Vous le lisez souvent dans ces lignes, le numérique pose peu de problèmes totalement nouveaux, mais le caractère exponentiellement exacerbé de ceux qu’il catalyse en change l’échelle à tel point que les solutions d’antan ne sont pas toujours les plus adaptées. La situation est différente avec le sexisme : nous sommes loin d’avoir réglé le problème dans le monde analogique, et s’il est encore plus présent dans le monde de la tech, ce n’est que du fait de l’homme.
L’origine du monde informatique
Le constat est en effet sans appel : en 2016, selon le magazine Usine Nouvelle, les femmes ne dirigeaient que 12 % des start-up et elles ne représentaient que 30 % des salariés du secteur, proportion stagnante depuis 2013. Ces chiffres sont corroborés par ceux de la Silicon Valley : seuls 11% des dirigeants et 20% des développeurs de la Silicon Valley sont des femmes, et les chiffres sont similaires pour le monde de l’investissement et du financement de la tech. Bien entendu, cette disparité dans la représentativité va de pair avec une inégalité de rémunération, encore plus forte dans le milieu de la tech que dans le reste de la société. Ces chiffres ne sont pas nouveaux : dès 1997, un article de Business Week titrait “Pourquoi les femmes sont si invisibles“. Cerise sur le gâteau, l’environnement du monde de la tech tend à favoriser les comportements sexistes : une certaine culture “bro” (pour brother) s’est développée dans la plupart des pans de la tech (notons ainsi les variantes vidéoludique brogamer ou de programmation brogrammer), perpétuant les comportements déplacés, voire le harcèlement. Les exemples sont trop nombreux pour être listés, mais les plus marquants sont sans conteste le Gamergate, une campagne de harcèlement de plusieurs journalistes spécialisées en jeu vidéo, et les révélations sur la culture d’entreprise d’Uber, qui ont précipité le départ de son fondateur Travis Kalanick.
Pourtant, le monde de la tech était initialement quasi intégralement féminin ! Cette photo bien connue montre ainsi des femmes en train de programmer l’ENIAC, le premier ordinateur électronique et Turing-complet (ce qui signifie grosso modo que l’on pouvait l’utiliser pour programmer n’importe quel type d’algorithme). Bien que cela soit dû au fait que la programmation était alors perçue comme un “travail de femme“, nécessitant des capacités organisationnelles censées être typiquement féminines, force est de constater que les débuts de l’informatique moderne étaient entièrement féminins. En conséquence, les premières grandes inventions du numérique sont dues à des femmes : notons ainsi le travail de l’informaticienne Grace Hopper, conceptrice du premier compilateur. Même le mot anglais “computer” est étymologiquement lié à la femme : il s’agissait originellement du nom donné aux personnes qui “computaient“, i.e. qui effectuaient des calculs nécessaires à des grandes découvertes, mais jugés fastidieux. Les computers étaient donc principalement des femmes.
L’informatique est un nom féminin
Comme dans les autres pans de la société, la lutte contre le sexisme dans la tech a pris de l’importance ces dernières années. On note d’abord de nombreuses initiatives de dénonciation des comportements déviants, comme celles contre Riot Games ou Google, sans reparler de celle ayant conduit au limogeage du patron d’Uber. Plusieurs associations existent également pour promouvoir la diversité et favoriser l’égalité de parcours dans la tech, comme Women in tech ou Girls who code. Pour aller de l’avant, de nombreuses initiatives de formation se développent, s’adressant à la fois aux femmes pour former plus d’ingénieures informatique, et aux hommes et au monde de la tech pour le rendre plus accueillant. En France, on peut ainsi noter la startup Social Builder ou le choix par l’école 42, déjà épinglée pour des faits de harcèlement, de nommer à sa tête une directrice, ce qui a déjà porté ses fruits.
Si ces progrès et initiatives sont encourageants, la vigilance reste de mise, car l’environnement sexiste du monde de la tech peut impacter le développement des produits informatiques eux-mêmes. Ce n’est pas un hasard si les voix des assistants vocaux sont des femmes : il ne s’agit que de la perpétuation d’un cliché genré. De la même manière, Amazon a mis fin à l’utilisation d’algorithmes de recrutement auto-apprenant après s’être rendue compte que ceux-ci étaient discriminants, puisqu’ils s’étaient fondés sur les chiffres de répartition interne de la masse salariale, déjà biaisés. La lutte contre la reproduction des biais sexistes de notre société dans les produits tech passera ainsi à la fois par l’augmentation du nombre de femmes dans la tech et des actions ciblées, tels que les audits genrés – autant de pistes d’action récemment développées dans un rapport auquel Hugo a participé. Après tout, l’informatique est un nom féminin.
Ce qu'on lit cette semaine
#assistantsvocaux
#discrimination
#genre
#l’antiféminismedesgafam
L’UNESCO a récemment déposé un rapport sur les inégalités de genre dans le numérique. Parmi les axes d’étude se trouve celui des assistants vocaux, et de leurs voix féminines, qui à la fois traduisent et aident à véhiculer des préjugés et des discriminations de genre. C’est ainsi que leurs fabricants GAFAM indiquent que leurs tests montrent que les voix féminines sont plus appréciées et se vendent mieux (à même ne pas en prévoir la possibilité d’une option masculine) et que des études expliquent ce phénomène comme étant la résultante de l’association inénarrable de la féminité avec certains attributs de serviabilité, de docilité de désir de plaire. Sorte de véhicule du stéréotype de la secrétaire, les assistants vocaux se montrent également très permissifs à l’égard des comportements relevant du harcèlement sexuel avec des réponses passives voire parfois même proche du flirt. Parmi les recommandations du rapport, l’on trouve une plus grande intégration des femmes dans les panels de conception et de développement de produit mais également le recours à des voix non genrées.
#haine
#lcen
#plateformes
#hébergeur
#onrefaitlematch
Quelques mois après la publication de la première version de la loi dite Avia contre la haine sur Internet, le Conseil d’Etat vient de rendre sa copie. Ou plutôt de revoir celle de la députée : dans un avis mi-figue mi-raisin, la juridiction suprême reconnaît que le texte poursuit des objectifs louables et actuels, sans manquer d’épingler plusieurs incohérences ou difficultés liées au champ d’application, à l’absence du juge judiciaire dans la procédure de retrait des contenus, et au rôle du CSA, autorité administrative désignée par la loi. Surtout, le Conseil d’Etat relève trois points incontournables selon nous des débats contemporains sur la gestion des retraits de contenus en ligne : la nécessité d’un débat contradictoire entre les utilisateurs concernés et la plateforme ; l’importance de solutions permettant de traiter efficacement (mais intelligemment) le problème des sites miroirs ; enfin la très relative pertinence du niveau national pour régler ces sujets, quand l’échelon unioniste apparaît, a minima, le seul à permettre une stratégie cohérente face à des techniques et des usages entièrement transnationaux. La députée Avia a déclaré qu’elle en tiendrait compte, sans pour autant renoncer à l’esprit général de son texte – la suite au prochain épisode !
#assange
#libertéd'expression
#tupousseslebouchontroploinMaurice
C’était l’annonce qui a fait trembler Assange et, pour une fois, tous les médias américains avec lui. Initialement principalement poursuivi pour avoir proposé à Chelsea Manning de craquer un mot de passe des ordinateurs du Département de la Défense, le Département de la justice américain a décidé d’étendre le champ des poursuites contre le fondateur de Wikileaks. Ce sont désormais contre plus de 17 violations alléguées de l’Espionage Act visant la publication d’informations classées secrètes qu’il va devoir se défendre. Jusqu’à présent, le DoJ, y compris sous l’administration Obama au moment de la commission des faits par Assange, s’était toujours interdit de poursuivre les fuites d’information classée secrète en considération du premier amendement. Aujourd’hui, l’administration Trump, peut-être galvanisée par un Supreme Court désormais conservateur, a décidé de rouvrir le dossier en justifiant les poursuites engagées par le fait qu’Assange n’était pas un journaliste, une distinction inexistante dans l’Espionage Act. Même combat qu’en France avec les convocations de journalistes par la DGSI ?
#fakenews
#twitter
#sowhat?
C’était un petit coup de com’ judiciaire d’un sénateur et d’une députée du Parti communiste contre la loi Fake News. Souhaitant arroser l’arroseur, ces derniers ont ainsi demandé en référé le retrait du tweet du ministre de l’intérieur qualifiant la pénétration de manifestants dans la Pitié-Salpêtrière d’ « attaque ». Résultat ? Un débouté implacable des parlementaires par le TGI de Paris qui relève qu’aucune des conditions pertinentes ne sont remplies dans la mesure où les allégations de M. Castener, quoiqu’exagérées, portaient sur des faits avérés, que le tweet n’avait pas été diffusé de manière artificielle ou automatisée et qu’elles n’étaient pas de nature à altérer la sincérité du scrutin des européennes, de nombreux média lui étant par la suite tombés dessus. Ah oui, et les parlementaires avaient également assigné l’entité française de Twitter qui n’héberge pas la plateforme et ont donc également essuyé une fin de non-recevoir. Bon… Pour la décision, c’est ici.
#piratage
#droitd'auteur
#internet
#durhumdesfemmesdutorrentnomdedieu
Il y a dans ces articles un petit parfum proustien de souvenir édulcoré, mais bien palpable, pour toute une génération à tout le moins : celle qui, adolescente, a découvert ThePirateBay, et s’est sans trop réfléchir jetée dans l’océan de contenus que la plateforme semblait offrir. C’était presque encore les débuts d’Internet, en tous cas de l’Internet très grand public. Sur nos Netflix, Spotify ou Apple Music, aujourd’hui, nous ne pensons plus forcément que ce site existe encore, d’autant plus si l’on se souvient des multiples actions judiciaires qui l’ont visé, lui, que ce soit à travers ses éditeurs ou les FAI, en France comme ailleurs. De blocage en blocage, le site poursuit cependant son chemin, à travers la fameuse technique des miroirs. Au-delà du juridique (quoique le droit ne puisse ignorer ces réalités), le plus remarquable tient dans la manière dont ThePirateBay survit désormais à travers une communauté presque parfaitement anonyme, puisque ses créateurs initiaux ont abandonné l’aventure, jusqu’à devenir, peut-être, un commun lui-même ? Le libre appliqué à lui-même. Evidemment, il y a là quelque chose d’absolument politique, quand les pratiques se sont depuis tournées vers le streaming, qui plus est légal ; pourtant la notoriété du site, à l’époque à tout le moins, doit nous en dire long sur les causes et les possibles solutions du piratage, qui ne sont pas forcément à chercher dans le blocage et la répression systématiques. Vous avez dit “culture Internet” ?
#libre
#internet
#histoired'internet
#lebonvieuxtemps
Si vous vouliez voter Parti Pirate aux élections de ce weekend, il fallait imprimer son bulletin de vote au format papier. Il y a là quelque chose d’ironique, dans l’ordre technologique, qui fait que peut-être certains (mais c’est peu probable) ont encore manqué une occasion d’en savoir plus sur les objectifs de ce Parti pas si anecdotique, depuis que l’une de ses représentantes, Julia Reda, a signé le premier rapport parlementaire sur la proposition de directive droit d’auteur qui vient d’être adoptée. Il y a, avec ce texte de l’excellente Professeur Séverine Dusollier, la possibilité de se rattraper, en revenant aux origines de la culture du libre et des communs sur Internet. Si le terme de “hacker” n’est peut-être pas le plus approprié, tant il recouvre un spectre de pratiques extrêmement vaste, jusqu’aux plus contestables, on ne peut que reconnaître avec l’auteure la prescience de ces mouvements qui, bien avant le fléchissement des industries culturelles, avaient compris qu’Internet appelle et permet de nouvelles formes de partage et de rétribution (fût-elle symbolique). Ainsi avons-nous glissé depuis, sans bien même nous en apercevoir, dans ce monde de “l’open”, qui concerne désormais bien plus que les quelques communautés qui l’ont inventé, jusqu’à entrer dans les textes définissant les politiques publiques. La déférence minimale serait donc, en effet, de se repencher sur les idées et valeurs de celles et ceux qui nous ont amenés là. Bonne lecture !