon, l’autre news de la semaine c’est évidemment le retentissant arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation qui confirme le statut de salarié d’un chauffeur Uber (arrêt également disponible in english et en español, c’est dire son importance). Les Echos reviennent sur l’histoire, tandis que le gouvernement prend acte et semble souhaiter aller à l’encontre de cette jurisprudence. Nous la commentons dans notre édito ci-dessous. La Cour s’appuie sur un important faisceau d’indices – nous verrons quelles modifications seront éventuellement apportées par Uber pour échapper à la qualification. On note aussi le rapport de la Cour des comptes qui, lui aussi, prône pour une réforme du statut d’hébergeur pour lutter contre la contrefaçon (le rapport) ; la première mise en œuvre de l’arrêt de la CJUE sur les données relatives aux infractions et condamnations et le droit à l’oubli en Espagne, avec l’obligation de faire apparaitre les données les plus récentes (en l’occurrence un acquittement) en premier (la página oficial en el idioma original) ; et de nouveaux rebondissements dans les relations entre Google et les éditeurs de presse : il semble que l’audience devant l’ADLC se soit déroulée en faveur des éditeurs, tandis que Google propose pour la première fois depuis le début des débats une forme de rémunération. Côté tech, notons la défaite judiciaire d’Anthony Levandowski, ingénieur star des voitures autonomes de Google devenu espion industriel pour Uber (il déclare faillite en conséquence) ; Twitter teste les tweets qui disparaissent ; ce réseau social vous fait vous sentir comme une star des réseaux grâce à plein de bots ; Facebook bifurque un peu sur Libra pour inclure des devises traditionnelles et apaiser les régulateurs ; Amazon propose désormais d’équiper d’autres enseignes avec sa technologie de magasin sans caisse ; et Grindr est revendu par son propriétaire chinois à une entreprise américaine. On se quitte sur la nouvelle d’une première utilisation de Crispr-Cas9 in vivo pour tenter de guérir une personne devenue non-voyante et sur cette reconstitution du visage de la Joconde jeune.

Faites la Maj et à la semaine prochaine !

Chez Aeon, nous ne sommes pas travaillistes, peut être socialistes (on ne vous le dira pas), mais nous sommes au moins travailleurs. Alors, l’on va quand même s’essayer à discuter d’une matière qui n’est pas, a priori, la nôtre. La semaine dernière, la Chambre Sociale de la Cour de cassation a rendu une décision retentissante pour les plateformes de mise en relation qui, avec l’arrêt Take It Easy de 2018, confirme une tendance qui risque de mettre à mal la gig economy sur laquelle elles reposent. C’est ainsi que la Haute juridiction, par un arrêt confirmatif, a approuvé, au visa de l’article L8221-6 du Code du travail, une Cour d’appel pour avoir requalifié le contrat liant un chauffeur de VTC à Uber en contrat de travail. Petit commentaire d’arrêt express.

La qualification d’un lien de subordination

L’article L8221-6 du Code du travail instaure la présomption selon laquelle le contrat liant un travailleur indépendant à un donneur d’ordre n’est pas un contrat de travail. Il s’agit d’une présomption simple pouvant être renversée lorsqu’il est acquis qu’il existe un lien de subordination juridique permanent entre ces deux parties prenantes. Et c’est sur l’existence de ce lien de subordination que la Cour de cassation s’est prononcée en faveur du chauffeur de VTC. En faisant application de sa jurisprudence constante en la matière, celle-ci a constaté que tous les critères qualifiant un tel lien étaient remplis, à savoir (i) le pouvoir de donner des ordres et des directives, (ii) celui d’en contrôler l’exécution et (iii) celui de sanctionner les manquements à ces ordres et directives, étant précisé que le fait de déterminer unilatéralement les conditions d’exécution de travail du travailleur peut être un indice de subordination.

En l’occurrence, la Cour de cassation a constaté que dès qu’un chauffeur de VTC se connectait à la plateforme d’Uber, celui-ci rentrait dans un écosystème fermé restreignant sa liberté et entièrement organisé par la firme.

L’impossibilité de choisir son itinéraire

Premier élément de fait : Uber fixe les tarifs des chauffeurs en fonction du calcul d’un itinéraire unique, considéré comme étant l’itinéraire optimal entre le point de prise en charge et la destination du passager, et applique des pénalités lorsque les chauffeurs s’en écartent.

Cette considération de la Cour de cassation se comprend lorsque l’on regarde les pratiques des chauffeurs de VTC. En effet, quiconque ayant déjà effectué quelques trajets avec Uber se sera rendu compte que très peu de chauffeurs utilisent l’outil de navigation interne à Uber. Parce qu’elle propose des modifications de trajet en fonction d’informations sur le trafic obtenues en temps réel, Waze est l’application de choix des chauffeurs de VTC et est considérée comme celle proposant les itinéraires les plus optimisés. Or, l’itinéraire « optimal » servant à la fixation du tarif des courses et à l’application des pénalités pour « trajet inefficace » est calculé à partir de l’algorithme interne d’Uber, celui dont tout le monde s’accorde pour dire qu’il n’est pas le plus performant. Les chauffeurs de VTC sont donc contraints de suivre un itinéraire qui leur fait perdre du temps et, donc, de l’argent.

La forte désincitation à utiliser d’autres plateformes qu’Uber

Deuxième élément de fait : l’application d’Uber est construite pour faire du in-app user retention, ou en l’occurrence du in-app driver retention en mettant en œuvre plusieurs mécanismes incitant les chauffeurs à accepter les courses proposées par son intermédiaire. Ainsi, au bout d’un certain nombre de refus de course, le chauffeur reçoit une notification le forçant à interagir à nouveau avec l’application. Plusieurs stipulations contractuelles laissent également la possibilité pour Uber de déconnecter les chauffeurs ou désactiver l’application en cas de non-usage prolongé. Par ailleurs, l’application Uber considère que les chauffeurs ont refusé une course si ceux-ci ne l’ont pas acceptée dans un délai de 8 secondes. Enfin, dans la mesure où les passagers peuvent indiquer leur destination en montant dans le véhicule des chauffeurs et non dans l’application au moment de la demande de trajet, les chauffeurs ne disposent pas toujours de toutes les informations utiles à la prise de décision d’accepter ou de refuser une course.

Là encore, la réalité des usages des chauffeurs de VTC permet de se rendre compte d’en quoi est-ce que ces mécanismes sont privatifs de leur liberté. En effet, il n’est pas rare de voir un chauffeur de VTC utiliser plusieurs applications concurrentes d’Uber en parallèle, telles que Heetch ou Kapten, pour avoir un panel de choix de courses plus important et ainsi décider eux-mêmes de comment optimiser leur temps de travail. Si les conditions contractuelles d’Uber n’interdisent pas formellement aux chauffeurs d’utiliser d’autres services de mise en relation, l’application, elle, est construite pour que les chauffeurs ne puissent matériellement pas le faire, ou du moins difficilement. En effet, le chauffeur qui doit se reconnecter à l’application Uber à chaque fois qu’il ne l’utilise pas car il est en train d’effectuer une course via une autre plateforme sera incité à rester sur l’application d’Uber. De même pour le chauffeur qui n’a que 8 secondes pour comparer une offre de course Uber avec celles de toutes les différentes plateformes de mise en relation en faisant le va-et-vient entre leurs applications dédiées, sachant que, pour certaines offres de course Uber, le chauffeur doit également prendre une décision en considération du fait qu’il ne connait pas à l’avance la destination du passager.

Des mécanismes de sanction excessifs  

Enfin, dernier élément de fait : Uber a fixé un taux d’annulation de commandes au-delà duquel les chauffeurs perdent l’accès à leur compte. Cet accès peut également être définitivement perdu lorsque les utilisateurs ont signalé que le chauffeur a eu des « comportements problématiques », sans considération de la véracité des faits reprochés aux chauffeur ou de la proportionnalité de leur sanction.

Là encore, la privation d’accès au compte des chauffeurs en cas d’annulation de commandes les incite à devoir effectuer toutes les courses qu’ils ont acceptées, y compris celles qui se seraient révélées, postérieurement à leur acceptation, moins rentables soit parce qu’une autre course plus lucrative serait apparue sur une autre plateforme de mise en relation, soit parce que des changements dans les conditions de circulation aurait rendu le prix fixé d’avance par Uber trop faible par rapport à l’allongement prévisible du temps du trajet à effectuer. Par ailleurs, la possibilité qu’Uber supprime définitivement l’accès des chauffeurs à leurs comptes en cas de signalements de « comportements problématiques » des utilisateurs sans véritable encadrement d’équité processuelle lui donne un pouvoir de sanction unilatéral pouvant être utilisé pour faire indûment pression sur les chauffeurs.

What next ?

L’ensemble des considérations qui précèdent tend à montrer que la décision de la Cour de cassation est bienvenue en ce qu’elle tient compte de la précarisation croissante des conditions d’exercice des chauffeurs de VTC. Cet arrêt produira très certainement des effets sur tout l’écosystème des plateformes de mise en relation impliquant la fourniture de services par des travailleurs indépendants qui devront revoir la manière avec laquelle elles organisent leurs relations.

Maintenant, pour ce qui concerne le cas spécifique d’Uber, deux solutions s’offrent à elles.

La première consisterait à conclure des contrats de travail avec tous les chauffeurs de VTC. Cette perspective est très improbable d’une part parce que de nombreux chauffeurs de VTC sont attachés à leur statut d’indépendant et refuseraient de travailler exclusivement pour Uber en tant que salarié et d’autre part parce que cela bouleverserait entièrement le business model d’Uber qui devrait commencer à payer des charges patronales.

La seconde consisterait à modifier le fonctionnement de son application et l’organisation de sa relation avec ses chauffeurs en tenant compte des faits motivant la décision de la Cour de cassation. Quelques pistes :

  • fixer à l’avance le prix des trajets mais ne plus imposer d’itinéraire ;
  • ne plus désactiver l’application en cas de non-usage prolongé ;
  • ne pas limiter le temps dont les chauffeurs disposent pour accepter une course ;
  • ne pas désactiver l’accès des chauffeurs à leurs comptes en fonction de leurs taux d’annulation de commande.

Uber, si tu nous lis, y a plus qu’à !

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, en s'accrochant bien !