Depuis une poignée d’années, la défiance face à la tech ne fait que croitre, proportionnellement au nombre de scandales mis à jour qui est lui aussi en pleine expansion. Face à ce constat, il ne semble pas y avoir 36 solutions : continuer comme avant sans rien changer, en s’attendant à ce que les choses changent d’elles-mêmes, ou légiférer. Du moins, c’est ce que l’on souhaite nous faire accepter.
L’inflation législative
Un autre nombre a crû très intensément ces dernières années : la longueur moyenne du Journal officiel. Rien que sous la législature actuelle (depuis mai 2017 donc), 100 lois ont été promulguées. Ce chiffre traduit un phénomène déjà pointé du doigt, surtout par le Conseil d’État, notamment dans son étude annuelle de 2016 : l’inflation législative. Alors que l’époque est à la simplification du droit, à son intelligibilité et accessibilité, notamment au travers du mouvement du legal design, on produit toujours plus de normes, qu’il s’agisse de règles nouvelles ou de modifications de celles en vigueur, et des normes de plus en plus longues. Les effets sont nombreux et néfastes – pour n’en citer que quelques uns : inintelligibilité, spécialisation croissante des règles, voire même incohérences entre notions juridiques, et ce malgré l’adage “nul n’est censé ignorer la loi” (bien qu’il s’agisse plus d’un moyen d’empêcher de plaider l’ignorance).
Une autre conséquence est qu’un grand nombre de normes ne sont pas appliquées, faute de promulgation de leurs décrets d’application – c’est notamment le cas des dispositions sur l’open data des décisions de justice, plus de 2 ans après la loi pour une République numérique. On estime ainsi que près de 30 % des 24 textes promulgués en 2016-2017 ne sont pas encore entrés en vigueur. Si un certain nombre de ces décrets ne sont pas adoptés par manque ou changement de volonté politique (l’on peut d’ailleurs s’interroger sur ce que cela signifie pour notre démocratie, bien qu’un recours en adoption d’un décret existe devant le Conseil d’État – CE, Ass, 27 novembre 1964, Veuve Renard), l’inflation législative est également à blâmer pour ce constat : on peut concevoir qu’il est difficile d’édicter des décrets en temps opportun quand le nombre de décrets à rédiger ne fait que croitre sans arrêt.
La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf
Plusieurs questions sont posées par ces mouvements concomitants. Une première est celle de l’opportunité de légiférer en réaction à des événements. Il est devenu attendu, bien que cela soit critiqué de nombreuses parts, qu’un texte soit adopté dès que survient un fait un peu surprenant. Il en va ainsi aujourd’hui des annonces d’une future loi sur les contenus haineux sur Internet, qui est moins le fruit d’une lente maturation et d’une balance attentive des lacunes de notre système juridique et des manières d’y remédier que d’une volonté de répondre rapidement et efficacement aux récentes nouvelles sur le harcèlement en ligne. Une deuxième question concerne l’effectivité de nos normes. Ainsi que l’écrit Marc Rees, l’arsenal juridique est, comme très souvent, déjà présent et bien fourni pour lutter contre le harcèlement en ligne : pourquoi ne pas simplement le mettre en œuvre ?
L’inflation législative est ainsi un échec collectif à plusieurs titres. Non seulement ce phénomène est nuisible à la matière juridique en ce qu’elle en devient toujours plus complexe, inintelligible et réservée aux spécialistes, il s’agit également d’un aveu de ce que nous ne sommes pas en mesure d’appliquer correctement les règles déjà existantes. Nous préférons profiter de l’effet temporaire d’une galvanisation collective à la suite d’un événement pour adopter une énième loi spéciale plutôt que d’analyser en profondeur la cohérence de notre construction juridique afin d’en colmater les éventuelles fuites. Surtout, il s’agit de la manifestation d’un manque total d’imagination, voire d’intelligence collective : tout problème considéré comme nouveau ne pourrait ainsi se résoudre que par une nouvelle loi, sans que l’on se demande si d’autres outils tels que la régulation souple, l’autorégulation ou encore la jurisprudence puissent suffire, et surtout sans se demander si le problème posé est véritablement nouveau, ou si l’on ne peut pas utiliser les normes existantes pour l’appréhender.
Dans un article riche en références, la professeure Valérie-Laure Benabou parle de “l’extension du domaine de la donnée” et rappelle la fameuse fable de la Fontaine de la grenouille et du bœuf pour critiquer l’élargissement sans fin de la notion de donnée personnelle. La métaphore nous parait ici opportune, et il convient de rappeler que :
“La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle creva.”
Ce qu'on lit cette semaine
#anonymat
#internet
#lcen
#lahaine
A écouter les déclarations récentes de l’exécutif, on se demanderait presque si le réseau Internet est bien le même pour tout le monde. Quand la plupart des observateurs avisés (en matière de données personnelles, ce n’est pas anodin) s’accordent à dire que l’anonymat, le vrai, n’existe pas ou plus, en particulier sur Internet (en raison du nombre considérable de traces que nous laissons malgré nous, tels des Petits Poucet qui s’ignorent), en voici qui ont donc décidé de se battre contre des moulins. Soyons fair play : il n’est pas tant question de lutter contre l’anonymat que contre le sentiment d’anonymat, qui génère celui d’impunité. D’accord, mais là encore, faut-il vraiment légiférer ? La démonstration est sans appel, et l’on y souscrit sans réserve : l’appareil législatif et réglementaire est aujourd’hui parfaitement apte à “lever l’anonymat” d’un contenu haineux par exemple, et permet d’y contraindre l’intermédiaire technique qui s’y refuserait. Le problème n’est pas dans les textes, mais dans leur mise en oeuvre : c’est un problème de moyens, sans doute. Toujours est-il qu’à l’heure où la CJUE doit se prononcer à nouveau sur le régime de conservation des données imposé aux FAI français, on ferait mieux d’apprendre à utiliser l’existant, plutôt que d’empiler une énième loi de circonstance…
#consommation
#clauses abusives
#google
#droitdelaconsodesdonnéesperso
Il semblerait que les géants tombent comme des dominos face aux action d’UFC Que Choisir… Après Twitter, l’association a remporté une grosse bataille en obtenant l’annulation de plusieurs stipulations des anciennes conditions d’utilisation des services de Google ainsi que des déclarations de sa politique de confidentialité pré-RGPD. De nombreux éléments de cette décision attirent l’œil comme le constat de l’onérosité du contrat reposant sur l’équilibre fourniture de services vs. utilisation de données personnelles et entraînant l’applicabilité du droit de la consommation, du caractère imprécis de l’information préalable à l’obtention du consentement à la mise en oeuvre de certains traitements, tout comme celui au dépôt et à la lecture de cookies, de la publicité par défaut des informations des profils de feu Google+, de la faculté quasi-unilatérale de suspendre la fourniture des services aux utilisateurs des services de Google ou encore de la prévision d’une licence mondiale globale sur les contenus uploadés. Bref, c’est vraiment très très dense, et il y a à boire et à manger pour toute une famille. A lire petit à petit (on parle quand même de 136 pages) et à tête reposée, mais l’on restera tout de même sur cette intuition qu’il se passe quelque chose de louche dans la relation droit de la conso/données perso.
#libertés
#médias
#journalisme
#tousconcernés
Il ne fait pas bon être journaliste, ou un tant soit peu trop partisan de la liberté d’expression et d’information de nos jours, et ce même au sein de ce qu’on croyait être le dernier bastion de l’esprit des Lumières : l’Europe occidentale connaît son lot de censure, de menaces physiques directes sur les journalistes, de manipulation et de désinformation. Même en France ? Certes on ne tue pas ici les journalistes d’une balle dans le dos, et pourtant : le climat de défiance envers la presse, instauré ou du moins alimenté par les discours de représentants politiques majeurs, n’est pas de nature à nous faire aller mieux. Ajoutons à cela des textes décriés bien connus dans ces colonnes, peu soucieux de la liberté d’expression individuelle sur les réseaux, et l’on aura un tableau peu réjouissant du climat de l’époque. Croit-on si peu dans les vertus de l’expression d’opinions dissonantes, et d’une information libre ? L’Histoire montre pourtant combien les thèses muselées savent se faire entendre, et parfois pour le pire. Il y a donc si peu à gagner et tant à perdre ; sachons le reconnaître avant qu’il soit trop tard pour la presse libre et ambitieuse.
#IAo
#innovation
#recherche
#trouvify
Nous entrons très certainement dans le début de l’ère de l’IAo. En effet, que ce soit la pharmacie ou la recherche sur les matériaux de nombreuses disciplines sont devenues extrêmement complexes et spécialisées de sorte que les chercheurs ont de plus en plus de mal à innover, et ce quelques soient leurs moyens financiers. Il devient donc de plus en plus coûteux et difficile d’avoir des (bonnes) idées à un point qui peut inquiéter certains économistes. Mais, ici comme ailleurs, les capacités de traitement de l’IA seraient là pour nous sauver. Car, quoi de mieux pour naviguer dans un environnement saturé d’information qu’un bon algo de deep learning ? Déjà des startups commencent à développer des outils pour farfouiller dans des gigantesques bases de données et identifier tel ou tel principe actif qui aurait telle ou telle propriété et les laboratoires à envisager toutes les étapes dans lesquelles l’IA pourrait venir s’insérer dans leurs processus. De quoi sortir la recherche de l’enlisement.
#cyberdéfense
#géopolitique
#Russie
#rozkomnazor800
Il semblerait que la Russie soit l’un des pays qui ait le mieux pris la mesure de ce que les guerres à venir seront de plus en plus cybernétiques. Depuis un an, le pays de Vladimir Poutine (de même que la Chine) travaille dure pour assurer l’indépendance de son infrastructure informationnelle en développant un Internet alternatif fait maison qu’une loi, encore en discussion, mettra à la charge des fournisseurs d’accès à internet. C’est dans ce contexte qu’un jour dans les prochaines semaines, le gouvernement et les FAI performeront un test de la résilience de leur réseau en simulant une coupure de l’internet mondial à l’occasion duquel le trafic russe devra être entièrement redirigé vers des serveurs nationaux et points de contrôle identifiés par le Roskomnazor, l’organe étatique de surveillance des communications (oui, ça sonne exactement comme ce que ça désigne). Fait notable, l’importance de l’opération aux yeux de l’Etat russe est telle qu’il a accepté de prendre à sa charge les quelques 700 millions de dollars que le test et la mise en œuvre des mesures correctives coûteront aux opérateurs privés. Y aurait-il de la graine à prendre ?
#parité
#histoiredelatech
#société
#girlsinhawai
Le problème de la sous-représentation des femmes dans le monde de la tech (et de leur traitement dans ce milieu) est désormais à peu près communément reconnu : le sexisme ambiant de la Silicon Valley et de la Startup Nation ont été pareillement dénoncés, et l’on ne peut que se féliciter des progrès, encore légers mais remarquables, réalisés en faveur de la valorisation du travail des femmes dans ce secteur. Mais en a-t-il toujours été ainsi ? A parcourir cette (assez longue) fresque historique, on s’aperçoit que non : au-delà des quelques femmes “super stars” souvent mises en avant parmi les oublis les plus critiquables de l’histoire des sciences, il y avait aux débuts de l’informatique toute une armée de codeuses, chargée de la programmation quand les hommes ne juraient que par le hardware. C’était un temps différent, celui d’avant le primat du software, d’avant la culture nerd et le modèle du jeune homme blanc un peu asocial, qui a d’ailleurs nui aussi à bien plus d’autres personnes que les femmes. Ce temps nous éclaire sur les stéréotypes qui nous hantent encore aujourd’hui (que l’on pense au traitement des femmes dans le monde du gaming) ; s’il faut une incitation à plus de parité pour demain, on la trouvera dans les réalisations de ces femmes à une époque où l’informatique n’en était encore qu’à ses débuts.
#digisexualité
#androïde
#interactions
#s'il vous plaît... dessine moi !
Il y a quelques Majs de cela, nous vous invitions à réfléchir sur cette nouvelle orientation sexuelle émergente qu’est la digisexualité. Aujourd’hui, nous vous rapportons ce qui se passe en amont et rend cette orientation sexuelle possible : la recherche en Human-Robot Interactions. Derrière ce nouveau champ de connaissance se trouve Hiroshi Ishiguro, pionnier en la matière, dont la quête incessante pour combler la vallée de l’étrange l’a amené, en 2002, à créer un moule de sa fille de cinq ans pour en faire la réplique artificielle et à proclamer qu’il avait créé le premier androïde moderne. Depuis, Ishiguro et son équipe de chercheurs n’ont eu de cesse d’essayer de comprendre ce qui fait que les êtres humains s’attirent et communiquent, verbalement et non-verbalement, dans l’espoir un jour que les relations intimes, qu’elles soient émotionnelles ou sexuelles, soient pleines et entières entre créateurs et créatures. Portrait confidentiel d’un artiste torturé de l’expression humaine.
#réseauxsociaux
#profilage
#conditionnement
#fiftyshadesofpublicitéciblée
Vous avez aimé la publicité ciblée sur Facebook ? Alors vous allez adorer le conditionnement C2C : en utilisant les mêmes outils de ciblage d’utilisateurs offerts par le réseau, il s’agit désormais de contrôler vous-même, “entre particuliers”, la dose quotidienne de posts sponsorisés que verra votre conjoint(e), ami(e), collègue, etc. La technique n’a rien de révolutionnaire, et pourtant il fallait y penser ; certaines sociétés l’ont fait, dont “The Spinner” (dont il est question ici), et les interrogations éthiques ne manquent pas, d’autant plus que le “service” est majoritairement utilisé pour convaincre des partenaires sexuels peu motivés de passer à l’acte… Vous avez dit lavage de cerveau ? D’aucuns soutiennent (et ils n’ont pas tort) qu’il ne s’agit que de la transposition à la sphère privée d’un pouvoir déjà hautement contestable entre les mains de sociétés commerciales. Il n’empêche qu’un cran supplémentaire est franchi, témoignant à notre sens d’un ethos caractéristique et assez désarmant : celui du triomphe du micro-management, étendu jusque dans la sphère intime, et de la substitution de mécanismes de persuasion d’origine commerciale et politique à une communication authentique et bienveillante. En un mot : déprimant.