La couleur des gilets à la mode en ce moment est un rappel, s’il en fallait, de la sensibilité extrême des enjeux relatifs à l’emploi. Si le numérique n’est pas directement en cause dans les manifestations des dernières semaines (en tout cas pas comme dans le cas des luddites dont nous vous parlions il y a quelques temps), son spectre reste omniprésent dans toutes les discussions autour du monde du travail, notamment celui des avocats.
La révolution tertiaire
La grande nouveauté de la révolution de l’intelligence artificielle est en effet que, pour la première fois dans l’histoire de la technologie, les professions intellectuelles sont aussi menacées que les professions manuelles, voire plus. Si le terme d'”intelligence” artificielle est notoirement critiqué pour son inaptitude à décrire la réalité de la technologie (il ne s’agit pas de reproduire une intelligence mais de résoudre des problèmes mathématiques et informatiques sans tenter d’en prévoir toutes les issues en définissant des règles), il n’en reste pas moins qu’il permet de mettre le doigt sur la spécificités des récentes évolutions techniques : pour la première fois, leur but est de s’attaquer à l’ensemble de la société, y compris les métiers et les classes que l’on pensait immuables.
Le bouleversement du secteur tertiaire a ainsi largement commencé au sein de la fintech, où l’abondance de données et le caractère très mathématique du travail ont rendu les développements plus rapides. De l’automatisation croissante des échanges boursiers à la numérisation totale des banques en passant par la blockchain, nombreuses sont les évolutions profondes du monde financier. Les métiers du droit sont plus complexes à comprendre, puisque la donnée est littéraire (notre langage naturel) et beaucoup moins disponible (ce pourquoi l’open data des décisions de justice est si important), la numérisation est également en marche avec le développement des fameuses legaltechs que nous avions déjà évoqué. La question est donc de prédire leur impact sur la profession.
La mutation du marché plutôt que du métier
Peu de gens croient vraiment à la disparition de l’avocat et du juge. Ce serait nier toute la complexité très humaine du fonctionnement de la justice, qui dépend d’un grand nombre de facteurs autres que la pure application syllogistique d’une règle de droit. Le développement de la legaltech, en France comme ailleurs, semble avoir pris bonne note de cette évidence, puisque la majorité des services sont proposés en B2B à destination des avocats et professionnels du droit. De la même manière, il est erroné de penser que les statistiques sur le contentieux (les legal analytics) ont pour but de capitaliser sur les faiblesses du système judiciaire : elles visent au contraire à le renforcer.
À l’inverse, il serait malvenu de penser que le marché ne connaitra pas (si ce n’est déjà le cas) de profondes mutations. On oublie ainsi trop souvent que le bouleversement ne doit pas nécessairement toucher que les missions et les attributions d’une fonction ou d’un métier : il n’y a pas besoin de “remplacer” l’avocat pour changer profondément le métier. Il suffit de rebattre suffisamment les cartes pour que les modes d’exercice traditionnels ne soient plus opportuns, et que le marché change. C’est ainsi les modalités d’exercice qui seront le plus probablement les plus impactées : faut-il encore facturer à l’heure ? La verticalité associés>collaborateurs>stagiaires doit-elle être maintenue ? Les prestations peuvent-elles être “packagées” et vendues telles des biens ? Autant demander, comme le fait le Guardian, si nous sommes en train d’assister à la mort du cabinet d’avocats ? Le cabinet est mort, vive l’avocat !
Ce qu'on lit cette semaine
#legaltech
#avocats
#modernlove
A l’heure où la question de la création d’un statut pour l’avocat en entreprise refait surface de par chez nous, non sans susciter des réactions viscérales et un sérieux débat, Thomson Reuters fait le point, dans cet article sponsorisé du Guardian, sur les grands défis contemporains auxquels sont inévitablement confrontés les avocats, dont en particulier les structures historiquement les mieux établies. Pression budgétaire, segmentation et complexification de la règle de droit, enfin développement de bases de données et d’outils technologiques trop longtemps boudés par les avocats – tout cela a concouru et abouti à une ré-internalisation croissante de la compétence juridique au sein des entreprises, qui questionne aujourd’hui la place et le rôle de l’avocat libéral vis-à-vis des exigences légitimes de ses clients. Impossible, et en aucun cas souhaitable de se retrancher derrière les vieilles solutions ou l’arrogance du titre : ici comme ailleurs, la tech s’impose comme une réalité à embrasser, et redistribue les cartes sans ménagement. Ce constat n’a rien de propre au Royaume-Uni, pris pour objet de cet article, et ce malgré les différences bien connues entre les statuts de l’avocat à la britannique et à la française – il faut donc penser large non seulement en termes temporels mais aussi en termes géographiques, pour que l’avocat de demain cesse de n’être qu’une formule marketing.
#giletsjaunes
#fakenews
#ingérencerusse
#s’ilvousplaîtnon
Il semblerait que beaucoup de monde veuille mettre son nez dans les affaires intérieures françaises. Alors que le quai d’Orsay demandait il y a quelques jours à Donald Trump de cesser ses commentaires sur le mouvement des gilets jaunes (https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/09/gilets-jaunes-paris-demande-a-trump-de-ne-pas-se-meler-de-politique-interieure-francaise_5394849_823448.html), c’est maintenant, de manière plus inquiétante, peut-être aux russes qu’il faudra demander des comptes. En effet, le Secrétariat général de la défense nationale, service dans la dépendance du premier ministre, a ouvert une enquête pour vérifier si la Russie n’avait pas mis de l’huile sur le feu des réseaux sociaux afin d’influer sur l’escalade du débat public vers la violence. Le ralliement et la mobilisation des gilets jaunes s’étant beaucoup reposée sur la diffusion d’information sur Facebook l’on n’a malheureusement pas de trop de mal à entrevoir l’aubaine que la situation pouvait éventuellement constituer pour le GRU. Il ne s’agit, à ce stade, que d’une vérification de soupçon. Ne pleurons donc pas avant d’avoir mal mais gardons toutefois l’œil rivé.
#numérique
#arcep
#consommation
#arcepasorcier
L’ARCEP, l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes, a publié la 11ème édition de son Baromètre du numérique dans lequel elle retranscrit chaque année les évolutions du rapport des français à l’outil numérique. On y trouvera la confirmation de certaines intuitions immédiates et évidentes comme la poursuite du déclin de la télévision dans la consommation de contenu audiovisuel au profit d’internet ou encore que la quasi-totalité de la population de notre cher hexagone est désormais équipée, si ce n’est d’un smartphone, au moins d’un téléphone portable. Mais on se laissera également agréablement surprendre par certaines tendances, comme ce passage de 38% à 60% en trois ans de la part des 70 et ans et plus, particulièrement touchés par la fracture du numérique, à utiliser internet ou bien, effet RGPD oblige, cette sensibilisation accrue des internautes sur le traitement de leurs données. De quoi nourrir ses instants « le saviez-vous » de quelques données supplémentaires.
Pour le rapport complet, c’est ici.
#privacy
#surveillance
#nottheherowedeservedbuttheoneweneeded
Combien nous coûte la protection de notre vie privée ? A bien y penser, au quotidien, pas grand-chose ; les voix dissidentes qui condamnent le paradigme du consentement suivi par l’actuelle réglementation des traitements de données à caractère personnel sont là pour nous le rappeler : nous ne sommes même pas nous-mêmes les meilleurs défenseurs de notre propre droit à la vie privée. Tout comme nous devons notre chance de vivre dans un Etat de droit démocratique, à l’abri (tout relatif) des conflits armés, à des ancêtres sacrifiés, nous devons pour une large part notre chance (toute relative) d’échapper à une surveillance totale et omniprésente à quelques héros (au sens éthique et littéral), au rang desquels Edward Snowden n’est pas en reste. Et ce serait encore trop vite oublier celles et ceux qui l’ont aidé, hébergé, caché, et ont ainsi permis que ses révélations ne disparaissent pas avec lui dans les mains de ceux qui voudraient le faire taire – ce que cet article se charge de corriger. Voilà donc qui devrait nous faire réfléchir : ce que nous louons chez Snowden ou encore Max Schrems, et chez tous ceux qui portent avec eux ce combat qui nous profite, sans même parler d’en être capable nous-mêmes (tout le monde n’a pas évidemment à risquer ou consacrer sa vie à cette cause), en sommes-nous à la hauteur ? Pour que la question ne paraisse pas condescendante, on précisera que l’auteur de ces quelques lignes se l’adresse également à lui-même. Car au fond, le plus grand obstacle et le pire ennemi de la vie privée, et plus généralement des libertés fondamentales, ce ne sont peut-être pas tant les GAFAM ou les gouvernements, que la dissonance cognitive des personnes concernées elles-mêmes.
#google
#histoiredelatech
#uncerveaupourdeux
Si vous n’aviez jamais entendu l’expression « work husband », vous en trouverez une illustration parfaite. Cet article relate l’histoire d’un couple de programmeur de la première heure chez Google, Jeff Dean et Sanjay Ghemawat, qui est à l’origine des plus grandes avancées technologiques de la firme américaine et dont le travail l’a par plusieurs fois sauvé des impasses techniques dans lesquelles elle se trouvait. Seuls programmeurs à avoir atteint le niveau 11 sur l’échelle de compétence des ingénieurs (oui, c’est un vrai concept), leur œuvre commune excède même les limites de Google puisque des articles qu’ils ont écrit sur leurs réalisations chez le GAFAM ont par la suite servi de fondation à la construction de l’architecture de Facebook, LinkedIn ou encore Netflix. Travaillant sur un seul poste, l’un codant, l’autre commentant, c’est un vrai argument pour l’intelligence duale et de quoi se donner envie de trouver son autre moitié de cerveau.
#IP
#contrefaçon
#géopolitique
#chine
#USA
#quandlachineséveillera(bis)
Quoi que vous sachiez faire, la Chine le fait mieux, plus fort et plus vite – on le sait de longue date en matière de tech ; on ne s’attendait pas en revanche à devoir le dire en matière de législation pro-IP. Et pourtant : soucieuse enfin de répondre aux accusations répétées d’espionnage industriel venues des Etats-Unis, en grande partie à l’origine des sanctions financières imposées par la présidence Trump, voici que le gouvernement chinois vient d’annoncer une série de mesures censées prévenir et sanctionner les faits de contrefaçon de la part des entreprises nationales. Un virage à 180°, quand on sait que l’espionnage précité a été régulièrement présenté comme organisé ou à tout le moins encouragé par les pouvoirs publics du pays ; et le moins qu’on puisse dire, c’est que les mesures, si elles sont effectivement mises en oeuvre, sont musclées : interdiction de procéder à des émissions de titres financiers, exclusion des programmes d’aides publiques, affichage public des entreprises indélicates sur un site gouvernemental… Notre CPI national ferait presque pale figure en comparaison. Reste à voir, évidemment, ce que deviendront en pratique ces promesses, dont on peut légitimement se demander si elles ne relèvent pas du pur effet d’annonce, dicté par ce contexte géopolitico-commercial tendu à l’extrême avec les Etats-Unis.