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Celle qui ne se lit qu’avec une connexion Internet – Maj du 14/04/20

L'actu en bref

Cette semaine, alors qu’il nous a été confirmé qu’on ne sortira pas avant encore un mois, les questions commencent à fuser sur la gestion de crise, et notamment, puisque le sujet nous intéresse particulièrement, sur la situation au sein de l’institution judiciaire : on parle déjà de “désastre annoncé” compte tenu de l’arrêt total de la majorité des procédures et des piles de dossiers qui grimpent si haut qu’elles ne peuvent que chuter. Certains commencent donc à se demander “pourquoi la justice est-elle à l’arrêt ?!” tandis que les barreaux de Paris et de Marseille ont déjà passé le stade des questions et ont saisi le Conseil d’État pour qu’il enjoigne à la Chancellerie de prendre les mesures de sécurité nécessaires à la continuité sereine des activités – une action dont les chances de succès sont incertaines puisque le Conseil d’État a systématiquement tranché en faveur du gouvernement lors de ses récentes saisines, un positionnement d’ailleurs déjà décrié remarqué et décrié par les avocats comme les professeurs. Ces critiques sont assez virulentes pour que le président de la section du contentieux prenne la plume pour défendre sa juridiction. En attendant, certains vont même jusqu’à se demander si le quasi-arrêt des tribunaux ne pourrait pas être la cause d’un délitement du contrat social. Autre sujet majeur de la semaine qui tombe tout autant dans nos clous : le rôle de la tech dans la lutte contre l’épidémie. Le développement d’une application de tracking a été confirmé par le président de la République après un communiqué officiel de Cédric O, bien que de gros doutes subsistent sur l’utilité réelle d’une telle mesure, probablement peu efficace, – voici en tout cas une bonne explication de ce que pourrait être son fonctionnement détaillé et le site officiel de l’initiative européenne, ainsi qu’un très bon article résumant l’ensemble du débat. Nos bons gros géants de la tech sont en tout cas au rendez-vous, l’union sacrée ayant été déclarée entre Apple et Google pour travailler sur une telle app, tandis que Facebook annonce aussi partager des données avec des chercheurs et que les patrons de la Silicon Valley rivalisent de générosité dans leurs dons pour la lutte contre la pandémie, la palme revenant pour le moment au fondateur de Twitter. Pour autant, la tech n’en perd pas le nord et a également redoublé ses efforts de lobbying pour que la sortie de crise se fasse dans les meilleures conditions. On clôt notre section coronanews avec cette belle petite série d’articles du LINC de la CNIL sur les dispositifs de surveillance pour contenir l’épidémie et les recommandations de notre bonne vieille commission sur la vidéoconférence, ce pendant que Zoom continue à susciter des soucis de vie privée et à être lâché de tous les côtés.

En d’autres news, l’Autorité de la concurrence a donné raison aux éditeurs de presse face à Google et prononcé des mesures conservatoires visant à forcer le géant à entrer en négociation avec la presse pour trouver un accord – le communiquéla décision. Il s’agit d’une décision temporaire avant une décision au fond d’ici environ 1 an – affaire à suivre donc, mais Google a annoncé se conformer à la décision – on verra donc à quoi ressemblent des négociations forcées. Nous n’avons pas fini de lire les 72 pages de cette décision fleuve (comme à l’accoutumée pour l’ADLC), mais vous pouvez retrouver notre avis sur le débat de fond dans ces deux éditos – n°1n°2. Notons aussi l’adoption par la CNIL irlandaise de règles sur les cookies qui ressemblent fortement à celles en cours de finalisation par notre CNIL à nous ; Facebook se lance dans les réseaux sociaux pour couples ; et la Cour de cassation continue à travailler sur l’utilisation de l’IA pour anonymiser les décisions de justice et participera à nouveau aux programmes d’entrepreneurs d’intérêt général. On se quitte sur une façon originale de faire face à la multiplication des visioconférences dans tous les sens : se faire remplacer par une IA ! Et on vous confirme la naissance il y a donc pile une semaine de la magnifique petite Anya Ruggieri !

Faites la Maj, restez chez vous, et à la semaine prochaine !

Il y a quelques semaines, alors que nous venions d’entrer dans cette période si propice aux prises de recul qu’est le confinement, nous vous avions proposé de réfléchir ensemble à l’ambiguïté de notre rapport à Internet, à la fois si indispensable et si peu suffisant à substituer les rapports humains de chair et d’os. Nous avions omis de relever, alors, comme ces considérations peuvent paraître citadines, dans un pays qui (et ce n’est pas la moindre des leçons que nous offre cette même période) compte encore bien des foyers pas ou mal connectés au réseau mondial : la “fracture numérique” (puisque c’est d’elle qu’il s’agit), revenue au premier plan ces derniers jours, jusqu’à demi-mots dans la bouche du Président de la République hier soir, nous interdit ainsi de penser Internet comme une expérience uniforme pour l’ensemble des Français, tout comme des Européens.

L’autre nom d’une fracture géographique et sociale

La question, c’est bien logique, s’est invitée dans le discours public en même temps que nous nous réjouissions, malgré l’isolement physique, de pouvoir continuer à échanger, “tous réunis” par la magie des technologies modernes. Elle s’est manifestée sous diverses formes : des élèves qui ne paraissent pas dans les salles de classe virtuelles, faute de disposer d’un équipement ou d’une connexion suffisante ; des patients dans l’impossibilité d’accéder à la télémédecine ; des personnes âgées, enfin, ou non éduquées, pour une raison ou pour une autre, aux rudiments de l’informatique, incapables de procéder à des démarches administratives à cette heure entièrement dématérialisées. L’occasion pour certains commentateurs, aussi, de souligner comme un couac de l’exécutif ce programme d’initiation à l’utilisation des services web… accessible sur le web.

Au-delà de la critique politique conjoncturelle, l’inégal accès aux ressources en ligne est pourtant un problème complexe, hérité de longue date, à la fois reflet et vecteur d’autres inégalités, elles géographiques, sociales, économiques et culturelles, problème dont on ne saurait raisonnablement limiter le blâme aux seuls actuels décideurs. Inégalité face à la technique, il résulte de choix économiques et politiques dans le développement du réseau en France ; inégalité face aux usages et contenus (c’est la question, passionnante, de la digital literacy), il résulte, aussi, d’une certaine indigence (il faut bien l’avouer) des programmes scolaires en la matière, qui renvoient cette part pourtant cruciale (pas seulement vis-à-vis du monde professionnel – nous le constatons clairement aujourd’hui) de l’éducation des enfants à l’exploration autonome de ces derniers (pas toujours bien guidée, et susceptible de vrais dangers) et au temps libre et aux propres compétences de leurs parents (pas toujours, pour les secondes, plus élevées que celles desdits enfants).

A problème complexe, solution complexe, et il est donc rien moins qu’évident que celui-ci soit parfaitement résolu par le simple accroissement de la connectivité des zones “reculées”, par exemple via l’extension du réseau de fibre optique, ou des ballons à air chaud, comme nous vous l’exposions il y a quelques années. Ce serait cependant déjà une avancée. Il n’est pas besoin d’aller chercher jusque dans les pays dits défavorisés pour trouver des “zones blanches”, véritables “déserts numériques” : la France rurale en offre d’assez bons exemples, où le raccordement au réseau se joue parfois sur la seule initiative de fournisseurs d’accès Internet associatifs, conçus pour certains selon le modèle (on ne peut plus rétro) de la coopérative, là où les opérateurs télécoms majeurs semblent avoir renoncé. Le risque, à ce compte, n’est pas tant l’inégalité d’accès à Internet elle-même, que de perpétuer et renforcer d’autres inégalités, elles beaucoup plus tangibles, que cette même technologie avait pourtant un jour porté l’espoir d’abolir.

Que peut le droit ?

La question  nous intéresse directement, et nous invite à réfléchir à la manière dont le droit d’accéder à Internet a été appréhendé, au gré des dernières années, par le législateur et le juge, en l’occurrence dans le sens d’une quasi-fondamentalisation de ce droit, dans la droite lignée de l’ONU qui a reconnu l’accès à Internet comme un droit humain, bien que ce genre de délibération n’a aucune portée normative. Depuis la décision dite Hadopi du Conseil constitutionnel, qui en 2009 rattachait le bénéfice d’une connexion Internet à la liberté d’expression et de communication, jusqu’à la loi pour une République Numérique de 2016, qui, en modifiant l’article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles, a introduit un droit au maintien de la connexion Internet, le saut était en effet déjà considérable : il s’agit en somme de celui qui sépare, dans le langage constitutionnel, le “droit-liberté” du “droit-créance”, à savoir un droit qui protège de l’ingérence de l’État d’un droit qui permet d’exiger la protection et le soutien actifs de ce dernier.

Même sous ce rapport, le droit-créance consacré par la loi pour une République Numérique n’est encore pensé, toutefois, qu’à l’aune de considérations pécuniaires, à savoir comme la possibilité, pour les personnes en difficultés financières, de voir le coût de leur connexion Internet pris en charge par un fonds de solidarité, avec obligation pour le fournisseur d’accès de maintenir cette connexion jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande d’aide. Ce droit-créance ne s’étend pas jusqu’à permettre aux citoyens d’exiger de l’État, par exemple, la mise en œuvre de moyens techniques assurant la connexion, avec bande passante suffisante, de l’ensemble du territoire de la République ; à ce compte, et quoi que puisse laisser paraître le libellé des dispositions précitées du Code de l’action sociale et des familles, l’accès à Internet se distingue encore considérablement, par exemple, de l’accès à l’eau, à l’électricité ou à l’énergie, largement plus marqué par les logiques de service public.

Intellectuellement, le parallèle mérite pourtant d’être tracé : quid de la transposition à Internet des notions de “fournisseur de secours” (pour l’électricité) ou de “fournisseur de dernier recours” (pour le gaz) ? Le service universel des communications électroniques, qui s’en rapprocherait le plus, est encore principalement conçu sous l’angle de la téléphonie, et prévoit ainsi au mieux une connexion de 56 kbits/s sans rapport avec les standards techniques du marché actuel, de sorte qu’il est difficile d’y voir le véritable outil d’un Internet pour tous. A ce jour, le déploiement d’une couverture Internet haut débit sur l’ensemble du territoire français reste plutôt l’objet d’objectifs non opposables à l’État, formulés dans le “Plan Très Haut Débit” de 2013, censé aboutir en 2022. De même, sur le plan “culturel” qui est celui de la formation aux usages et contenus d’Internet, la récente Mission Société Numérique se veut une initiative favorable de l’exécutif, mêlant services publics et acteurs privés (sous forme notamment de labels délivrés à des dispositifs inclusifs), mais là encore de “droit mou”.

Faudrait-il donc exiger plus, par exemple en prolongeant le trait esquissé par la loi pour une République Numérique, à savoir une vraie fondamentalisation du droit d’accès à Internet, matérialisée (entre autres) par des obligations de service minimum technique et éducationnel à la charge de l’État lui-même ? La question devient politique, et les difficiles conditions actuelles, qui risquent toujours, sous le coup de l’urgence (réelle ou supposée), de pousser à des réclamations hâtives ou disproportionnées envers les pouvoirs publics, nous recommandent au contraire de suspendre notre jugement. Il n’en est pas moins certain que cette crise, parmi tous les défis qu’elle nous pose pour l’avenir, nous invite à reconsidérer la place d’Internet comme une ressource qu’on a vite fait de croire (à tort, précisément) universelle.

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, en s'amusant comme on peut !