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Celle qui n’est pas commune – Maj du 02/07/19

L'actu en bref

Cette semaine aura encore été bien remplie, et ce sur de multiples fronts. Celui des amendes pour atteinte aux données personnelles d’abord, avec une sanction pour marketing abusif au Royaume-Uni et une autre pour Cambridge Analytica en Italie (faits pré-RGPD). Le front des projets de réformes n’était pas non plus en reste : pendant que Contexte publiait une note interne de la Commission détaillant les plans pour une réforme de la directive eCommerce, Raphaël Gauvain rendait son rapport pour “Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale“, avec comme première proposition la protection de la confidentialité des avis juridiques en entreprise. Enfin, une semaine de jurisprudence avec l’énième clôture de l’affaire Vincent Lambert par la Cour de cassation, qui donne une vraie leçon à la Cour d’appel de Paris, l’illicéité du site Doctipharma et la fin du feuilleton “Grâce à Dieu” (le film est autorisé). Notons aussi l’accord de la commission mixte paritaire sur la taxe GAFAM, la publication au JO de la nouvelle directive PSI, désormais nommée “directive sur les données ouvertes“, UFC Que Choisir intente une action de groupe RGPD contre Google, la CNIL confirme le calendrier de mise en conformité sur le recueil du consentement aux cookies (jusqu’en juillet 2020), calendrier dénoncé comme illégal par la Quadrature qui menace d’actions en justice, Ornikar lève 35 millions d’euros, le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O a annoncé être en faveur d’un conseil de l’ordre des journalistes avant de rétropédaler, et la Cour d’appel de Paris a publié ses propositions sur la réforme de la responsabilité civile (on n’a pas encore lu entièrement, mais elle se prononce en défaveur d’un nouveau régime pour l’IA). Côté tech, Apple rétorque à Spotify sur le dossier concurrence, la NASA lance une mission pour Titan, une lune de Saturne, Facebook donne des détails sur son projet de Cour suprême, les choses vont mieux entre Trump et Huawei, et le designer phare d’Apple Jony Ive quitte la firme après 30 ans de service et une empreinte indélébile. On se quitte sur les termes “accrolivre” et “péage de lecture numérique”, le rapport 2019 sur Internet en France de l’Arcep et le ou la 30 000eme avocat(e) du barreau de Paris.

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

La Cour Suprême des États-Unis a ce luxe de pouvoir choisir les quelques 100 affaires (sur plus de 7 000 qui lui sont soumises) sur lesquelles elle se prononce pendant l’année, et c’est pourquoi le fait d’accepter de se saisir d’un sujet est déjà, en soi, un événement qui se commente, a fortiori lorsque la Cour décide de se saisir d’un sujet qu’elle n’a pas traité depuis 1888 : la propriété intellectuelle du droit.

Le caractère commun du droit commun

Il peut y avoir un caractère antithétique à parler de propriété, qu’elle soit intellectuelle ou non, sur le droit, et ce à plusieurs titres. Le premier est bien évidemment que le droit, en tant que ciment du pacte social, devrait être un commun, un bien qui ne peut s’attribuer au détriment d’autrui, et qui est donc la propriété de tous et de personne. Si l’on concède son droit à se faire justice au profit de la communauté, il va de soi que les règles communes ne peuvent être privatisées (en considérant ici la nationalisation comme une forme de privatisation, dans le sens où l’on exerce un droit de propriété, bien qu’étatique, sur une chose commune), ou c’en est fini du pacte sociale démocratique. La théorie des biens communs est surtout connue pour sa critique par les économistes du 18eme siècle, plus convaincus par la consécration du droit de propriété, qui brandissaient le spectre de la surexploitation de la ressource : selon eux, puisque la ressource (à l’époque, des terres) est limitée, y permettre un accès illimité créé une situation de compétition où l’intérêt individuel primera sur le bien commun et conduira inévitablement à la disparition de la ressource.

Cela ne peut bien heureusement pas arriver avec les biens communs informationnels, ainsi nommés parce qu’ils relèvent de la connaissance commune, puisqu’il s’agit de communs intangibles, et donc illimités. Avec l’arrivée d’Internet, les communs informationnels deviennent de plus en plus communs, notamment parce que leur gestion est possible grâce aux outils numériques – Wikipédia en est l’exemple le plus connu. Le droit ne fait pourtant pas encore vraiment partie de cette famille, et ce en dépit d’autres fondements qui légitimeraient un accès généralisé et sans limites : le fait que la loi et la jurisprudence sont écrites et rendues, du moins en France, au nom du peuple, ce qui confirme son caractère partagé ; le fait que nul n’est censé ignorer la loi, adage garant de l’effectivité du droit – on ne peut répondre “je ne savais pas” à la méconnaissance d’une règle de droit – qui ne peut néanmoins légitimement être opposé que si nul ne peut se prévaloir d’un défaut d’accès à la loi ; ou encore le fait que, en lien avec ces différents caractères du droit, la justice soit publique et le procès équitable : ces principes fondamentaux, protégés notamment par la CEDH et la Constitution, entrainent nécessairement un libre accès au droit.

Un commun assez propriétaire

Et, heureusement, le droit est bien ouvert à plusieurs égards : on peut ainsi se féliciter que tous les textes français, les débats parlementaires, le journal officiel et une petite partie de la jurisprudence sont en libre accès sur Internet. Comme bien souvent, les problèmes commencent lorsque l’on s’intéresse de plus près à la définition de l’objet étudié : qu’est-ce que le droit ? Ou plutôt, peut-on considérer que l’accès au droit est ouvert si seuls les textes sont entièrement accessibles ? Et, le cas échéant, pourquoi les juristes achètent-ils donc des codes annotés à prix d’or ? Pourquoi, si la justice est publique, l’ensemble des décisions ne sont-elles pas diffusées ? Il apparait clairement que les éléments déjà disponibles constituent ainsi une première couche du droit, ses fondamentaux, mais que le droit est un ensemble plus large : il comprend notamment toutes les décisions ou encore les annotations des codes, éléments nécessaires de la pratique professionnelle et donc de l’ordonnancement juridique. Et c’est là que les ennuis commencent.

La diffusion du droit est en effet, depuis toujours, réalisée en (grande) partie par des acteurs privés : les premiers recueils de jurisprudence ont ainsi été édités par des avocats aux conseils (MM. Dalloz, Sirey et Lebon) qui ont créé les fameuses collections portant leur nom, et ce sont aujourd’hui les éditeurs juridiques, en France comme aux États-Unis, qui diffusent les textes annotés. C’est parce qu’une association américaine a commencé à diffuser librement cette matière première que la Cour Suprême est aujourd’hui saisie de la question du copyright éventuel sur les textes annotés – en France la question se poserait également sous l’angle du droit sui generis sur les bases de données. Mais les acteurs publics ne sont pas en reste : alors que leurs avis sont essentiels à la compréhension des décisions en droit administratif, les agents publics que sont les rapporteurs publics bénéficient du droit d’auteur sur leurs conclusions, et peuvent refuser leur diffusion. On ne peut donc que constater que, malgré les grands principes qui irriguent la matière, le droit est largement privatisé, et le libre accès au droit n’est qu’un accès à ses bases fondamentales. C’est précisément ce que souhaite chambouler le mouvement de l’open data des décisions de justice et de l’open science : peut-être qu’un jour cet édito sera devenu obsolète – c’est en tout cas ce que l’on espère.

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, en attendant la chute !