La Maj d'

La newsletter d'actu techno-juridique : tous les mardis matin à 9h, faites la mise à jour !

En cliquant sur “S’abonner”, vous consentez à recevoir la newsletter d’Aeon (la “Maj”) chaque mardi matin à l’adresse email que vous avez indiquée. Les données saisies dans les champs ci-dessus nous sont nécessaires pour vous adresser la Maj par l’intermédiaire de notre prestataire MailChimp, et ne sont utilisées qu’à cette fin.

Vous consentez également à ce que MailChimp collecte, par l’intermédiaire d’un traceur placé dans l’email contenant la newsletter, des informations relatives à l’ouverture de cet email et à votre lecture de la Maj. Ces informations ne sont utilisées par Aeon qu’aux fins d’améliorer la Maj et son contenu, et ne sont partagées avec aucun tiers hormis le prestataire MailChimp.

Si vous souhaitez lire la Maj sans que ces informations soient collectées, notez que vous pouvez la retrouver à tout moment à cette adresse aeonlaw.eu/maj. Vous pouvez également vous abonner au flux RSS de cette page pour être averti de chaque nouvelle Maj dès sa parution, en cliquant ici !

Pour plus d’informations, consultez la Politique de Confidentialité d’Aeon en cliquant ici.


Celle qui voit le roi nu – Maj du 18/02/20

L'actu en bref

Cette semaine aura été bien mouvementée. La principale news concerne bien évidemment le retrait de Benjamin Griveaux de l’élection municipale parisienne – sur ce sujet, voir notre édito et la sélection d’articles ci-dessous. On notera simplement à ce stade qu’il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour que des voix s’élèvent pour appeler à “la fin de l’anonymat sur Internet”, bien que personne ne soit anonyme dans cette histoire – l’occasion de relire notre édito sur les libertés individuelles et l’intérêt général. Dans un registre différent, mais aussi essentielle, on note la révélation par le Washington Post que la CIA a financé une entreprise qui s’est retrouvée être prestataire de services de chiffrement pour des dizaines de gouvernements partout sur Terre, chiffrement bien évidemment truqué pour que la CIA puisse se servir. Pour conclure les news majeures, on note deux frondes parallèles et d’ampleur : d’abord celles des professionnels de justice, avocats comme magistrats, contre le Ministère de la justice, accusé de ne pas mettre les moyens de ses ambitions ; ensuite, celle des professionnels du marketing et de la pub contre la CNIL à propos des cookies – une startup va même jusqu’à accuser la Commission de “startupicide” (le mot est de nous, mais la startup parle bien de meurtre) – la réponse de la CNIL. Sinon, la CEDH a condamné la France pour défaut de motivation par la Cour de cassation d’un refus de transmission de question préjudicielle à la CJUE ; notons la mise en demeure d’Engie et EDF par la CNIL à propos des compteurs Linky (recueil du consentement insuffisant) ; on vous signale le projet de loi “portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière” qui, comme son nom l’indique, transpose de nombreuses dispositions européennes ; on va suivre la QPC transmise au Conseil constitutionnel relative aux pouvoirs d’enquête des agents de la Hadopi ; la CNIL hambourgeoise remet en cause le guichet unique prévu par le RGPD, cause selon elle d’une protection des données à deux vitesses (la revue du RGPD par la Commission est prévue pour le 22 avril) ; Facebook a été condamnée à une amende de 51 000 euros par la CNIL allemande pour ne pas avoir notifié l’autorité de la nomination de son DPO ; le gouvernement sort une liste de documents de synthèse pour accompagner les changements de la procédure civile… survenus il y a un mois et demi ; des universitaires dénoncent des restrictions sans précédent d’accès aux archives nationales ; et un magistrat honoraire rappelle pourquoi on ne dit pas assassin présumé” mais “principal suspect. Côté tech, on félicite WhatsApp pour ses 2 milliards d’utilisateurs ; la publicité sur télévision va bientôt être ciblée ; Facebook Dating ne sortira pas tout de suite en Europe ; un vidéoprojecteur peut tromper une voiture autonome ; Facebook veut un statut tiers entre télécom et éditeur de presse ; Google serait en négociation pour payer des droits aux éditeurs de presse pour des news “premium ; et Uber perd son procès contre la loi californienne limitant la qualification d’indépendants à ses chauffeurs. On se quitte sur une rétrospective des vidéos qui ont marqué les 15 ans de YouTube et surtout, sur un appel à signatures pour cette lettre ouverte rédigée par des avocats français pour dénoncer la situation actuelle de Julian Assange, qui subit de graves violations des droits de la défense. Quoi que l’on puisse penser de l’individu et de ses choix les plus récents, il est indéniable que ses droits les plus fondamentaux sont bafoués et ce en guise de représailles de ses actions en faveur de la transparence. Aeon sera cosignataire de cette lettre, n’hésitez pas à nous rejoindre !

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

C’est une affaire qu’on ne présente déjà plus, tant elle a défrayé la chronique : un homme politique, candidat à la mairie d’une des plus grandes villes occidentales, envoie des images intimes à une femme, lesquelles images sont détournées et publiées (par un artiste russe – qui revendique de fait cette première publication), avant que d’être rediffusées, analysées, commentées par tout un chacun sur les réseaux sociaux. Le candidat porte plainte, mais se retire néanmoins.

Il y a bien dans cette affaire quelque chose comme un condensé de l’époque – politique, géopolitique, nouvelles technologies, revenge porn et mouvement de foule. Ce qui interpelle le plus, c’est cependant la justification avancée par l’auteur (supposé) des faits originels, et soutenue par son avocat habituel, à savoir qu’un candidat qui fondait sa communication sur une image familiale traditionnelle ne méritait rien d’autre que cet affichage public.

D’une transparence l’autre

Où il est question, en somme, de transparence. Encore un signe des temps : le concept est en effet le même, érigé en principe, depuis l’article 12 du Règlement Général sur la Protection des Données jusqu’à la déclaration d’intérêts des responsables politiques ; transparence des algorithmes, transparence de la vie publique : la transparence est un élément caractéristique des réglementations contemporaines, pour ne parler même que du droit. Ce qui dit déjà quelque chose en soi : si le droit, comme nous le pensons, cristallise et pousse au pinacle certaines exigences morales et sociétales, en les assortissant du concours de la force publique, c’est alors que la transparence a gagné, à force de revendications en ce sens, le statut de valeur cardinale de la vie sociale, justifiant qu’il en soit donné une expression dans l’ordre juridique.

Seulement voilà : qu’appelle-t-on transparence ? En deux mots, il ressort des exemples (juridiques) que nous connaissons cette idée générale qu’il revient à certaines entités, personnes et autorités, parce qu’elles disposent d’un fort pouvoir, ou du moins d’un fort potentiel d’impact sur les conditions de vie (voire la vie elle-même) d’un nombre important de sujets de droit, de communiquer un niveau d’information suffisant pour permettre à qui de droit de procéder aux vérifications utiles à prévenir tous abus et préjudices.

De cette expression résumée, il est possible de tirer toutes les variations du monde – par exemple, rien ne semble imposer, au fond, que la transparence s’exprime par une publication à l’égard de tous ; on peut être transparent à l’égard d’un collège d’experts, spécifiquement réuni et compétent pour procéder à certaines vérifications. Le nœud tient selon nous, précisément, dans la notion de vérification : la transparence est imposée pour permettre la vérification du respect de certaines obligations ou attentes placées dans le chef de la personne, de l’entité ou de l’autorité concernée.

La transparence est donc un principe finalisé : les informations communiquées visent toujours à contrôler le respect d’autre chose que la transparence elle-même – qui la conformité du traitement de ses données à caractère personnel (RGPD), qui le bon usage de l’autorité et des fonds publics placés entre les mains d’un responsable politique (vie publique), qui encore la manière dont une décision l’affectant de manière significative a été prise, pour mieux la contester peut-être (algorithmes). Ce dernier exemple en est sans doute le meilleur reflet : par nature, l’obligation de transparence est un mécanisme correcteur d’une situation d’asymétrie de pouvoir – entre responsable du traitement et personne concernée, entre autorité publique et administré, entre responsable politique et citoyen.

A ce compte, il paraît difficile d’appeler du même nom ces principes, inscrits dans la loi ou le règlement, et les raisons qui pousseraient un artiste à divulguer des vidéos intimes d’un politicien se réclamant d’une image traditionnelle. On voit mal, en effet, quelles obligations et vérifications sont en cause ici, si ce n’est d’un genre qui viserait le cœur de la vie privée d’un individu – sa sexualité.

Panoptique et nouveaux puritanismes

Appliquer les principes de la vie publique à la vie privée : voilà qui n’a rien d’anodin, et mérite réflexion. Dans cette réflexion nous précèdent heureusement quelques esprits et non des moindres, Jeremy Bentham et Michel Foucault.

Dans son ouvrage de 1780 Le Panoptique, le premier décrit un modèle d’architecture carcéral fondé sur la possibilité, pour le gardien, d’observer à tout moment et sans limite les comportements et activités des détenus ; il en déduit, non sans un grand enthousiasme, de grandes conséquences pour l’amélioration des mœurs, et partant de la société dans son ensemble. Bien des années plus tard, Foucault y verra le modèle intellectuel de ce qu’il dénomme la « société du contrôle », et dont le champ d’application s’étend bien au-delà de la prison proprement dite.

Ces antécédents philosophiques sont régulièrement invoqués à l’heure du web et des réseaux sociaux, et pour cause : la critique de Foucault met en lumière ce que serait une société où l’injonction à la transparence s’appliquerait à tout et à tous, sans discrimination – une société débarrassée de toute friction sociale, mais où le contrôle, d’essence carcérale, s’exercerait de manière distribuée de chacun envers tous, et à l’égard des moindres aspects de l’existence. Une telle société ressemblerait au fond à un couple dont le pacte de confiance tiendrait à ce que chacun des deux dispose d’un accès permanent à l’ensemble des numéros de téléphone, boîtes de messagerie et correspondances privées de l’autre : cela peut certes fonctionner, mais au prix d’une perte de liberté et d’autonomie difficilement soutenable.

Tel semble être le but poursuivi (consciemment ou non) par ceux qui publient ou du moins cautionnent la publication des vidéos précitées : l’invocation du principe de transparence à cet effet ne témoigne pas seulement d’une dangereuse confusion de la vie publique et de la sphère privée – qui culminerait, du reste, dans l’abolition complète de la seconde, dès lors qu’on y soustrait même les questions liées à la vie sexuelle – ; elle procède selon nous d’un glissement théorique majeur, au terme duquel la transparence deviendrait, de principe finalisé, une fin en soi – au service de tout, c’est-à-dire de rien.

Le risque, à ce compte, et les exemples en sont déjà légions, est celui d’une radicalisation des exigences morales : la moindre « déviance » réelle ou supposée peut être scrutée et rapportée devant la foule comme devant son juge naturel, au nom du principe hégémonique de transparence ; il n’est plus de péché véniel. En cela, les mouvements mêmes qui prétendent lutter pour la sauvegarde et la moralisation de la démocratie, lorsqu’ils usent ou cautionnent de telles méthodes, révèlent un puritanisme d’autant plus inquiétant qu’on est soi-même parfois tenté d’y souscrire, de prime abord, pour peu qu’il s’exerce à l’égard de nos ennemis ou opposants. Appliquez cependant cette recette aux pratiques sexuelles d’un homme (semble-t-il consenties), et le souvenir n’est plus très loin de ces outing forcés, où la révélation de l’orientation sexuelle d’un individu est instrumentalisée à des fins d’éviction politique.

Aussi le problème n’est-il peut-être pas tant, comme d’aucuns ont pu le soutenir, le supposé anonymat permis par les réseaux sociaux, que paradoxalement la transparence elle-même – ou plus exactement l’application sans limite et sans but d’un principe de transparence dévoyé, qu’on appellerait plus volontiers du nom de surveillance. Dans une société gouvernée par un tel principe de surveillance, l’anonymat est précisément toujours suspect, pourchassé et condamné, et pour cause – c’est un acte de résistance. Gare à ne pas tout inverser.

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, avec le ventre bien plein !