La Maj d'

La newsletter d'actu techno-juridique : tous les mardis matin à 9h, faites la mise à jour !

En cliquant sur “S’abonner”, vous consentez à recevoir la newsletter d’Aeon (la “Maj”) chaque mardi matin à l’adresse email que vous avez indiquée. Les données saisies dans les champs ci-dessus nous sont nécessaires pour vous adresser la Maj par l’intermédiaire de notre prestataire MailChimp, et ne sont utilisées qu’à cette fin.

Vous consentez également à ce que MailChimp collecte, par l’intermédiaire d’un traceur placé dans l’email contenant la newsletter, des informations relatives à l’ouverture de cet email et à votre lecture de la Maj. Ces informations ne sont utilisées par Aeon qu’aux fins d’améliorer la Maj et son contenu, et ne sont partagées avec aucun tiers hormis le prestataire MailChimp.

Si vous souhaitez lire la Maj sans que ces informations soient collectées, notez que vous pouvez la retrouver à tout moment à cette adresse aeonlaw.eu/maj. Vous pouvez également vous abonner au flux RSS de cette page pour être averti de chaque nouvelle Maj dès sa parution, en cliquant ici !

Pour plus d’informations, consultez la Politique de Confidentialité d’Aeon en cliquant ici.


Celle qui choisit la pilule de vérité – Maj du 18/06/19

L'actu en bref

Cette semaine, la grosse nouvelle portait sur les premières annonces relatives à la future cryptomonnaie de Facebook : elle serait adossée à une liste colossale de grandes entreprises qui la soutiendraient, y compris notre Iliad (Free) national ! Plus d’infos la semaine prochaine après les annonces officielles. Moins glop pour Facebook : des emails internes saisis par la FTC montreraient sans aucun doute possible que Zuckerberg était à l’origine de prises de décisions douteuses quant à leurs conséquences pour la vie privée. Toujours en ce qui concerne les relations houleuses entre la tech et le droit, la FTC va sévir contre les boites américaines qui prétendent être conformes au Privacy Shield alors que non, la filiale Jigsaw de Google a acheté des campagnes de troll pour étudier la simplicité du processus, le nouveau robot cuiseur de LIDL est équipé d’un micro secret inactif, la presse américaine se rebiffe à son tour contre Google, et un article académique sur le “chemin de destruction” Uber. Notons par ailleurs que Julian Assange fera face à une procédure d’extradition l’année prochaine, que le PDG d’Uber a limogé deux très hauts cadres pour reprendre le contrôle, que Telegram se fait DdoS, a priori par la Chine compte tenu de son utilisation dans les manifs à Hong Kong, que le rapport Reuters sur l’état de la presse est sorti, et que la legaltech Hyperlex lève 4 millions pour sa solution d’IA appliquée aux contrats. Sur notre vieux continent, la CJUE a considéré que Gmail n’était pas un opérateur de communications électroniques – conclusion à laquelle était déjà parvenu Hugo dans nos lignes, la DGCCRF a imposé une sanction de 10 millions d’euros contre un assureur de portables, Nicole Belloubet n’est pas contre sortir la diffamation de la loi de 1881, Etalab publie un papier sur la transparence des algorithmes publics, le Conseil d’Etat juge que les algorithmes locaux de Parcoursup ne sont communicables qu’à des étudiants (et pas des syndicats), tout en rappelant que les établissements doivent en tout état de cause publier les critères généraux utilisés dans leur procédure de sélection, la Cour d’appel de Paris a considéré que ne pas communiquer un code de déverrouillage de portable à des policiers n’est pas un crime, la CNIL espagnole a sanctionné le gestionnaire de la Liga de foot espagnole qui utilisait une appli sur les téléphones portables de ses supporters pour repérer les visionnages illicites, et le Règlement platforms to business est terminé après sa validation par le Conseil de l’Europe – il sera prochainement publié au JO. On se quitte sur la publication du nouveau numéro de THIRD, la revue qui explore le monde numérique, sur la Smart city, sur une revue statistique de 150 politiques de confidentialité par le NYT – pas joli joli #legaldesign – et sur cette vidéo de plusieurs membres du CSA qui fêtent les 30 ans de l’institution – pas sûrs de ce qu’en penserait le CSA s’il était saisi de cette séquence !

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

C’est l’une des scènes les plus mythiques du cinéma, en tout cas de celui de ces dernières années : Morpheus tend ses mains vers Neo, et lui propose deux pilules, une rouge, une bleue. Si Neo prend la bleue, il retourne à la réalité d’avant, son confort habituel, la réalité qui était sa vie jusque là ; s’il prend la rouge, il reste dans un monde bien moins sympathique que celui qu’il connaissait, mais qui est le monde réel. Morpheus l’avertit : la seule chose qu’il peut promettre, c’est la vérité – pas qu’elle sera plaisante. Neo a vécu toute sa vie, une vingtaine d’années, dans une réalité qui n’était pas véridique mais qui était bien la sienne : cette scène de Matrix illustre ainsi très frontalement à quel point les concepts de vérité et de réalité sont complexes à manier.  À l’heure des fake news et des deepfakes, ils n’ont pourtant jamais été aussi nécessaires.

À la recherche de la pilule rouge

Notre situation actuelle est en effet assez comparable à celle de Neo : nous vivons dans un monde où la fausse information nous entoure, où elle est parfois impossible à distinguer du réel, comme dans le cas des deepfakes, ces vidéos ou images générées à l’intelligence artificielle, et nous cherchons à nous extraire de ces mensonges pour renouer avec la vérité. C’est du moins probablement votre cas, et celui de la majeure partie de votre entourage, mais peut-être connaissez-vous au contraire des personnes prêtes à vous persuader qu’en fait, c’est vous qui vivez dans le mensonge, et elles, qui ont déniché cette vidéo d’Obama, qui détiennent la vérité. C’est notamment ce que prétendent les suprémacistes blancs et hardcore supporters de Trump aux Etats-Unis, pour qui prendre la pilule rouge consiste justement à les rejoindre – ils nomment d’ailleurs cette transition “redpilling“. Quand deux personnes affirment être dans le vrai, et qu’elles peuvent toutes deux produire une version de la réalité, qui peut avoir raison ? Si la question se pose et qu’elle doit être résolue, c’est que la vérité est essentielle à la vie en société, le mensonge et la tromperie n’étant que troubles dans notre construction commune. Pour vous en convaincre, il suffit de vous confronter au paradoxe du menteurun homme déclare « Je mens ». Si c’est vrai, c’est faux. Si c’est faux, c’est vrai ») et de constater qu’il est impossible de s’en extirper, pour ainsi réaliser que la vie en société dépend de la vérité.

On touche ainsi les débats philosophiques sur les notions de réalité et de vérité. C’est tout le travail, d’abord du mouvement sceptique, puis de Descartes, que de déconstruire la réalité au fur et à mesure pour tenter de chercher une vérité primaire. Pour les sceptiques, elle n’existe pas. Pour Descartes, si l’on ne peut effectivement se fier à ses sens (Descartes prend l’exemple du rêve plus vrai que nature, mais les deepfakes marchent aussi) ni même à la vérité mathématique (un “malin génie” pourrait falsifier le fait que 2+2=4), le fait que l’on doute de tout, lui, est alors indéniable et traduit une pensée – d’où le fameux cogito ergo sum. Si l’on peut ainsi admettre notre existence comme une vérité, cela ne nous avance pas beaucoup plus sur la quête de sa définition. Traditionnellement, la vérité sera définie comme la conformité au réel, mais tout notre problème est bien que l’on ne parvient plus aujourd’hui à s’accorder sur le réel. Pour le philosophe Karl Popper, ce problème se règle avec le temps et  le principe de réfutabilité : il faut tenter en permanence de réfuter la vérité et de démontrer qu’elle est fausse (et d’échouer à ce faire) pour consacrer son caractère véridique. Si la méthode est logique, le temps est une commodité de luxe à l’ère du numérique, et l’on ne peut donc se satisfaire de cette solution.

La couleur de la pilule “régulation”

Le droit peut-il nous sauver ? À première vue, cela risque d’être compliqué : le droit fonctionne principalement sur la base de définitions, et nous n’avons pas réussi à trouver une définition convenable de la vérité. Pourtant, celle-ci inerve déjà largement notre droit. Au civil, la fraude corrompt tout et permet ainsi à la victime de se désobliger d’obligations subies du fait d’une fraude ; au pénal elle est sanctionnée par diverses infractions comme l’escroquerie, le faux en écriture, le faux serment, l’usurpation, ou encore les chèques sans provision… Plus subtilement, la vérité fait aussi l’objet d’un contrôle sur la place publique par le  biais de limitations à la liberté d’expression : c’est ainsi que l’on lutte contre la diffamation et que les lois mémorielles ont pénalisé les atteintes à des vérités communes trop essentielles pour qu’on permette qu’elles soient bafouées. Très récemment, c’est la loi fake news qui est venue défendre la vérité, du moins en période électorale, et sans toutefois se risquer à la définir.

Au vu de l’arsenal juridique précité, il est évident que le droit a un rôle à jouer dans la lutte contre toutes les fake news et contre les deepfakes, sans pour autant permettre des systèmes de censure étatique de masse ou d’imposition d’une vérité de gouvernement. Pour autant, la création de lois et de textes de droit dur n’est pas forcément la seule solution : une étude par Witness, une ONG mettant la vidéo au coeur de la lutte pour les droits humains, montre ainsi que le plus essentiel est la coopération et le partage technologique entre plateformes et l’intégration d’outils anti-fake news dès la conception, soit des mesures auxquelles une régulation souple peut répondre, potentiellement sous le contrôle d’un tiers comme une AAI. Le retrait pur et dur d’une information sur le fondement d’une illicéité ne peut en tout cas être notre seule réponse à la problématique à laquelle nous faisons face, notamment parce que les contenus seront de plus en plus partagés par le biais de conversations privées sur messageries chiffrées et parce que parfois, retirer un contenu ou le démystifier revient à multiplier sa portée et son audience. Si la recherche de la vérité est nécessaire à notre cohésion sociale, notre régulation doit être à la hauteur des enjeux : inventive, flexible et longuement mûrie, pour ne pas que notre pilule rouge se révèle violette, ou pire, bleue.

Le Gif de la semaine


A la semaine prochaine, tous beaux tous propres !