Ces récentes années ont définitivement marqué une rupture d’image et de confiance entre le grand public et les géants du net : si les services rendus par ces derniers sont plus qu’appréciés et appréciables, la lune de miel et l’amour inconditionnel sont désormais bien loin et l’époque est désormais à la responsabilisation de ces acteurs. La question reste de savoir si ce changement d’attitude a été perçu et compris par les grandes entreprises du net. La pertinence de cette question est d’autant plus renforcée quand on voit que Facebook se presse d’annoncer un nouveau service de rencontres en ligne alors que le scandale Cambridge Analytica n’est même pas encore terminé, ou que Google annonce fièrement avoir réussi à tromper des centaines d’opérateurs téléphoniques avec une nouvelle intelligence artificielle.
L’IA qui murmurait à l’oreille des humains
Baptisé Google Duplex, le nouveau service de Google est ainsi capable d’appeler un salon de coiffure pour prendre un rendez-vous ou un restaurant chinois pour réserver une table, et ce avec une voix et des intonations et des tics de langage ô combien réalistes. L’IA conversationnelle est capable de saisir les nuances de la conversation et de s’adapter en cours de route aux imprévus qui caractérisent les êtres de chair que nous sommes. Ces appels sont passés sur commande, à distance, pendant que vous pouvez vaquer à vos occupations.
La prouesse technologique est réelle et ne peut qu’être admirée : en mêlant apprentissage machine, reconnaissance de texte, reconnaissance vocale, compréhension du langage et algorithmes de retranscription de la voix vers le texte et du texte vers la voix, Google est parvenue à créer un outil impressionnant de justesse. Mais cela a été fait dans le plus grand secret, sans que la moindre réflexion éthique ait été intégrée. Preuve en est que l’algorithme ne se déclare jamais comme tel, au contraire ! La prouesse consiste bien à réussir à ne pas se faire reconnaitre, ou, dit autrement, à tromper l’interlocuteur.
Réfléchir avant d’agir : l’une des premières leçons de l’enfance
Bien entendu, les réactions ne se sont pas faites attendre : de nombreuses voix se sont élevées contre cet outil qui non seulement est susceptible de bouleverser le monde du travail, mais en plus s’attaque directement aux relations humaines en prétendant remplacer des interactions entre personnes par des interactions avec un robot. La réponse de Google a également été prompte, en promettant que Duplex serait “adéquatement identifié“, sans expliquer pour le moment les mesures concrètes qui seront prises.
Ce qui semble problématique en l’espèce n’est pas tant l’innovation en elle-même, mais plutôt le manque total de prévoyance de Google à son égard. Il est évident qu’un tel produit a fait l’objet d’une multitude de réunions pré-lancement, et pourtant, aucune information n’a été communiquée sur les garanties de transparence et d’ouverture qui peuvent être légitimement attendues à la sortie d’une telle nouveauté. Ainsi, une grande réussite technologique est éclipsée par l’absence éclatante de réflexion éthique, à une époque où celle-ci est devenue déterminante pour le grand public. Il semble ainsi exister un véritable décalage entre les géants du net et le grand public, et la question est désormais de savoir comment le régler : autorégulation, code de bonne conduite, réglementation segmentée, régulation générale, renforcement de la responsabilité, obligations déontologiques, démantèlement ? Autant d’options actuellement en débat, reste à savoir la ou lesquelles seront mises en œuvre – et à cette question, la réponse n’est pas sur Google.
L’actu en bref
Sinon cette semaine, on est plus qu’à 10 jours du GDPR, et du coup on vous propose un super moteur de recherche full-text de notre règlement préféré, une playlist de musique thème RGPD, le projet de loi données personnelles définitivement adopté par l’Assemblée nationale hier et une méthode géniale pour vous mettre en conformité en 10 minutes, tandis que la CNIL met en ligne un nouveau modèle de registre pour les PME. En d’autres news, il est vivement conseillé de changer son mot de passe Twitter, plus de détails sont connus sur l’accident mortel entre une voiture autonome Uber et une cycliste, Telegram n’a plus besoin d’une ICO publique, Facebook a réorganisé ses équipes et passe à la blockchain, le dernier télégramme de France ne l’était pas vraiment, et Wired vous propose de tout comprendre sur Crispr. En ce qui concerne la jurisprudence, les tribunaux allemands ont fait fort en sanctionnant le projet d’ebook Gutenberg et en ordonnant un retrait de contenu mondial à Facebook.
À ne pas rater cette semaine
Surtout, on vous propose donc de plonger dans les news des grandes conférences développeurs de ces dernières semaines avec un article sur Google Duplex et un autre sur les annonces de Facebook. L’IA est également à l’honneur avec une communication de la Commission Européenne et un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation sur l’introduction de Watson d’IBM dans une entreprise, qui ne constitue pas un changement important des conditions de travail. Également au programme, un excellent article du Monde sur la manière dont la vie d’un citoyen français a été bouleversée le jour où il a perdu son passeport, qui s’est retrouvé utilisé par un baron du darknet, une proposition de règlement sur les relations entre professionnels sur les plateformes en ligne, et un article sur les opérations de Goldman Sachs dans le Bitcoin. On conclut la semaine avec une belle réflexion sur le statut de la donnée aujourd’hui, et une shower thought tout aussi belle d’Adrien sur la relation entre un sous-traitant établi dans l’UE et ses propres prestataires établis ailleurs : contrat ou pas ?
Faites la Maj, et à la semaine prochaine !
Ce qu'on lit cette semaine
#IA
#google
#éthique
#allomamanrobot
Lors de sa conférence annuelle pour développeurs, Google a dévoilé ses avancées en intelligence artificielle, et le moins que l’on puisse dire, c’est que Google va vite, peut-être un peu trop. Le géant de la recherche souhaite en effet enrichir ses résultats en temps réel en allant puiser les informations directement à leur source, à savoir les êtres humains que nous sommes tous, et a donc, logique, développé une IA conversationnelle capable de réserver des tables à des restaurants, prendre rendez-vous chez le coiffeur ou demander les horaires spécifiques pour un jour férié. Le hic : cette IA a une voix parfaitement humaine, et ne dévoile pas sa nature. Ou comment transformer une démo d’une technologie incroyable en scénario apocalyptique de science-fiction où des robots se cachent parmi les hommes.
#facebook
#prochainementsurvosécrans
In case you missed it : Wired a résumé pour vous les grandes annonces de la dernière keynote de Facebook. Au milieu de la tempête déchaînée par la récente affaire Cambridge Analytica, et alors que les grandes entreprises concernées dans l’UE comme aux Etats-Unis ont entrepris, à l’approche du 25 mai, de vastes campagnes de communication sur le respect de la vie privée et la protection des données personnelles, cette conférence de presse fut surtout l’occasion pour Facebook d’évoquer de nouvelles fonctionnalités. Le réseau social de demain sera en particulier, semble-t-il, résolument axé réalité virtuelle, avec des salons de discussion accessibles par Oculus Rift ; on y rencontrera aussi peut-être son âme soeur grâce à Facebook Dating, nouveau venu dans la cour des appli de rencontre. Les annonceurs ne sont pas en reste, qui pourront profiter davantage encore de Messenger pour gagner du reach vers leurs clients et prospects directement par conversation instantanée. Pas de quoi déconnecter de si tôt, en somme, si ce n’est pour un acte de conviction.
#IA
#travail
#jusquicitoutvabien
Une jurisprudence peu ordinaire sur l’irruption de l’intelligence artificielle dans le monde du travail (dans le secteur bancaire, en l’occurrence, sans grande surprise), que nous rapporte Legalis : la Chambre sociale de la Cour de cassation, statuant sur un pourvoi contre un jugement du TGI de Lyon, considère que l’introduction d’un logiciel d’intelligence artificielle dérivé de l’algorithme Watson d’IBM, pour faciliter le traitement des emails des clients d’une agence bancaire, n’est pas de nature à constituer un “projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail“. Dans ces conditions, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) n’est ainsi pas fondé à réclamer l’intervention d’un expert agréé pour évaluer le projet, comme il le prétendait au titre de l’article L. 4614-12 2° du Code du travail. Indépendamment de la conclusion de son raisonnement, on ne peut que louer la Cour de cassation de l’avoir concentré, non sur la technologie elle-même, mais sur ses usages et impacts concrets au sein de l’entreprise – évitant ainsi de céder à des postures alarmistes face à ses techniques encore (il est vrai) pas toujours bien maîtrisées, en privilégiant une approche au cas par cas.
#cybercriminalité
#usurpation
#cybersécurité
#passeportpourle8èmecercle
Le récit d’une descente aux enfers dantesque. Après s’être fait volé son passeport il y a 10 ans de cela, cet article raconte la bataille d’un homme dont l’identité fut plusieurs fois usurpée l’amenant d’abord à se voir réclamer 200.000 euros au titre de diverses dettes qu’il n’a pas contracté avant, tout récemment, d’être suspecté par la justice américaine d’être derrière un pseudonyme de vendeurs d’informations bancaires et assimilables sur le darknet. Le rappel de ce qu’en cybercriminalité, tout peut s’enchaîner très vite, souvent même silencieusement.
#IA
#Régulation
#travail
#techindustry
#fautfairecietçaetcietcietça
La Commission Européenne a peur pour son Union. Consciente de ce que l’UE est à la traîne, derrière la Chine et les USA, et que devant elle passe un coche qu’elle ne doit pas rater, la Commission organise les grandes lignes de sa politique au soutien du développement de l’IA. Sont donc prévus des nouveaux fonds, débloqués pour soutenir les partenariats publics/privés, la recherche et des initiatives tendant à rendre la technologie accessible aux PMEs, la libération des données publiques pour mieux nourrir les algorithmes, la promesse de rapports pour évaluer l’ampleur du chantier de l’encadrement juridique de l’IA au regard du droit de l’Union (pour mi-2019), mais également, petite touche “à la” vieux continent, des formations pour ne pas laisser pour contre les travailleurs futurs et actuels et des lignes directrices sur l’éthique de l’IA (pour la fin de l’année). C’est le branle-bas de combat.
#donnéespersos
#whatisdatababydonthurtme
Prenons un peu de hauteur de vue avec Jan Krewer, secrétaire général adjoint du Conseil national du numérique, qui doit toujours être renouvelé après la démission largement commentée de Marie Ekeland : si la question de la maîtrise et de la protection des données doit à l’évidence être un sujet politique (si ce n’est le sujet politique), il s’agit d’abord de savoir comment en parler. A cet égard, Jan Krewer souligne assez justement l’importance des métaphores partagées pour un discours approprié, et l’absence d’une telle métaphore véritablement satisfaisante pour traduire le pouvoir de la donnée – nouvel or noir ? infrastructure (facilité) essentielle ? nouvel environnement ? Ces images ne sont pas, on le devine, sans importance pour déterminer les problématiques et solutions à aborder ensemble, et surtout la manière de les aborder ; si cet article ne tranche pas à notre place, il a le mérite de renvoyer chacun à ses interrogations fondamentales, auxquelles le flux quotidien des problèmes plus techniques et immédiats laisse finalement peu de temps pour s’attarder.
#bitcoin
#fintechindustry
#wallstreet
#débitcoincerlebitcoin
Alors que de nombreux grands noms de la finance internationale a pu faire montre de scepticisme à l’égard de la monnaie virtuelle (*cough* JP Morgan *cough*), Goldman Sachs, elle, décide de s’y lancer en offrant la possibilité à ses clients de faire des opérations sur des contrats à terme de Bitcoin. Même si pour l’instant, il ne s’agit que de transactions “dans l’environnement du Bitcoin” et non pas sur la cryptomonnaie elle-même, la banque américaine annonce clairement vouloir aller dans cette direction, sous toutes les réserves réglementaires possibles bien sûr. L’on rappellera utilement l’idiome “When there is a will, there is a way”, car si Wall Street commence à s’emparer des cryptomonnaies, notre petit doigt nous dit que leur statut juridique ne restera pas longtemps flou.