L’intelligence artificielle est l’un des mots à la mode du moment : on en parle toutes les semaines ici-même, et ce parce qu’il y a chaque fois de nouvelles nouvelles sur les avancées extraordinaires que nous accomplissons dans ce domaine. Mais l’IA est-elle vraiment la révolution annoncée ?
La culture de la révolution
Force est en effet de constater qu’au-delà des discours optimistes de la Silicon Valley et du corps politique, les véritables avancées de l’intelligence artificielle sont difficiles à percevoir au jour le jour. Il ne s’agit nullement de nier les bénéfices que nous tirons de l’IA, mais la voiture vraiment autonome est toujours bien loin, et l’amélioration des traductions de Google Translate n’est perceptible que par les stagiaires de cabinets d’avocats internationaux. Les apports de l’intelligence artificielle sont pourtant là, subtiles, mais aucun ne constitue véritablement un changement de paradigme : in fine, déverrouiller son iPhone X en le regardant grâce à une puce dédiée à la reconnaissance faciale, est-ce un bouleversement ?
Ce décalage entre les avancées technologiques réelles et les discours qui les accompagnent est devenu symptomatique de la culture de l’innovation. Et quand on regarde en arrière, on ne peut que constater la rapidité avec laquelle nous sommes entrés dans le numérique : le 33 tours, la cassette, la disquette, les téléphones portables qui ne faisaient que téléphoner, c’est tout récent. Mais aujourd’hui, rares sont les changements aussi importants que l’arrivée du smartphone, alors que l’information est de plus en plus amplifiée.
La difficile balance entre excitation et réalisme
Cette question a trait non seulement aux fake news, sujet également d’actualité, mais aussi à la mesure que l’on fait d’une innovation donnée. Quand les géants du net nous promettent monts et merveilles grâce à l’IA, des chercheurs reconnus parlent d’hiver de l’IA qui approche, pointant du doigt le plafond que les méthodes actuelles devraient bientôt atteindre et l’absence de solutions pour le dépasser. Cette logique se retrouve dans la plupart des grandes innovations du moment, telles que la blockchain : quand certains ne jurent plus que par elle, d’autres n’y voient qu’une base de données un peu améliorée.
Comme dans beaucoup de discussions très clivantes, il est probable que personne n’ait totalement tort ou raison. Le débat est plus large et concerne le rapport que nous avons désormais à la technologie et l’innovation : il ne faudrait pas qu’elles deviennent une fin en soi, mais bien qu’elles servent un but de progrès. Or, passer de version de son iPhone sans qu’il n’y ait de changement hormis une montée en grade du processeur et de l’appareil photo, est-ce un progrès ou une innovation juste pour la montée en série ? Attendons la voiture autonome pour le dire.
L’actu en bref
Sinon, cette semaine, le CNNum a enfin fait son retour après son hiatus de plusieurs mois, le gouvernement a eu des problèmes avec l’application mobile Parcoursup et celle d’alerte attentat, Reddit a dépassé Facebook en termes de nombre de visites aux USA (14ème en France, juste devant impots.gouv.fr), la Commission européenne a rendu publics les résultats de 2018 de son indice sur le numérique et les USA ont à nouveau accusé la Corée du Nord d’attaques informatiques. Côté GAFAM, Microsoft a annoncé le rachat de Github pour 7,5 milliards de dollars, Google a fini par céder et ne renouvellera pas son contrat avec le Pentagone, et la startup d’eSanté Withings redevient française en étant revendue à son créateur originel. Côté données persos, Facebook a encore été vilain, l’EDPB (nouveau G29) a finalisé les guidelines sur les dérogations applicables aux transferts internationaux, la CNIL a mis à jour son outil PIA, l’ANSSI a publié un kit de la sécurité des données, et la personnalité qualifiée de la CNIL a publié son 3ème rapport d’activité sur les demandes de de blocages administratifs de sites (ça augmente). Enfin, l’application de méditation Calm vous propose de vous endormir avec le RGPD, comme ça, vous aurez vraiment passé votre journée à en entendre parler.
À ne pas rater cette semaine
A part ça, on vous conseille donc la lecture de l’article du chercheur Filip Piękniewski, qui annonce un “hiver de l’IA”. Cet hiver ne va pas toucher Waymo, qui va multiplier par 100 sa flotte de minivans autonomes, ou Amazon, dont un article révèle que le service client est bien plus “algorithmisé” que ce que l’on peut penser. Cette semaine, la Commission a également proposé un changement des règles de propriété intellectuelle applicables aux médicaments : règles très pointues, gros enjeux financiers. Enfin, on se quitte sur des divorces chinois officialisés via l’application WeChat, du vin de la plus haute qualité recréé en laboratoire, et surtout, un excellent article sur une question tout à propos : faut-il revendre nos données personnelles ?
Faites la Maj, et à la semaine prochaine !
Ce qu'on lit cette semaine
#IA
#techindustry
#anticipations
#disembarkingthehypetrain
Parce qu’il est toujours nécessaire d’écouter les sceptiques. Aujourd’hui, ce sont les arguments de Filip Piękniewski, docteur en informatique polonais, chercheur en IA et bloggeur à ses heures perdues, qui identifie les signes avant-coureurs de ce que le développement de l’IA n’apportera pas tout ce qui a pu être promis. Déjà, les grandes firmes de la Silicon Valley semblent légèrement s’en désengager dans le silence alors que les gouvernements, eux, veulent y rentrer, Tesla avait promis un trajet entièrement autonome entre les deux côtes des USA que l’on attend toujours, les récents accidents, parfois mortels, impliquant des voitures pilotées par l’IA ont montré les limites de leurs algorithmes embarqués et il semblerait que ce n’est pas parce que la puissance de calcul disponible augmente fortement chaque année que les performances suivent avec. Alors, l’IA, too much hype ?
#pharma
#PI
#brevet
#mylanfarmer
La Commission vient de proposer un règlement modificatif du règlement concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments. Vous avez dit tête d’épingle ? Peut-être mais pour les entreprises du secteur pharmaceutique, il s’agit tout de même de la possibilité de lever un frein à la concurrence des génériques à l’extérieur de l’UE. Sous l’empire du droit actuel, les certificats complémentaires de protection (extension de 5 ans maximum de la protection des brevets pharmaceutiques pour compenser le temps de son inexploitation au cours de l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché) empêchent les génériqueurs de fabriquer leurs produits en UE même pour leur exportation dans des pays tiers où le médicament breveté n’est pas ou plus protégé. Résultat, les génériqueurs étrangers peuvent inonder ces marchés et les entreprises européennes n’ont que leurs yeux pour pleurer. Il s’agit donc de rééquilibrer quelque peu la temporalité de la commercialisation des génériques européens, et d’éviter la délocalisation de la production, sans nuire aux intérêts des entreprises innovantes qui continueront de pouvoir interdire la fabrication de génériques s’ils sont destinés à être vendus dans les pays où ils sont protégés. Finement joué.
#donnéespersos
#patrimonialité
#tropcherpourtoi
Une analyse documentée qui a le mérite de redonner une base factuelle à l’éternel serpent de mer qu’a fini par devenir le débat sur la patrimonialisation des données à caractère personnel : contre la solution imaginée par le think tank Génération Libre, des experts rappellent que la monétisation de nos données se heurtent à des obstacles intellectuels et pratiques considérables – quelle est la vraie valeur d’une donnée, et à combien s’élève la participation de l’utilisateur qui la communique ? Une donnée brute et individuelle, non agrégée, non enrichie, a-t-elle seulement même une quelconque utilité ? Comment assurer un aussi grand nombre de transactions en temps réel, de façon sécurisée ? Un utilisateur qui disposerait d’un droit de propriété à céder aurait-il une quelconque chance de négocier avec les acheteurs (GAFAM ou data brokers, essentiellement) ? Au-delà des considérations philosophiques (essentielles dans ce débat), il n’est pas inutile de relever que le marché comme la technique sont loin d’être mûrs.
#algorithme
#B2C
#vousêtes(encoremoinsque)leproduit
Un témoignage révélateur des effets pervers du “tout-algorithme” dans le domaine du client management : ou quand Amazon, après avoir évincé toute concurrence, entreprend de mettre au pas ses propres utilisateurs, en les menaçant de clôturer leurs comptes dès lors que leurs comportements s’éloignent de la norme du “client moyen”… L’algorithme qui détecte un taux anormalement élevé de retours produits alerte ainsi le client concerné, tout en le “fichant” au sein des bases de données CRM – fichage qu’un employé humain se serait déclaré, selon l’auteur de l’article, dans l’impossibilité de supprimer lui-même. Au regard des nouvelles règles prévues par le GDPR en matière de prises de décision automatisées, il paraît évident que de telles pratiques sont difficilement soutenables ; elles interpellent en tous cas, une fois de plus, quant à ce que nous devrions vraiment attendre des algorithmes qui nous entourent, et sur le degré minimal d’implication humaine que nous devrions nous déclarer en droit d’attendre.
#bigdata
#parkerpeutallerserhabiller
Un pas de plus dans la démystification des richesses de la nature et des grands savoir-faire humains : grâce à des méthodes d’analyse poussées en laboratoire, ce qui fait le goût et la texture d’un vin peut désormais être résumé en une simple liste de formules chimiques, et partant être répliqué, de même, en laboratoire. Des vins de synthèse, donc, c’est ce que propose cette entreprise, spécialisée dans l’imitation à bas prix des bouteilles les plus appréciées du grand public américain ; de quoi donner du grain à moudre aux partisans d’une protection par le droit d’auteur étendue aux “oeuvres culinaires”, à l’évidence – en attendant, ladite entreprise de garde bien de chatouiller les seules défenses accessibles aux vignerons imités, à savoir la marque et l’AOP, en choisissant pour chaque copie un nom suffisamment distinct de l’original. Outre la prouesse technique, et outre le débat juridique, reste bien sûr la question essentielle : est-ce que c’est bon ?
#legaltech
#PPPpourlajustice
La Chine marque décidément des points d’avance dans l’implémentation sociétale à tout va des nouvelles technologies – au prix, sans doute, d’une absence de réflexion éthique qui la distingue radicalement de l’Europe actuelle. Après les usages chaque jour nouveaux de la reconnaissance faciale à grande échelle, voici qu’il est possible de lancer une procédure de divorce directement depuis l’application Wechat, en contactant le juge compétent et en pré-remplissant le dossier en demande. Une forme de reconnaissance et d’appropriation des technologies grand public, développées par des entreprises privées, par l’autorité publique, qui du reste ne manque pas de susciter quelques interrogations : sans même faire rentrer dans le débat une quelconque opinion sur la valeur du mariage en soi, il y a à craindre, en effet, que la technologie soit ici facteur de fluidification à l’extrême des rapports humains, lorsqu’il sera possible de menacer sa compagne/son compagnon de mettre fin à tout en un simple clic…
#voitureautonome
#techindustry
#carindustry
#duSUVenveux-tuenvoilà
Il y a quelques Majs de cela, nous relayions un article qui montrait comment les vieux industriels de Detroit tentaient de se renouveler malgré leur inertie pour suivre la marche de la voiture autonome. Aujourd’hui, il semblerait qu’ils aient trouvé une solution alternative comme le montre ce deal pharaonique entre Fiat Chrysler Automobiles et Waymo. 62.000 SUVs pour un montant estimé à plus d’un milliard de dollars. Cette opération s’inscrit dans la continuité du projet de Waymo de développer une flotte de véhicules-taxi à Phoenix en Arizona et de son acquisition de 20.000 Land Rovers en mars dernier. Pour l’instant donc, la conduite autonome semble se diriger, sur le court terme, principalement vers la fourniture de services BtoC mais il est possible que ce genre de partenariats entre constructeur automobile et géant de la tech soit le moyen par lequel les voitures autonomes pourront être réellement commercialisées auprès des consommateurs. Detroit les muscles, la Silicon Valley la tête ?