Peu d’affaires sont aussi médiatiques et suivent un parcours judiciaire aussi compliqué que l’affaire Vincent Lambert, et pour cause : au travers du bras de fer entre plusieurs membres d’une famille déchirée sur le destin de l’un de ses membres, c’est bien la question de la définition de la vie et de la mort qui nous est collectivement posée.
Le double épuisement de toutes les voies de recours
Vincent Lambert avait 32 ans lorsqu’un accident de moto l’a plongé dans un état végétatif. Toute la question qui occupe désormais sa famille, son équipe médicale et les nombreuses juridictions saisies est de savoir s’il faut continuer à lui prodiguer des soins de maintien en vie, en espérant une amélioration de son état, ou si l’arrêt du traitement doit être prononcé, pour le laisser doucement partir. Le parcours judiciaire de la question est particulièrement remarquable : après être montée une première fois jusqu’au Conseil d’État en 2014, qui s’était prononcé en faveur d’un arrêt des soins, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait été saisie et avait prononcé un gel de la décision le temps qu’elle statue, pour finir par valider la décision du Conseil d’État. Peu ou prou le même parcours judiciaire vient d’être réitéré, le Conseil d’État et la CEDH ayant tous deux récemment rejeté des recours visant à maintenir Vincent Lambert en vie. L’affaire s’est emballée ces deux dernières semaines avec un appel au Président et la saisine du Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU. Alors que les soins avaient été interrompus lundi 20 mai au matin, la Cour d’appel de Paris a ordonné le soir même la reprise des traitements dans l’attente d’un avis, pourtant non contraignant, de ce comité.
On saisit ainsi au travers de ce parcours judiciaire hors du commun à quel point le débat qui fait actuellement rage dépasse le cadre de cette famille. Cela fait maintenant un certain temps que les avancées de la médecine et de la technique nous permettent de maintenir les fonctions vitales d’une personne en état végétatif, toute la question étant de savoir si cela est souhaitable ou non. Le fait de parler de “maintien en vie” est déjà, en soi, une prise de position : est-ce que le fait de respirer et d’être nourri artificiellement est un état de vie ? À l’inverse, comment prendre la décision, et, d’une certaine façon, le risque, de dire qu’il faut cesser tous efforts ? À l’occasion d’une réflexion sur la mort numérique, nous avions déjà eu l’occasion de revenir sur la complexité qu’il y a à définir la vie et la mort dans la société moderne, et le cas de Vincent Lambert ne fait que confirmer à quel point les cartes sont rebattues.
La défaite du droit
Le droit n’apporte d’ailleurs que peu de réponses. Dès 2005, la loi Léonetti avait prévu une obligation de cesser les soins “lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable” et une faculté de les cesser “lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie“. La lecture de ces critères donnerait des sueurs froides à tout juriste : comment assurer la mise en œuvre de dispositions aussi floues et larges ? Elles n’apportent surtout aucune aide à la définition de la vie, si ce n’est qu’elle peut être maintenue artificiellement, ce qui semble indiquer qu’un état végétatif reste, juridiquement, un état de vie. La loi Léonetti était allée plus loin : elle avait également prévu la possibilité d’une “sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès” dans des cas incurables. Qu’il s’agisse de la faculté de cesser les soins ou de l’euthanasie, le texte confère à chacun la possibilité de décider pour soi-même en exprimant des directives anticipées – s’il y a une leçon à retenir de cette affaire, c’est bien qu’il est souhaitable d’énoncer clairement de telles directives sur un support durable, afin d’éviter les déchirements que connait aujourd’hui la famille Lambert.
Nos questions quant à elles restent comme bien souvent sans réponses : si des directives avaient permis de trancher le cas de Vincent Lambert dans un sens comme dans un autre, la question se serait posée avec un autre cas. In fine, c’est bien le rôle de la médecine moderne qui est remis en question : pendant des siècles, le médecin avait pour unique charge la guérison des malades, dans la mesure de ses capacités. Le vaccin a le premier rebattu les cartes en permettant une prévention massive. Aujourd’hui, la chirurgie esthétique permet de subir des opérations dans un but non thérapeutique. Les progrès phénoménaux de ces dernières années ne peuvent que permettre d’espérer d’autres avancées majeures, ce qui nourrit de nombreuses réflexions sur l’avenir de la médecine. On pense ainsi au mouvement transhumaniste, dont l’un des buts est de considérablement allonger la durée de vie, voire l’étendre indéfiniment. Dans cette attente, dans cet espoir, peut-on cesser de traiter des malades qui pourraient être sauvés par la suite, quand bien même cette question ne se posait pas il y a quelques années ? Inversement, combien de temps attendre des avancées scientifiques avant de cesser les traitements ? Y a-t-il un droit au maintien indéfini en vie dans l’espoir d’une renaissance, comme une forme de cryogénisation ? Les réponses ne peuvent venir que d’un débat collectif, à l’instar des échanges sur les réformes des lois bioéthiques, mais il faut leur trouver des réponses rapidement : ce ne sont que les questions d’aujourd’hui, alors que déjà, les questions de demain commencent à se poser, les premières étant de savoir si le vieillissement lui-même peut être considéré comme une maladie et, le cas échéant, qui veut vivre pour toujours ?
Ce qu'on lit cette semaine
#espace
#publicité
#écologie
#3001lodysséedelapub
Et si nous avions fait tout ça, Spoutnik, Gagarine, Armstrong, pour le seul bénéfice d’un plus écran que le 4K de notre salon (pour les plus chanceux) ? C’est le constat un peu déprimant qui ressort de la liste d’exemples, détaillée par cet article, de sociétés à travers le monde dont l’objectif assumé serait de transformer l’espace au-dessus de nos têtes, ces immensités sidérales, en méga-support publicitaire et/ou nouveau lieu de divertissement. La technologie sous-jacente (des mini-satellites très faciles à propulser en orbite, tant et si bien que l’espace n’est déjà plus le pré carré de programmes gouvernementaux) paraît tellement enthousiasmante qu’on serait tentés de se prendre au jeu, si l’on avait conscience à la fois des enjeux écologiques et géopolitiques de cette saturation de l’espace en objets volants (pas toujours bien identifiés). Le jeu en vaut-il la chandelle ? Nous n’en sommes pas certains. Faut-il pour autant, comme y appelle l’article, interdire purement et simplement l’affichage de publicités en orbite ? A tout le moins, on en ressort avec la conviction que le prochain droit à la mode sera le droit spatial.
#Régulation
#GAFAM
#lobbying
#desversdanstouteslespommes
Quitte à se faire réguler, c’est quand même plus sympa quand ça vient de chez soi. Dans la grande discussion sur la régulation des algorithmes et l’éthique de l’IA, les grands de ce monde arrivent à placer leurs pions dans les commissions de réflexion qu’il faut et, grâce à un lobbying intense, à orienter les législateurs vers des régulations plus soft. C’est ainsi que le groupe d’expert formé par la Commission Européenne a été investi de nombreux membres proches des GAFAMs, avec pour principal effet que ces derniers ont réussi à faire substituer du rapport final du groupe la notion de « ligne rouge » au profit de celle de « sujet d’inquiétude » pour qualifier les sujets que vous imaginez comme les armes autonomes ou le scoring citoyen. De même avons-nous vu Microsoft apporter son soutien, en février, à un texte devant le Sénat américain qui autorisait le test des outils de reconnaissance facial par des tiers pour en contrer un autre qui interdisait leur utilisation par les gouvernements fédéral et locaux et par la suite faire échouer, devant la Chambre des représentants, l’adoption du même texte qu’elle avait initialement soutenu après qu’un amendement avait durci les règles sur la reconnaissance faciale. Les GAFAMs, too big to independantly regulate?
#haine
#internet
#Régulation
#plateformes
#jevousdemandedevousarreter
Y a-t-il un régulateur dans l’avion ? Ou bien a-t-on définitivement perdu le fil ? Le fameux « appel de Christchurch » poussé par les gouvernements français et néo-zélandais à l’occasion des deux mois de la tuerie, qui avait mis sur le devant de la scène les difficultés des plateformes à contenir la diffusion de contenus odieux, en dit finalement plus sur la volonté de positionnement politique respective de ces gouvernements et de ces plateformes, que sur les réels efforts qui pourraient et devraient être mis en œuvre pour atteindre ces objectifs. Au-delà de la pure communication et des déclarations de bonne volonté, les mesures réellement efficaces (les entreprises concernées le savent et le disent, comme nous le rappelons souvent ici) restent à imaginer et expérimenter, tant le problème est un sac de nœuds technique, éthique et politique. On grincera donc un peu des dents à la lecture de cet « appel » qui aligne beaucoup de « promesses » en réalité déjà inscrites dans la loi et mises en place de longue date par les grandes plateformes – et l’on remerciera Nextinpact de ce nouveau travail d’analyse et de relevé de ces incohérences un peu tristes. A quand des groupes de travail pluridisciplinaires et multisectoriels pour de vraies recherches appliquées, en lieu et place d’un marketing politique qui, à force de tourner en rond, croit réinventer la directive eCommerce ?
#géopolitique
#USA
#chine
#coexistence
#parabellum
La montée des tensions entre les Etats-Unis et la Chine, dont nous décrivons les étapes au fil de ces colonnes, inquiète, menace et concerne de fait l’ensemble de la planète ; après tout, un affrontement armé, ou même seulement commercial, comme c’est déjà le cas, des deux premières superpuissances, dans un monde globalisé, ne peut qu’avoir des externalités fortement négatives à grande échelle. Aussi est-ce un (r)appel à la raison que cet article essaie de représenter : il n’y a pas besoin d’être d’accord sur tout, ni même paradoxalement sur l’essentiel, pour vivre ensemble dans un système de règles mutuellement acceptées pour éviter de perdre la totalité du bien commun (fût-elle réduite à la simple possibilité d’une existence humaine). C’est ainsi qu’ont vécu les mêmes Etats-Unis et l’URSS pendant plusieurs dizaines d’années, nonobstant plusieurs points de tension majeurs. Cela supposerait toutefois de reconnaître d’abord le risque qu’aucun acteur ne sorte gagnant de cet affrontement, et donc la mesure de recul et de tempérance qui semble malheureusement manquer aux décideurs actuels au sein des deux protagonistes. Que peut donc à nouveau représenter l’Europe, si ce n’est une troisième voie raisonnable ? Dans l’affaire Huawei, les Etats membres ont choisi ce positionnement. Gageons que cela pourra aider.
#sécuritédesfrontières
#surveillance
#USA
#ànepasconfondreavecwall-E
L’on a partout entendu parler du projet de Trump de construire un mur physique tout le long de la frontière USA-Mexique, bien moins avons-nous entendu parler du projet de mur virtuel. Et pour cause, le projet est soutenu par un groupe de députés bipartisans, dont la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, et promet des résultats similaires pour une fraction du prix du projet de Trump. De quoi pourrait être constitué ce e-Wall ? De l’usage plus intensif de drones pour les opérations de surveillance et d’investigation en terrain accidenté (plus efficaces que les Predators eux-même déjà en usage), de tours de contrôle autonomes et d’algorithmes de machine learning pour analyser les images de surveillance de manière plus précise et rapide que les agents de sécurité frontalière, potentiellement couplé avec de la reconnaissance faciale, une trâlée de capteurs en tout genre, dont des radars LIDAR (la même technologie que dans les voitures autonomes), et une amélioration de l’infrastructure de télécommunication le long de la frontière pour permettre une meilleure coordination des agents. On se passera de commenter les aspects liés à la vie privée pour relever surtout que de nombreux experts doutent de l’efficacité même du e-Wall car il ne résout pas les causes sous-jacentes de l’immigration illégale et du trafic de drogue.
#sleeptech
#siliconvalley
#quantifiedself
#unsommeilaigredoux
C’est la nouvelle tendance de la Silicon Valley, toujours soucieuse de repousser les limites de ses capacités. Après que de nombreuses idoles de la tech aient personnellement investi dans ce monde de la tech de la nuit, voire même pour certains se sont affichés comme des fervents utilisateurs de ses produits, le sommeil est devenu le nouvel el Dorado de la quête de productivité. Avec la possibilité d’avoir des unités de mesure, des indicateurs de performance, des beaux dashboards de visualisation de données et une promesse d’amélioration des performances cognitives, tout était fait pour que le sleep tracking s’intègre seamlessly dans la « culture entrepreneur », quitte à ce qu’elle ne veuille pas voir ces études qui concluent que les appareils actuellement sur le marché ne sont pas suffisamment fiables pour être heuristiques ou à devenir orthosomniaque et ne pas dormir du fait de ne pas arriver à bien dormir. La boucle est bouclée.