La trêve des fêtes aura été de courte durée : c’est la rentrée et la nouvelle année, et déjà les questions sur le rôle et le fonctionnement de la tech resurgissent. En ces temps de reprise, il est seyant que les questions soulevées soient relatives au monde du travail.
Une révolution bien lente à amorcer
La rhétorique du monde de la tech a toujours été empreinte d’un certain optimisme révolutionnaire : la tech apporterait des solutions radicales à des problèmes qui le seraient tout autant, en cassant certes quelques pots au passage, mais dans l’idée d’en finir avec certaines façons de faire dépassées et nuisibles, pour rendre le monde meilleur. Cette promesse, quoi qu’en en pense, se reflète ensuite dans la manière dont les entreprises, une fois le stade de la start-up dans un garage dépassé, s’organisent : le monde de la tech a été l’un des premiers à rejeter les formes traditionnelles d’organisation du travail, qu’il s’agisse des horaires, flexibles, du lieu de travail, volontiers dématérialisé, des organisation hiérarchiques, les plus horizontales possibles, ou encore des lieux de travail, conçus comme des endroits où l’on se sent bien.
L’une des révélations de 2018 aura été que les questions sur le rôle et le fonctionnement du monde de la tech peuvent surgir de partout, y compris de l’intérieur. Alors qu’ils avaient été plutôt silencieux jusque là, les employés des entreprises techs ont pris la parole pour dénoncer des conditions de travail bien loin de la révolution promise : contrats secrets avec l’armée américaine contraire aux valeurs défendues par les salariés, projets secrets de déployer une version censurée du moteur de recherche en Chine sans consultation interne ou encore attitude permissive envers de graves faits de harcèlement sexuel, les sujets de mécontentement ont été nombreux, et tous avaient un goût de vieux monde dépassé et nuisible. En faisant en sorte de laver leur linge sale en public, les employés de la tech ont eu gain de cause sur l’ensemble de ces sujets, preuve à nouveau que les façons de faire ne sont peut-être pas si nouvelles que ce qui était promis : il est plus efficace pour se faire entendre de faire appel aux risques d’atteinte à l’image publique que de passer par les canaux internes de remontée des informations.
Une révolution qui perpétue les inégalités
Mais ces contestations internes de salariés de la tech restent des “first-world problems“, des problèmes qu’il est luxueux de pouvoir soulever, quand on sait la réalité des conditions d’exercice d’autres travailleurs de la tech, ceux qu’on appelle les “travailleurs du clic“. Un grand nombre de services prétendument innovants font ainsi appel à de petites mains partout dans le monde, issues de pays défavorisés où les quelques dollars glanés à effectuer des tâches ultra répétitives dans un cybercafé sont le meilleur moyen de subvenir aux besoins quotidiens. Dans le meilleur des cas, ces petites mains servent à générer ou annoter de la donnée qui sera utilisée par ces services ultra innovants. Souvent, ce sont eux le service que nous payons.
La promesse d’automatisation et de facilitation d’un grand nombre de tâches repose donc bien souvent sur la délégation de ces tâches à une main d’œuvre étrangère sous-payée et peu qualifiée : la promesse n’est donc pas tenue, au prix d’un déplacement du travail qui rappelle amplement celui de la délocalisation des industries. Au fond, les problèmes du monde du travail de la tech ne sont pas nouveaux et font écho à des situations déjà bien connues. C’est peut-être ça le plus décevant.
Ce qu'on lit cette semaine
#techindustry
#négociationcollective
#travail
#cettebonneviellegrève
Les conditions de travail et les rapports sociaux dans le monde de la tech ne sont peut-être pas si disruptifs que cela. C’est, du moins, ce qu’il est possible de penser lorsque l’on met en perspective les protestations des employés des grandes entreprises du net et du soft de l’année 2018 (et oui l’heure est aux rétrospectives, ici comme ailleurs) avec la grève récente des 8.000 employés de la chaîne d’hôtels Marriott. Malgré la différence dans la couleur de leurs cols, les employés de Marriott et de la Silicon Valley se sont en effet retrouvés dans leur volonté commune d’obtenir un poids plus important dans la définition de la direction que prend le déploiement de la technologie et d’obtenir une meilleure gestion des problèmes liés au harcèlement sexuel au travail. De quoi faire prendre conscience aux travailleurs des entreprises nouvelles qu’ils sont confrontés à des problèmes qui ne le sont pas et qu’ils gagneraient peut être à adopter les méthodes éprouvées de négociations sociales des syndicats des vieilles industries.
#bigdata
#épistémologie
#bigdata
#biais
#crépusculedesidoles
En histoire de la philosophie, le passage d’une vérité révélée à une vérité construite marque sans nul doute le point d’entrée dans ce qu’il est convenu d’appeler la “modernité”. Ce mouvement est lié à une série d’évolutions majeures, telles que la révolution kantienne recentrant les mécanismes de la connaissance autour du sujet lui-même, et a entraîné à son tour une série d’évolutions non moins majeures dans le domaine des sciences et techniques, en particulier quant à la manière d’organiser le fameux “protocole expérimental”. Il est donc pour le moins remarquable de noter, comme le fait l’auteur de cet article, à quel point l’époque actuelle paraît “remystifier” l’information brute – la fameuse data – en l’érigeant en donné objectif, “hors sol”. De ce point de vue, les récentes controverses autour des biais et discriminations liés aux algorithmes (et les tentatives de régulation visant à les corriger) doivent être interprétées comme des alertes et des remparts ponctuels face à un glissement plus général : celui conduisant à se fier de plus en plus aveuglément aux “chiffres” et aux capacités de traitement automatisé, sans s’interroger plus avant sur les postulats ayant guidé la constitution des data sets, sur les méthodes de conception des algorithmes, et sur les valeurs sous-jacentes à ces postulats et ces méthodes. Pas plus qu’un protocole expérimental scientifique ou un sondage politique, un algorithme d’analyse ne saurait être entièrement “neutre” ; dans toutes ces hypothèses, l’Histoire, et en particulier les événements les plus récents, nous encouragent à muscler notre esprit critique.
#internet
#fakenews
#société
#bots
#leplusgrandcabaretdumonde
Nous démarrons 2019 avec infiniment plus de questions que de réponses. Constat enthousiasmant pour l’intellect, peut-être moins du point de vue politique et sociétal. Qu’avons-nous fait d’Internet ? Voilà peut-être l’une des plus cruciales parmi ces questions. Le réseau et les technologies qui le sous-tendent, initialement pensés comme un formidable vecteur de rapprochement et d’émulation entre les individus, soulèvent aujourd’hui plus d’inquiétudes et de réprobation que d’optimisme et de louanges. La faute à qui ? Internet n’est après tout (on ne se lassera jamais de le répéter) qu’une technologie, et sa “valeur” éthique n’est jamais qu’une fonction de la somme de nos usages. Si donc, comme cet article l’affirme (chiffres et exemples à l’appui), Internet est aujourd’hui majoritairement “faux” (ou “trompeur“), la responsabilité en est à l’évidence collective : le développement massif des fausses informations, des faux comptes, des fausses statistiques qui en résultent du fait de l’action des algorithmes, n’a peut-être ainsi rien d’inéluctable. Toute la difficulté vient de la dimension systémique du problème, qui fait craindre à certains observateurs que nous franchissions bientôt le point de “l’Inversion”, à partir duquel le fake deviendra la règle, l’authentique l’exception – situation hautement déroutante du point de vue philosophique. Nous démarrons 2019 avec infiniment moins de réponses que de questions, mais osons un peu d’espoir : la conscience du problème est déjà le premier pas vers des solutions.
#techindustry
#impunité
#société
#bononvapeutêtreserecoucherunpeu
C’est l’article pour se mettre dans l’ambiance dès le matin. Malgré une prise de conscience, que l’on peut désormais admettre comme généralisée, du caractère regrettable de certaines des trajectoires prises par l’industrie de la tech et de certains choix de ses leaders, il apparaît que les géants du net n’aient pas de réelle incitation à écouter les critiques qui leur sont adressées. Aucun d’entre eux n’en a en effet pour l’instant véritablement subi de conséquences négatives, too big to care. On leur prédit même une croissance plus forte ainsi que l’illustrent leurs projets immobiliers titanesques pour accueillir une main d’oeuvre toujours grossissante. Et, à mesure que les GAFAM et assimilables diversifient leurs champs d’activité et se rendent encore plus indispensables, le pouvoir de négociation des parties prenantes, au premier rang desquels se trouvent les consommateurs, diminue. Face à cette logique de cercle vicieux, un boycott généralisé qui frapperait fort au portefeuille semblerait la seule solution envisageable… ou plus de concurrence ?
#voitureautonome
#société
#USA
#lechangementcestmaintenant
A bien des égards, la voiture autonome cristallise à elle seule la quasi-totalité des grands enjeux liés à l’intelligence artificielle, pour ne pas dire aux nouvelles technologies en général : sécurité, fiabilité, explicabilité – et, surtout, comme une “méta-valeur” recoupant et irriguant toutes les autres : acceptabilité sociétale. Dans le cas particulier de la robotisation, dont le véhicule autonome n’est qu’un exemple, celle-ci se traduit par des craintes et des controverses (certaines légitimes, certaines fantasmées) autour de la figure d’un “grand remplacement” (l’expression est employée à dessein) de l’humain par l’algorithme. D’où des expressions de rejet parfois d’une véritable violence – tels ces citoyens américains caillassant ou insultant les voitures de test de Waymo ; le robot est l’étranger de demain, qui inspire ou plutôt réactive des angoisses bien connues : chômage de masse, menace pour la sécurité, introduction de nouveaux comportements difficilement compréhensibles… Hasardons alors une idée : de même que toute cohabitation réussie avec un nouveau venu implique une phase d’adaptation et de présentation mutuelle, au cours de laquelle les codes propres à chacun sont échangés et expliqués, de même l’introduction des voitures autonomes (et plus généralement de l’intelligence artificielle) dans nos systèmes humains n’ira pas sans une telle phase d’apprentissage. Or l’apprentissage “technique” des voitures n’est que l’un des deux versants de cette phase ; l’autre est un apprentissage humain, une acceptation progressive et sereine de ces nouveaux usagers de la route. Nul doute que les représentants politiques et les sociétés concernées ont une responsabilité pédagogique importante à cet égard.
#prospective
#IA
#autobotoudecepticon?
Une interview d’un des cofondateurs de Deepmind et de celui qu’on appelle le « parrain du deep learning » sur leur compréhension du futur du développement de l’IA. Il en ressort que le jour où l’on verra apparaître une intelligence artificielle générale, capable d’effectuer une grande diversité de tâches, serait encore bien loin, faute pour les algorithmes actuels de pouvoir « abstraire » les connaissances acquises et en raison du caractère encore sous-optimal des méthodes d’apprentissage par renforcement. Sur ce dernier point les algorithmes doivent en effet encore apprendre à apprendre en déterminant comment distribuer l’information acquise par les récompenses de manière sélective au sein des réseaux neuronaux pour qu’elle soit mieux utilisée. C’est d’ailleurs ce que promet de faire un nouveau modèle récemment développé par des ingénieurs de Google baptisé « Transformers ». Sur la question de la discrimination algorithmique, il y aurait lieu d’être optimistes au regard de ce qu’à la différence des préjugés humains, les préjugés machiniques peuvent être modélisés et de fait, les éditeurs de solutions d’IA développent actuellement des outils pour aider les ingénieurs à les identifier et les corriger. Il y aurait également lieu de ne pas s’inquiéter pour nos emplois car, thèse de la complémentarité oblige, même une intelligence artificielle générale ne pourra pas voir aussi grand et loin qu’un humain. On y croit ?
#gdpr
#réseauxsociaux
#cookies
#publicitéciblée
#responsablemaispascoupable?
La figure de la co-responsabilité en matière de traitements de données à caractère personnel, développée par le GDPR, trouve déjà de nombreux terrains d’application, et tout particulièrement en lien avec les réseaux sociaux. Après les pages “fan” en juin dernier, la CJUE s’apprête à statuer dans une nouvelle affaire liée à Facebook, mais concernant cette fois les boutons du réseau social (“J’aime“) insérés sur des sites tiers. A l’origine, l’action d’une association de consommateurs, et une question préjudicielle : l’éditeur d’un site utilisant ces boutons est-il co-responsable du traitement des données collectées dans ce cadre ? L’avis de l’avocat général est positif en ce sens, et contient quelques points significatifs : il reconnaît tout d’abord, une fois de plus, la qualité d’une association de consommateurs pour agir sur le terrain des données personnelles (n’en déplaise à Facebook, qui soutenait le contraire) ; il rappelle, sur le fond, qu’un responsable de traitement n’a pas nécessairement accès lui-même aux données, le critère de qualification étant principalement intellectuel, et pouvant s’apprécier au regard de l’initiative et des intérêts retirés du traitement ; quant aux conséquences en termes de responsabilité et d’obligations, elles seraient distributives selon le rôle joué à chaque étape du traitement des données, l’éditeur du site étant notamment chargé de l’information des utilisateurs et du recueil de leur consentement (si toutefois ce consentement est requis – mais on voit mal comment il pourrait ne pas l’être, au vu de la nature des cookies utilisés par le réseau social). Rappelons enfin que toutes ces considérations devraient pouvoir être facilement évincées, pour un éditeur de site avisé, par l’usage de solutions permettant l’intégration de boutons “simples liens”, sans cookies associés – solutions promues notamment par la CNIL.
#Streaming
#netflix
#interactiveepisode
#teamfrostedflakesousugarpuffs?
Netflix souffre d’une concurrence toujours plus grande sur le marché du streaming en ligne comme en témoigne la baisse de plus de 35% de la valeur de ses actions depuis l’été dernier. Mais le succès de l’épisode interactif de la série déjà culte Black Mirror, Bandersnatch, lui donne des raisons d’espérer. Car, derrière le simple attrait que les consommateurs pourraient avoir pour ce type de contenu, Netflix acquiert, à travers les différents choix des spectateurs et la surveillance de leurs comportements (quelle option est préférée, s’ils hésitent avant de choisir etc), de la donnée d’une grande richesse et en quantité massive. De quoi pouvoir affiner la conformité de ses productions originales aux attentes des utilisateurs de sa plateforme ou également d’envisager une individualisation plus granulaire du contenu audiovisuel mais surtout d’utiliser les interactions comme levier marketing pour proposer aux annonceurs de faire du placement de produit ciblé au sein même des vidéos et d’y de tisser habilement des sondages géants. Abstraction faite des considérations sur la vie privée, il faut bien concéder que c’est un coup de génie. L’on remarquera enfin que les épisodes 265 Sponsored Content et suivants de South Park en deviennent d’autant plus pertinents.