Guérir le cancer d’un coup de ciseaux : c’est la promesse que porte CRISPR-Cas9, un outil de génie génétique qui permet de cibler et d’altérer les gènes avec une précision jusque-là inégalée. Mais si cette technique peut mener à la guérison de maladies qui tourmentent l’humanité depuis toujours, elle peut tout autant être utilisée pour mettre en œuvre une véritable sélection eugénique. Comme souvent, la technologie semble à peu près neutre, et c’est l’utilisation que nous en ferons qui déterminera si elle était bonne ou mauvaise. La technologie, un combat entre le côté obscur et clair de la force ? Pas si simple.
Un enjeu géopolitique de taille
Les notions de bien et de mal sont en effet très relatives selon les cultures, et des pratiques qui peuvent choquer chez nous pourront sembler normales ailleurs, et vice versa. Il en va de même pour la technologie et l’approche des tests scientifiques. C’est ainsi que deux des articles sélectionnés cette semaine traitent, au fond, de la différence d’approche entre la Chine et le combo États-Unis/Europe : la Chine a déjà testé CRISPR-Cas9 sur plus de 80 hommes et femmes (nous en sommes loin) et a procédé au clonage de primates (nous nous sommes arrêtés à la chèvre).
En effet, si les États-Unis et l’Europe n’ont pas à rougir de leurs chercheurs, bien au contraire, ceux-ci sont souvent limités dans leurs expérimentations par des normes éthiques et morales contraignantes dont le respect est assuré par des administrations vigilantes. La Chine ne connait pas ces limitations, et c’est ainsi que des outils créés aux États-Unis se retrouvent testés sur l’Homme pour la première fois en Chine.
L’innovation, un but en soi ?
L’incarnation de ces barrières éthiques est le principe de précaution, qui veut que, face à des risques de dommages irréversibles, l’on prenne le plus tôt possible des mesures effectives pour prévenir la dégradation de l’environnement, de la santé ou de l’alimentation, même en cas d’absence de certitudes scientifiques. L’idée derrière ce principe est bien entendu qu’il vaut mieux prévenir que guérir, mais les détracteurs du principe arguent qu’à force de trop vouloir ménager la chèvre (non clonée, vous l’aurez compris) et le chou, le risque est de perdre la course à l’innovation.
Cela suppose évidemment qu’une telle course existe. Cependant, nous serons forcément confrontés tôt ou tard à un choix : si d’autres pays continuent à innover en faisant fi de nos principes, quelle attitude adopter ? Il faudra soit parvenir à des standards éthiques internationaux et s’assurer de leur respect, soit renoncer à nos valeurs et participer à ce qui sera bien devenu une course à l’innovation, soit renoncer à la primauté de la découverte et en subir les éventuelles conséquences.
L’actu en bref
Cette semaine, Amazon a mis un pied dans le futur en ouvrant sa première boutique sans caisse, une app de fitness dévoile des secrets défense, Édouard Philippe a précisé les règles applicables aux plateformes de type Airbnb, et 172 milliards de dollars auront été volés par des cybercriminels en 2017. Il y a également eu des remous sur la neutralité du net, avec l’immixtion de Burger King dans le débat à coups de Whoppers et les premières prises de décrets rétablissant la neutralité au Montana et à New York. En d’autres nouvelles, APB est mort, vive Parcoursup, et donc la mise en demeure de la CNIL est pour le moment close. Enfin, notons que la CJUE a suivi l’avocat général en considérant que Schrems est bien un consommateur contre Facebook, mais n’est qu’un seul consommateur et ne peut agir qu’en son nom propre, et gardons un œil sur cette question préjudicielle à propos de la surveillance de masse non ciblée.
À ne pas rater cette semaine
Sinon, on vous parle bien entendu de données personnelles, puisque le 28 était la journée mondiale de protection des données personnelles : la CNIL en profite pour fêter ses 40 ans et publier un nouveau guide de la sécurité des données personnelles, tandis que la Commission Européenne lance en grande pompe son site de mise en conformité RGPD. C’est une semaine chargée pour la Commission puisqu’elle a également sanctionné Qualcomm à hauteur de 997€ millions d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des puces pour smartphones en payant Apple pour maintenir son exclusivité sur les iPhones. Nous cherchons à comprendre pourquoi ce n’était pas plutôt une entente, avis à nos lecteurs spécialistes de droit de la concurrence. Une fois n’est pas coutume, un TGI bien de chez nous a également fait pleuvoir les millions en condamnant Sony Mobile, Motorola et Acer à payer 47 millions d’euros au titre de la copie privée. On conclut la sélection de la semaine avec un trio IA : (i) le deep learning est utilisé pour faire du fake porno ; (ii) l’utilisation de l’IA dans la vidéosurveillance peut conduire à une société de la surveillance permanente ; et (iii) la Suède, comme d’habitude, est un pays parfait, même quand il s’agit d’appréhender l’IA.
Enfin, nous vous proposons cette semaine une contribution originale car il s’agit d’un projet d’amendement que nous avons rédigé. Dans le cadre de la lecture du projet de réforme de la loi informatique et libertés, nous avons joué à l’apprenti-législateur et avons rédigé une proposition d’amendement pour autoriser et encadrer la justice prédictive. N’hésitez pas à rebondir sur cette proposition !
Faites la Maj, et à la semaine prochaine !
Ce qu'on lit cette semaine
#génétique
#crispr-cas9
#géopolitique
#confuciussealofapproval
Le Wall Street Journal est passé à un modèle tout-payant, mais cet article vaut le coup, alors tentez de vous le procurer ! Il est en effet assez rare de tomber sur des articles agréables à lire et bien informés sur les biotechnologies et la génétique. Il est encore plus rare que ces articles traitent de l’aspect géopolitique de la recherche scientifique, et surtout, des limitations éthiques et morales à la recherche scientifique. Ici, il s’agit de la première utilisation de l’outil de modification génétique CRISPR-Cas9 par des scientifiques chinois, alors que la découverte est américaine. La course à l’innovation est lancée, et attend les réponses des administrations étasuniennes et européennes pour que de nouveaux prétendants entrent en scène.
#génétique
#clonage
#c'estpasfinilessingeries?
Alors que la Chine est en train de se positionner pour prendre la première place mondiale en matière de développement de l’intelligence artificielle, il semblerait qu’elle soit également bien placée sur le marché de la recherche dans un autre domaine clef : la génétique. Des chercheurs de la Terre du milieu ont ainsi récemment réussi à donner vie aux premiers primates clonés en utilisant la même technique qui nous avait valu l’inénarrable et l’irrévérencieuse Dolly. Pour ce faire, les chercheurs ont dû faire face à un certain nombre de barrières techniques qui, maintenant qu’elles sont tombées, nous rapprochent à grand pas du clonage humain. De toute façon, si on veut très fort que ça n’arrive pas, ça peut pas arriver, hein ?
#cybersécurité
#gdpr
#unguidepourlesgouvernertous
La CNIL, dont Le Monde nous rappelait récemment qu’elle entrait en grandes pompes dans la classe des quadra, poursuit son petit travail de pédagogie du GDPR, en se concentrant cette fois-ci sur un aspect on ne peut plus actuel : la sécurité des données personnelles. On trouvera dans ce joli guide, accessible en ligne comme en PDF, un survol complet de toutes les bonnes pratiques et mesures techniques recommandées, qui, à l’approche du 25 mai, se justifient tout autant par l’impératif de conformité au nouveau texte que par des raisons opérationnelles très pragmatiques – la sécurité des systèmes étant devenue la préoccupation majeure de toute entreprise un tant soit peu consciente des menaces de son époque.
#gdpr
#mieuxvauttardquejamais
Le site officiel GDPR est arrivé ! Tandis que la CNIL met en garde les entreprises contre les faux prophètes du nouveau règlement, ces prétendus experts qui ne visent qu’à escroquer les plus crédules, la Commission Européenne dévoile enfin son propre service en ligne pour accompagner la mise en conformité. Un site encore un peu rudimentaire, qui a le mérite de présenter l’information par catégories ; on compte sur l’avenir pour apporter des outils plus affûtés – par exemple une base de données des pratiques des autorités de contrôle nationales ?
#concurrence
#unboncoupd'antipuces
L’actualité est décidément aux puces : quand elles ne présentent pas des failles menaçant gravement la sécurité des systèmes, elles font l’objet d’un abus de position dominante accablant deux des plus importants acteurs du marché. Qualcomm, fabricant de puces, se fait ainsi épingler pour avoir consenti à Apple, son principal client, des versements juteux en échange d’une exclusivité d’approvisionnement ; pour la Commission Européenne, ça ne passe pas, et ça mérite même une amende salée, prouvant une fois encore qu’en matière de frapper fort, à Bruxelles, on sait rivaliser avec les Etats-Unis.
#copieprivée
#droitd'auteur
#droitunioniste
#revoistacopiesony
Une leçon de propriété intellectuelle et de droit unioniste, c’est ce à quoi s’est livré le TGI de Paris pour condamner trois constructeurs de téléphones mobiles, cartes mémoires et autre tablettes, au versement de 47 millions au titre de la redevance pour copie privée. Les constructeurs contestaient tout de go le fait que les supports de copie de sauvegarde et de migration ainsi que les téléchargements payants d’œuvres protégées étaient rentrés dans l’assiette du calcul de leurs redevances. Aussi souhaitaient-ils, secrètement, voir s’appliquer une présomption d’usage professionnel lorsque que des supports de copie sont vendus à des personnes morales. Rejetant les moyens tirés de l’inconventionnalité de la loi française au regard de la directive Infosoc, c’est peut-être tout le système français de la rémunération pour copie privée que le TGI sauve. Certaines problématiques soulevées n’étaient pourtant pas dénuées d’intérêt.
#fakenews
#IA
#dulardouducochon
#verydeeplearning
IA, porno et fake news : c’est la recette de ce sujet ahurissant, où l’on apprend que grâce à un réseau de neurones en open source, il est désormais possible à (presque) tout un chacun de créer des vidéo “face-swappées” tout à fait convaincantes – comprenez : d’insérer l’image du visage d’une personne A sur celle du corps d’une personne B. Ici comme ailleurs, la première application est triviale : des fausses vidéos porno mettant en scène des stars hollywoodiennes. Mais ajoutez à cela une volonté malhonnête de désinformation, et vous aurez une idée du monde dans lequel nous entrons malgré nous ; il sera bientôt plus qu’urgent de réinventer les bases de nos systèmes de validation et de confiance.
#vieprivée
#IA
#surveillance
#enfintrouvercharlie
Quand l’intelligence artificielle rencontre la télésurveillance, cela donne la « Vision as a Service », ou bien encore le google des vidéos de sécurité qui permet de faire de la recherche de séquences par requête en langage naturel. Autant de technologies qui peuvent aider efficacement dans la lutte contre la criminalité. Mais, ici comme ailleurs, de la possibilité de perpétrer des préjugés discriminatoires jusqu’à la préservation de la vie privée des citoyens, l’utilisation du machine learning dans le cadre de la sécurité publique suscite de nombreuses interrogations techno-éthiques. Cet article fait ainsi état des développements actuels des outils d’analyse vidéo pour en révéler les zones d’ombre. Une réflexion bien nécessaire alors que la Chine et la Russie les utilisent déjà pour faire du contrôle social de masse.
#IA
#travail
#automatisation
#lefjorddelasérénité
Tout va toujours bien dans le meilleur des mondes et l’image d’Epinal des pays nordiques continue de se dessiner pour tous nous déprimer. Alors que partout l’on entend crier que près de la moitié des emplois qui existent aujourd’hui seront détruits par l’automatisation et qu’il faut s’en inquiéter, en Suède, l’on continue à mener une vie doucereuse avec une foi indéfectible dans l’avenir… et dans l’Etat. Cet article, interview à l’appui, rapporte l’opinion de plusieurs suédois dont les emplois ont directement été affectés, chacun à leur manière, par les nouvelles technologies sur fond de débat socialisme vs. libéralisme. Nous vous autorisons à être un peu agacé qu’ils aient, une fois de plus, l’air si parfaits.