“Si c’est gratuit, c’est vous le produit”
C’est ainsi qu’est résumée une idée désormais plus si nouvelle que ça qui consiste à mettre en garde sur l’utilisation non contrôlée de réseaux sociaux et autres moteurs de recherche dont le business modèle repose sur la publicité. Ces services en ligne non onéreux se rémunèrent sur un marché parallèle en utilisant les données personnelles collectées pour vendre des espaces publicitaires – ce que l’on appelle des marchés bifaces, qui incitent forcément à la collecte la plus massive qui soit, au big data. D’où l’idée que ces services nous, vous utilisent en fait comme produits. Alors que la Terre entière ne parle que du scandale Cambridge Analytica qui met en exergue les dérives de Facebook (bien que cette affaire ait déjà été révélée il y a 2 ans), il est possible de réfléchir d’une autre manière à l’économie de la donnée.
La patrimonialité des données
Une idée qui a récemment fait irruption sur le devant de la scène est celle de la patrimonialité de la donnée. Poussée en France par le think tank libéral Génération Libre, la proposition vise à conférer un droit de propriété de chacun sur “ses données”. Pour Génération Libre, il s’agirait de la suite logique du RGPD, et l’effet serait de permettre de vendre ces données aux acteurs du net qui en dépendent. Ainsi, contrôle total sur qui fait quoi de la data, et liberté de vendre ou non. Outre les critiques purement logistiques que cette idée appelle, elle n’est pas non plus dénuée de défauts d’un point de vue purement juridique : la donnée est-elle un bien ? Le droit de propriété, et surtout ses composantes d’usus, fructus et abusus est-il applicable en l’espèce ? Au-delà des critiques nombreuses et justifiées que cette proposition appelle, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une alternative à l’actuelle économie de la donnée.
La rémunération du travail fourni
La conséquence directe de la patrimonialité des données serait la perception d’une rémunération lors de cette vente. D’autres penseurs imaginent une réforme de l’économie de la donnée par une rémunération pour le travail fourni. L’idée sous-jacente ici est que nous ne sommes pas les produits, mais plutôt les travailleurs des plateformes, qui ne fonctionnent que par le temps que nous y passons, et le temps, c’est de l’argent. Il y aurait alors un partage des bénéfices entre les plateformes qui auront monétisé les données et ceux qui les auront fournies, les utilisateurs. Là encore, l’idée est loin d’être parfaitement mûrie, notamment – mais pas du tout exclusivement – en ce qui concerne la répartition de cette fameuse rémunération : aurait-elle lieu au temps passé ? selon la qualité de la donnée ? comment évaluer cette dernière ?
Le retour de l’abonnement et du freemium
Ces propositions ont par ailleurs le défaut de n’apporter qu’une réponse partielle au problème : le big data y reste quasiment tout aussi big, mais on s’enrichit. Le contrepied est de proposer un retour à l’abonnement. Il est intéressant à cet égard de voir le cheminement de la presse : d’un modèle payant au numéro ou à l’abonnement, on a vu émerger de nombreux titres gratuits, pour désormais voir se réimposer un modèle d’abonnement sur une base “freemium” – un peu de contenu gratuit, puis payer pour avoir plus. Si ça marche pour la presse, pourquoi pas pour les plateformes ? Pourquoi ne pas proposer un abonnement payant en échange d’une absence de traitement de données ? Google teste déjà l’idée avec Contributor. Mais un problème demeure : ici, la donnée sera toujours traitée et conservée par Google, elle ne sera juste plus vendue à des annonceurs le temps de l’abonnement.
Traiter moins de données, respecter les règles
Il semble également possible, tout simplement, de traiter moins de données. C’est notamment ce que fait le petit moteur de recherche français Qwant : ils ne traitent ponctuellement que la donnée associée à votre recherche, et vous proposent de la pub de manière contextuelle uniquement. Simple, mais qui répond au problème – il n’en reste pas moins que, forcément, la pertinence de la publicité en cause sera forcément moindre qu’ailleurs.
Il convient en effet de rappeler un point malgré tout : si ces traitements massifs de données ont pour but principal l’enrichissement des plateformes concernées, non seulement permettent-ils de ne point bourse délier, mais ils servent également à une plus grande personnalisation de tous ces services, y compris la publicité, ce qui peut malgré tout être positif.
In fine, les principes de minimisation de la collecte, de nécessaire finalité du traitement, de base légale impérative et de protection de la vie privée dès la conception du traitement et par défaut consacrés par le RGPD semblent être un bon compromis entre l’économie de la donnée actuelle et l’une des révolutions énoncées ci-dessus. Il suffit “juste” que les acteurs concernés s’y conforment.
L’actu en bref
Après ce long édito, faisons court sur les actus de la semaine : l’AMF publie une liste noire des sites de crypto-actifs ; grosse question préjudicielle Facebook sur la portée territoriale du retrait de contenu manifestement illicite ; la Ministre des armées annonce un investissement de 100 millions d’euros pour équiper l’armée en IA ; les jeux violents n’auraient aucun impact sur la violence d’une personne ; Dropbox a réussi son entrée en bourse ; Facebook signe un accord avec la SACEM, bientôt une plateforme audio ou vidéo ? ; le nouvel impôt européen sur les géants du net se précise, mais il n’arrive pas avant 2020 ; la Chine va créer un comité de standardisation de la blockchain.
La spéciale Cambridge Analytica : Elon Musk supprime les pages FB de ses entreprises ; le mouvement #deletefacebook fait des émules ; le communiqué du G29 ; les réponses de Mark Zuckerberg.
À ne pas rater cette semaine
Au programme de la sélection de la semaine, on vous propose une critique de l’économie de la donnée par NextINpact et une explication de pourquoi Cambridge Analytica n’est pas une fuite de données par Motherboard. Pour répondre à la problématique, la Commission européenne compte faire tomber les GAFAM sous le droit de la consommation, même lorsqu’aucune somme n’est déboursée, et augmenter son pouvoir de sanction. On parle aussi de la discrimination sur l’âge chez IBM, et de la réponse législative au cas Microsoft v. FBI aux US, qui viennent d’adopter un Cloud Act critiqué. On termine avec une belle section crypto/blockchain, et trois cas d’usage très pratiques de la blockchain en banque, le traçage des utilisateurs de Bitcoin par la NSA et le soutien de la Russie au Venezuela pour créer sa propre crypto et échapper aux sanctions américaines.
Faites la Maj, et à la semaine prochaine !
Ce qu'on lit cette semaine
#donnéespersos
#facebook
#reprendstesdonnéesenmain
A l’heure où Facebook est sous les feux de la rampe avec le Cambridge-Analytica-Gate, et qu’elle cristallise certaines des frustrations que les individus peuvent avoir quant à l’absence de maîtrise de leurs données (et, pour les pro-hillary et les tenants du Remain, celles d’un échec), il n’est peut-être pas inutile d’avoir un son de cloche légèrement différent : et si le cas récent de Facebook n’était que l’expression d’un problème plus grand, systémique, tenant à la manière avec laquelle l’économie de la donnée s’est construite jusqu’à présent ? Sans pour autant diminuer la responsabilité du réseau social américain, cet article rappelle que les autorités de contrôle ont certes un rôle à jouer, mais que c’est également le cas des utilisateurs dont la diligence, l’importance et le soin qu’ils apportent à la protection de leurs données au quotidien peuvent également avoir un poids substantiel dans la définition des standards de l’industrie. De la modification de l’offre par les exigences de la demande.
#donnéespersos
#facebook
#cybersécurité
#travaildequalification
Voilà peut-être un exemple du type de situation qui aurait pu donner lieu à une amende dans la fourchette haute des fameux 4% du GDPR : le scandale que Facebook connait actuellement avec Cambridge Analytica. La firme, spécialisée dans l’analyse de données à des fins politiques, non seulement récoltait des informations d’utilisateurs Facebook qui avaient consenti à participer au programme de Cambridge Analytica mais, du fait de la politique de confidentialité et de l’API du réseau social, également celle des amis des participants sans qu’ils n’en aient connaissance. Ces données ont ensuite été utilisées pour faire de la segmentation et pousser le bon contenu aux bonnes personnes pour influencer, d’aucuns diraient manipuler, l’orientation politique des utilisateurs de Facebook pendant la campagne de Trump (CA travaillait étroitement avec Steve Bannon, son ancien directeur de campagne) ou pendant les discussions autour du Brexit. Pour en découvrir un peu plus.
#consommation
#plateformes
#donnéesperso
#aïeaïeaïe
La Commission Européenne a perdu son effet de surprise alors qu’un draft d’une future proposition de directive modifiant l’encadrement unioniste du droit de la consommation a fuité. L’on y apprend, entre autres, qu’elle souhaite que la réglementation actuelle soit étendue à tous les services numériques prestés aux consommateurs indépendamment du fait qu’une somme monétaire soit payée en contrepartie. Il s’agirait ainsi de leur faire bénéficier du droit de rétractation ou d’une information pré contractuelle extensive même lorsque le service reçu est “gratuit” (ie: payé avec des données personnelles). La Commission entend également imposer aux plateformes de vente en ligne plus de transparence, notamment en les obligeant à clarifier l’identité des vendeurs des produits commercialisés par leur intermédiaire. L’on remarquera enfin que les 4% du chiffre d’affaires annuel sont à la mode puisqu’il est également proposé que les autorités compétentes puissent infliger des sanctions à hauteur de ce montant. RGPD, ePrivacy, maintenant droit de la consommation, à qui le tour ?
#discrimination
#tech
#millenials
#l'arméedesombres
Plongée en immersion dans la stratégie mal assumée de l’historique IBM pour rester dans la course à la compétitivité : exit les quadra, quinqua, sexa – faites place aux fameux millenials ! L’organisme ProPublica révèle au terme d’une enquête détaillée comment la société américaine joue avec les contours des lois anti-discrimination pour forcer le départ de milliers de salariés de longue date, sous prétexte d’inaptitude au travail, voire sans prétexte du tout, en se dispensant notamment de fournir l’information légalement requise et en renvoyant tout contentieux devant… des juridictions arbitrales. A l’heure où il paraît de bon ton de vouloir réformer le Code du travail français, on gardera à l’esprit cette leçon : le formidable esprit d’innovation qui anime le monde de la tech n’est pas systématiquement et nécessairement source de progrès social, ou du moins pas pour toutes les couches de la société…
#cybercriminalité
#territorialité
#procédurepénale
#doublecourtcircuit
Les Etats-Unis ont préféré ne pas attendre que la Cour suprême se prononce sur la possibilité que ses autorités accèdent aux données stockées par des firmes américaine hors du territoire national sans passer par les juridictions locales. C’est ainsi que le Sénat a adopté le Cloud Act qui permet notamment aux enquêteurs d’enjoindre les entreprises de communiquer des données dès lors qu’elles sont sous leur contrôle, indépendamment du fait que leur lieu de stockage se trouve sur le sol américain ou non. Autre fait majeur de cette nouvelle loi : l’organisation des échanges d’information entre les polices étrangères et américaines. Le Cloud Act autorise désormais le gouvernement américain à former des accords directement avec ses équivalents étrangers sans homologation préalable de la branche législative, comme il était jusqu’à présent requis, tout en permettant un accès réciproque direct aux données par les autorités sans contrôle judiciaire des requêtes individuelles. On vous laisse vous faire votre avis tout en relevant qu’il n’est peut être pas anodin que cette loi était un cavalier législatif greffé au texte d’approbation du budget de l’Etat, alors que la menace du shutdown planait sur l’administration américaine. Just sayin’.
#géopolitique
#cryptomonnaies
#pétrodollarscontrepétropetros
Dans cette histoire qui semble remixer l’actualité toute entière, on apprend donc que la Russie aurait collaboré à la création du “petro”, première cryptomonnaie étatique lancée par le Venezuela pour contourner l’impact des récentes sanctions commerciales qui lui ont été imposées par l’exécutif américain. Le président Trump n’aura d’ailleurs pas tardé à réagir en complétant son executive order de mesures bien senties à l’encontre du petro. Reste que l’affaire démontre, si besoin était, l’enjeu géopolitique majeur du cours des devises, et l’importance dans cet équilibre de l’entrée en jeu des cryptomonnaies ; la Russie ne s’en cache pas, dont les représentants les plus éminents expliquent ouvertement qu’il est temps de faire tomber le règne du dollar. L’avenir dira si le lancement d’une cryptomonnaie adossée aux stocks de pétrole d’un Etat en faillite était la meilleure stratégie pour ce faire.
#bitcoin
#surveillance
#USA
#donnéesperso
#bitbrotheriswatchingyou
Cinq ans plus tard, les conséquences des révélations monumentales d’Edward Snowden n’en finissent pas de se faire sentir : le site américain The Intercept révèle ainsi que dès 2013, la NSA, organisation du renseignement américain, aurait mis en place un système de surveillance des utilisateurs de la blockchain Bitcoin, ainsi que d’autres cryptomonnaies non désignées. L’étendue des données collectées irait bien au-delà de celle directement accessible depuis la blockchain, pour couvrir la navigation Internet des individus concernés. D’où l’on tirera deux conclusions : d’une part, que les monnaies virtuelles ne sont pas susciter une certaine inquiétude, ou du moins un certain intérêt, pour le Big Brother américain ; d’autre part, qu’il n’est définitivement plus temps de croire les prophètes de l’anonymat absolu prétendument garanti par la blockchain…
#blockchain
#demandezplusàvotrefintech
Pour qui croirait encore que la blockchain n’intéresse que les spéculateurs (juridiques comme financiers), voici trois use cases triés sur le volet, mettant en scène des acteurs de premier rang du monde de la banque et de la finance. Où l’on apprend que des blockchains privées comme publiques sont d’ores et déjà employées pour réduire la chaîne des intermédiaires et fluidifier les transactions dans ce secteur (gestion d’actifs, opérations de change), ainsi que pour assurer les obligations de KYC (know your customer) imposées à ces acteurs. Une bonne manière de relativiser le caractère révolutionnaire de cette technologie de gestion de l’information, et de ne pas s’en tenir, pour la juger, qu’aux récents (et certes nombreux) scandales liés aux ICO.