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Celle qui voit cybernoir – Maj du 26/11/19

L'actu en bref

Cette semaine, beaucoup d’info et peu de lignes directrices, alors, en attendant de vous retrouver au Village de la Legaltech pour notre procès fictif sur la justice privée, plongeons dans le bain. Commençons côté tech : l’accès à Internet bloqué en Iran pour brider la contestation ; Le Monde sort une série d’articles sur les deepfakes – intéressant quand on lit que la tech est utilisée par certains pour revivre des moments intenses avec leurs ex ; d’après Mounir Mahjoubi, Amazon détruit 7900 emplois en France ; l’assistant vocal qui respecte votre vie privée Snips racheté par Sonos pour 37 millions de dollars ; Uber perd sa licence à Londres et ne peut plus y exercer ; Accor Hotels fait face à une fuite de données concernant 140 000 personnes ; Stadia, le service de jeu vidéo dans le cloud de Google, est sorti, et n’enchante pas les foules ; toujours en parlant de Google, il y a moins de meetings avec la direction et ils ne traiteront plus de sujets sensibles, à la suite de trop nombreuses fuites ; la startup de location de scooters électriques Coup va fermer ses portes à Paris ; la ville de Paris mécontente du partenariat entre le comité olympique et AirBnB qu’elle combat ; Sony se lance dans la R&D en IA ; et Facebook nous livre une nouvelle “facebookerie” avec la news qu’une app de reconnaissance faciale avait été développée en interne pour permettre aux salariés d’identifier toute personne ayant un compte sur le réseau.

Côté juridique, on commence avec l’UE : un document de la Commission semble indiquer que celle-ci préparera une réglementation sur l’IA, avec un volet responsabilité civile ; l’EDPB publie des guidelines sur les notions de privacy by default and by design, ouvertes à commentaires jusqu’au 16 janvier ; le Conseil échoue à trouver un accord sur ePrivacy, qui reste dans les limbes pour le moment ; et l’avocat général de la CJUE donne des pistes intéressantes sur le fondement de la contrefaçon, entre délictuel et, selon les cas, contractuel. En France, Macron marche dans les pas du Royaume-Uni sur la lutte contre le porno en ligne pour les mineurs – pour rappel, nos voisins britanniques ont fini par abandonner ; également au menu un projet de réforme de la magistrature ; article intéressant de Legalis qui revient sur la validation de la force probante d’archive.org par nos juridictions ; un conseil de déontologie journalistique sera finalement bientôt créé par la société civile et les journalistes ; le fisc qualifie son projet de surveillance massive #bigbrotherbercy de nécessaire pour “l’équité et la justice” ; et NextINpact nous livre un commentaire enrichissant des aspects numériques de la LOM (que nous ignorions totalement) et révèle que la Commission européenne et la République Tchèque n’ont pas du tout aimé le projet de loi de lutte contre la haine en ligne.

On se quitte sur un appel d’Open Law à ce que le monde juridique se tourne vers l’open science – on acquiesce ; l’IA révèle à quel point Shakespeare a été aidé dans la rédaction d’Henri VIII tout en ratant complètement la traduction d’Hamlet (qui devient “Jambon-laissé”) ; et on se quitte sur la conférence improbable d’Elon Musk pour le lancement de son cybertruck tout droit sorti de Blade Runner – ce qui n’a pas empêché plus de 200 000 personnes de le précommander !

Faites la Maj et à la semaine prochaine !

La semaine dernière, Elon Musk a révélé au monde de l’automobile le prochain véhicule qui allait sortir des Giga Factories de Tesla. Et ce n’est pas tant le fait qu’il s’agisse du premier pick-up électrique du constructeur qui a défrayé la chronique mais plutôt l’orientation esthétique que Musk a choisi de lui donner. En effet, avec sa forme polygonale, ses lignes dures, la froideur de son gris métallisé, ses lignes de phare menaçantes et ses gros pneus à jantes noires, le Cybertruck, car il est ainsi nommé, a de quoi polariser (nous, on le trouve super cool). S’il s’agit d’une sorte d’ovni automobile, son design, lui, ne sort pas de nulle part et emprunte directement à l’univers visuel d’un style particulier de science-fiction qui semble aujourd’hui trouver un écho de plus en plus important : le cyber-punk.

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L’émergence du cyber-punk

Le terme cyber-punk a été popularisé au cours de l’année 1984, que beaucoup qualifient de mythique, par un éditeur de magazine de science-fiction, Gardner Dozois, pour qualifier un groupe d’écrivains émergents de l’époque et plus particulièrement l’ouvrage séminal de William Gibson, Neuromancer, contant les vicissitudes d’un hacker brillant qui tente à tout prix de retrouver l’accès à un réseau informatique mondial, la Matrice, après que son système nerveux central a été endommagé par son employeur qu’il tentait de duper.

Ce que Dozois mettait derrière ce terme, et ce qui qualifie l’esthétique cyber-punk, c’est avant tout une vision pessimiste des évolutions et conséquences envisageables du développement de la science et de la technique, à rebours des utopies technologiques imaginées par les auteurs de science-fiction des décennies précédentes. C’est ainsi que les univers cyber-punk décrivent des mondes dominés par la corruption où les grandes multinationales ont remplacé les pouvoirs étatiques, où l’accroissement de la connectivité entre les individus ne les a pas rendus plus solidaires mais plus solitaires, où la nature a été progressivement détruite pour laisser place à un développement urbain anarchique, hostile et dangereux, où les frontières entre l’univers virtuel et le réel sont tellement brouillées qu’il n’existe plus de repères et où tout personnage est un anti-héros manipulé et mu par ses intérêts personnels sans aucune considération éthique.

Du fait de son attrait graphique, le style cyber-punk a trouvé terreau fertile dans de nombreuses œuvres audiovisuelles des années 80 jusqu’à nos jours, chacune abordant des thématiques propres : Blade Runner de Ridley Scott, en mettant en scène une révolte de robots esclaves, interroge la distinction entre l’homme et la machine ; Akira, en dépeignant la tentative d’appropriation par l’armée japonaise des pouvoirs surhumains découverts chez un enfant, critique la course à l’armement ; Matrix, que l’on ne présente plus, envisage l’asservissement de l’homme à la machine, ou encore, plus proche de nous, Ready Player One décrit un univers où les hommes s’enfuient dans les mondes fastes et luxueux de la réalité virtuelle pour fuir leur pauvreté crasse.

Après une trentaine d’années de vie, l’on aurait pu penser que le style cyberpunk s’essoufflerait ou resterait seulement apprécié par les membres d’une geek culture quelque peu étendue. Mais, comme le montre le Cybertruck cyberpunk d’Elon Musk, que nenni.

Cyber-punk is not dead

Bien au contraire, il semble que le style cyber-punk est aujourd’hui de plus en plus prévalent. Preuve en est que les industries du divertissement exhument ses œuvres fondatrices pour en faire nombre de remakes ou de suites très grand public : avec Blade Runner 2049, Denis Villeneuve a parachevé l’œuvre de Ridley Scott, Scarlett Johansson a interprété le rôle de Major dans l’adaptation cinématographique de l’anime iconique Ghost in the Shell, toujours côté adaptation, Warner Bros a lancé la production d’un Akira en live-action et le célèbre producteur de jeu, CD Projekt Red, sortira en avril prochain une version vidéo-ludique du jeu de rôle sur table Cyberpunk 2020.

Si le cyberpunk connait un tel engouement qu’il en vient à dicter le design d’un pick-up et à attirer les budgets d’Hollywood, c’est peut-être que ses thématiques nous sont contemporaines.

En effet, lorsque l’on prend le temps de réfléchir à la diversité et la rapidité avec lesquelles l’innovation technologique a lieu, il est difficile de ne pas en avoir le vertige et l’impression que rien n’est véritablement maîtrisé : Boston Dynamics est en train de nous faire des robots qui font de la GRS, Elon Musk de tenter de nous envoyer sur Mars avec Space X et de nous hybrider avec une machine via Neuralink, Google, Amazon et Apple se tirent la bourre pour nous équiper en assistants vocaux à un point que l’on en est à se demander s’il faut apprendre à nos enfants à les respecter en tant qu’ « entités » pour ne pas qu’ils les maltraitent, les avancées dans le domaine de la biologie de synthèse nous laissent entrevoir la possibilité de faire des legos avec le vivant, l’éthique de l’intelligence artificielle est en train de devenir une véritable discipline… (on va s’arrêter là mais on pourrait continuer).

Côté économico-politique, les grandes entreprises du numérique grossissent à vue d’oeil et concentrent entre leurs mains de plus en plus de pouvoir de sorte que l’on parle régulièrement de les démanteler, les plateformes se transforment progressivement en des Etats en leurs domaines et commencent à taquiner les prérogatives régaliennes des nations existantes comme en témoigne le projet de cryptomonnaie Libra, initié par Facebook.

Côté planète, le développement des villes et de l’activité humaine, amenés grâce aux innovations technologiques, est en grande partie responsable des dérèglements climatiques actuels en ce que les conséquences écologiques ont pendant longtemps été considérées comme de simples externalités négatives.

Si aujourd’hui, donc, le cyberpunk fascine toujours plus, c’est peut-être qu’il ne parle plus d’un futur envisageable comme cela put être le cas dans les années 80 mais d’un présent bien immédiat.

Et pour finir de vous achever le moral en ce mardi froid de novembre, on vous laissera avec cette citation de Mike Pondsmith, créateur du jeu de rôle sur table Cyberpunk 2020 :

« Dans un univers cyber-punk, il n’est pas question de sauver l’humanité. Il est seulement question de se sauver soi-même ».

Le Gif de la semaine


À la semaine prochaine, à mi-chemin entre l'admiration et la consternation !