La Maj d'

La newsletter d'actu techno-juridique : tous les mardis matin à 9h, faites la mise à jour !

En cliquant sur “S’abonner”, vous consentez à recevoir la newsletter d’Aeon (la “Maj”) chaque mardi matin à l’adresse email que vous avez indiquée. Les données saisies dans les champs ci-dessus nous sont nécessaires pour vous adresser la Maj par l’intermédiaire de notre prestataire MailChimp, et ne sont utilisées qu’à cette fin.

Vous consentez également à ce que MailChimp collecte, par l’intermédiaire d’un traceur placé dans l’email contenant la newsletter, des informations relatives à l’ouverture de cet email et à votre lecture de la Maj. Ces informations ne sont utilisées par Aeon qu’aux fins d’améliorer la Maj et son contenu, et ne sont partagées avec aucun tiers hormis le prestataire MailChimp.

Si vous souhaitez lire la Maj sans que ces informations soient collectées, notez que vous pouvez la retrouver à tout moment à cette adresse aeonlaw.eu/maj. Vous pouvez également vous abonner au flux RSS de cette page pour être averti de chaque nouvelle Maj dès sa parution, en cliquant ici !

Pour plus d’informations, consultez la Politique de Confidentialité d’Aeon en cliquant ici.


Celle qui prend le temps de juger – Maj du 15/01/19

L'actu en bref

Cette semaine, une fois n’est pas coutume, c’est Netflix qui a connu de meilleurs moments : alors que l’éditeur historique des livres “dont vous êtes le héros” tente une action en contrefaçon et concurrence déloyale pour le dernier épisode de Black Mirror, la fronde française s’organise pour retirer les contenus de France TV du service américain. Sinon, la Cour d’appel de Paris a requalifié un contrat de prestation Uber en contrat de travail et a rappelé qu’il “n’existe pas de raison juridique permettant de s’opposer à la communication des décisions rendues publiquement“, un journaliste porte plainte contre Richard Ferrand pour l’avoir bloqué sur Twitter (#Trump ?), Venteprivée est sous le coup d’une instance judiciaire initiée par la DGCCRF pour d’éventuelles pratiques trompeuses, le décret d’application de la loi fake news a été notifié à la Commission européenne, SpaceX va se séparer de 10% de son personnel, la Chine va tenter de censurer les blockchains, Google est assignée par ses propres actionnaires sur son attitude face au harcèlement sexuel, la plateforme AI4EU de recherche en IA est dévoilée par l’UE, et Marc Rees a lu pour nous et vous le Règlement européen sur le terrorisme. On se quitte sur une vidéo sur les vidéos de feux de cheminée, et bien sûr, sur une vidéo de feu de cheminée 8bit.

Faites la Maj, et à la semaine prochaine !

C’était en 2014, donc il y a très peu de temps, et pourtant ça semble déjà si loin. Le 13 mai 2014, la Cour de justice de l’Union Européenne a dit oui. Oui aux questions “en affichant des liens, un moteur de recherche traite-t-il des données personnelles ?” et “le propriétaire du moteur de recherche est-il responsable de traitement ?”. Il est certain qu’au moment de prendre cette décision, la CJUE savait qu’il y aurait un avant et un après l’arrêt Costeja v. Google Spain, mais mesurait-elle précisément jusqu’où se propageraient les remous de ce pavé dans la mare ?

Le droit de ne pas oublier l’Histoire

Par l’arrêt Costeja, la CJUE a consacré le “droit à l’oubli“, extrêmement mal nommé puisqu’il ne s’agit ni d’un droit absolu (sa mise en œuvre requiert une balance des intérêts), ni d’obtenir l’oubli, mais seulement l’effacement d’un lien d’un moteur de recherche. Mais ça, ce n’était que la base : une fois le “oui” prononcé, il faut en effet le mettre en œuvre, et ce oui n’a fait qu’entrainer d’autres questions, parmi lesquelles notamment celle de la frontière du droit à l’oubli et celle de la spécificité des données dites sensibles (sexualité, politique, religion, philosophie, santé, etc), dont le traitement est interdit par principe, sauf exceptions. Il est en quelque sorte demandé à la CJUE d’expliquer sa propre copie, ce qui nous permet de nous interroger sur le rôle du juge.

La tradition juridique française est née de la Révolution et d’un rejet total de l’ancien monde, au sein duquel les cours de justice (appelées Parlements) avaient un rôle particulier : elles étaient à la fois embourbées dans une lutte de pouvoir avec le roi et les garantes du respect du droit, édicté par la couronne. Alors que ces cours ont soutenu et grandement participé à la Révolution, elles en ont été les premières victimes : principalement composées de nobles qui se transmettaient leurs charges, investies à la fois d’un pouvoir judiciaire et législatif, il fallait les abolir et passer à un nouveau système. La hantise d’un gouvernement des juges elle, n’a pas été abolie, et refait surface dès qu’une décision de justice semble aller au-delà de la stricte interprétation de la loi : dans une conception très littérale du rôle du juge, celui-ci n’est que la bouche de la loi, et tout pas de côté est forcément en dehors des limites et risque d’entrainer une atteinte à la garantie démocratique de séparation des pouvoirs. La notion même de jurisprudence, le fait de suivre une cohérence dans les décisions prises par les cours, n’a alors pas vraiment de sens : soit un cas est similaire et la loi s’applique de la même manière, soit il ne l’est pas et il n’y a pas lieu à concevoir de règles supplémentaires.

L’office et le temps du juge

Dans son petit roman Le chemin des morts, François Sureau raconte un dilemme qui s’était présenté à lui lorsqu’il officiait au Conseil d’État. Face à ce dilemme, il affirme que “lorsqu’un juge adopte une solution, c’est bien souvent que la décision inverse lui paraît impossible à rédiger, pas davantage“. Le juge officierait ainsi par la négative, en éliminant les options impossibles à rédiger : reste à déterminer ce qu’est une décision impossible à coucher sur le papier. Parle-t-on de cohérence avec les textes ? Avec la jurisprudence ? Dans le cas du dilemme de Sureau, il s’agissait de la prise en compte du contexte général et des potentielles retombées de la décision inverse en question : bien loin d’être un simple interprète de la loi, Sureau était face à un choix qu’il effectuait en pleine conscience, un choix social et politique. Il en était de même pour la CJUE lors de l’arrêt Costeja : l’avocat général Jääskinen avait conseillé un choix différent de celui effectué par la Cour, preuve s’il en fallait que juger, c’est avant tout choisir. Hier, c’était François Molins, nouveau procureur général près la Cour de cassation qui affirmait quesauf à prendre le risque d’un profond décalage avec la réalité, l’interprétation du Droit ne peut se faire dans l’ignorance du contexte.”

La justice est le fondement du pacte social qui consiste à renoncer à régler soi-même ses problèmes en acceptant des règles communes pour régir le vivre ensemble – une sorte de dilemme du prisonnier à grande échelle. L’impact d’un jugement dépend donc bien souvent du costume que choisira de revêtir le juge : celui de simple exégète des textes et de la jurisprudence, ou celui de tiers impartial auquel on confie l’exécution du contrat social. Peut-on alors parler de gouvernement des juges si la solution adoptée par ce tiers impartial est celle qui convient le mieux à l’ordre social ? Mais à l’inverse, pendant que la justice connait sa lente progression, le monde continue de tourner et à avoir besoin de réponses rapides, quotidiennes : le système est-il viable si l’interprétation de ces décisions audacieuses et novatrices nécessite une clarification qui prend 5 ans à intervenir ? A l’heure où le droit à l’oubli est enfin en passe d’être clarifié, ces questions sont plus légitimes que jamais, et leurs réponses toujours plus difficiles à cerner avec certitude.

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, ou peut-être y sommes-nous déjà ?